Un vétérinaire roule sa bosse à la rencontre des peuples pastoraux

Camélologue”. Bernard Faye se présente comme un généraliste de l’élevage. Il a cependant été obligé d’inventer un mot pour définir sa spécialité. Ce néologisme résume une part de vie dans les déserts froids, en quête de chameaux, et chauds, sur la piste de dromadaires. « La moitié des terres émergées sont arides ou semi-arides. Dans ces zones, chaudes ou froides, les camélidés sont une des rares activités encore possibles. Ils ne représentent que 30 millions de têtes face aux 1,5 milliard de bovidés, mais ils se répartissent sur des espaces presque aussi vastes », explique le globe-trotter. Pour justifier sa vocation, Bernard Faye évoque une ancienne tradition française de vétérinaires méharistes. Pour sa part, il a pris la route très tôt : en 1973, en troisième année à l’école vétérinaire de Lyon, lorsqu’il a obtenu une bourse de l’Association mondiale des vétérinaires pour réaliser une étude sur l’élevage au Bengladesh. L’étudiant est parti en auto-stop, par la Turquie, l’Iran, le Pakistan. Trois semaines en bus, train et voiture avant d’atteindre Dacca, pour deux mois de terrain.

Une spécialisation tropicale et une coopération en Ethiopie

« Cette première découverte des “pays du sud” a été une belle leçon d’hospitalité et de gentillesse. » Le voyage a manifestement suscité sa spécialisation tropicale et sa coopération en Ethiopie. « C’est là que j’ai découvert les camélidés. Ils m’ont fasciné », confie Bernard Faye. « Ce ne sont pas des animaux de compagnie. Ils ont un air méprisant, un mauvais caractère et ne sont pas faciles à approcher. En résumé, ils n’aiment pas trop les gens qu’ils ne connaissent pas, s’amuse le vétérinaire, mais ils représentent un modèle biologique fabuleux et tirent le meilleur parti des coins les plus invivables du globe. » Le chercheur est tout autant passionné par les éleveurs et les bergers que lui ont permis de rencontrer ces inénarrables camélidés (et les élevages bovins et ovins), et dont il partage régulièrement le quotidien. « Il y a des cultures qui se construisent autour de l’animal avec un rapport à la fois affectif et technique. J’aime leur savoir-faire, leur gestuelle. Ils vivent dans des sociétés pastorales qui doivent leur survie à la communauté, au collectif, au relationnel. Ces bergers n’ont pas qu’une seule vision techniciste et productiviste. Cela me passionne. » Bernard Faye admet une prédilection pour l’ethnologie ou l’anthropologie. Depuis trente ans, il a sillonné pas moins de soixante-dix pays, dont le Kazakhstan où cohabitent les deux espèces de camélidés, l’Ethiopie ou le Niger, deux autres pays de prédilection.

A ses yeux, le lait de chamelle est l’or blanc du désert

Bernard Faye ne perd pas de vue le motif “technique” de ses pérégrinations. Il se passionne pour le lait de chamelle, dont il veut percer les secrets. « Sa composition présente des intérêts aussi bien nutritifs et médicaux qu’en termes de valorisation industrielle », précise-t-il. Il a d’ailleurs lancé un projet sur la lactoferrine bioactive, « quatre fois plus concentrée que celle du lait de vache, plus riche en acide gras insaturé, exceptionnellement riche en vitamine C aux propriétés antidiabétiques puissantes… C’est l’or blanc du désert. »

Il n’existait pas de société savante sur les camélidés. En 1996, Bernard Faye émet l’idée d’en constituer une. L’Isocard, société internationale de recherche et de développement sur les camélidés, a vu le jour en 2006 aux Emirats Arabes Unis. Le chercheur, rattaché au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), est depuis longtemps sollicité de par le monde. En France aussi : « Cela peut aussi bien venir des centres de recherches, des vétérinaires qui ont un chameau malade dans leur clinique, des écoles, des élevages (il y en a une dizaine en France), des gens qui veulent importer des chameaux que des candidats à des jeux télévisés ! »

Le praticien a des “semelles de vent”. Il a aussi une plume qui a beaucoup publié sur l’élevage (La Richesse des pauvres) et sur le chameau. Il a également rédigé très tôt de beaux textes sur les éleveurs (Eleveurs d’Ethiopie), et sur le tard des romans (La Princesse de Bactriane, L’Or de Salomon, et bientôt Beldum, “le bonheur” en peul). « J’avais envie de fiction. J’ai inventé des scénarios en m’inspirant de personnages réels, d’événements vécus, ou dont j’ai entendu parler. Le fil conducteur, c’est la géographie et le poids de l’histoire en chacun de nous. » Sa passion pour les éleveurs et les tribus pastorales émane encore des images captivantes, fixées par son œil de photographe. Elles illuminent Bergers du monde, son premier “beau livre”, et Peuples du lait. Le “camélologue” interviendra prochainement dans Les Routes de la bosse, un projet de trois films qui remonteront à l’origine du chameau, de la Mongolie à l’Afrique du Nord.