DES ANIMAUX DE FERME TRAITÉS COMME DES CHIENS - La Semaine Vétérinaire n° 1419 du 01/10/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1419 du 01/10/2010

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Auteur(s) : Nathalie Devos

Aujourd’hui, les animaux de ferme ne sont plus considérés comme des “produits agricoles”, mais comme des “êtres sensibles”. Des réglementations commencent à encadrer leur protection. Malgré tout, les associations de protection animale déplorent une augmentation des sévices qui leur sont infligés. La qualification des faits (mauvais traitements, actes de cruauté, etc.), laissée à la seule appréciation des juges, et les peines encourues, parfois dérisoires, mériteraient d’être revues.

Le constat est amer pour les associations de protection animale. Pour celles qui s’occupent des animaux de compagnie – qui ont, de plus, déploré cet été un nombre croissant d’abandons de chiens et de chats que les propriétaires n’hésitent parfois pas à mutiler pour leur ôter toute trace d’identification –, mais aussi pour celles dévouées aux animaux de ferme. Selon l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), présidée par notre confrère Jean-Pierre Kieffer, les statistiques sur les mauvais traitements et les sévices (qui concernent majoritairement des bovins, des ovins, des caprins et des équidés) sont alarmantes. En nette augmentation, elles révèlent un profond malaise dans nos campagnes(1). « Ces statistiques sont d’autant plus inquiétantes que l’OABA (entre autres) n’a connaissance que d’une infime partie de cette misère et de cette souffrance animale. »

Rien que sur les six derniers mois, plusieurs actes de cruauté envers des animaux ont été relayés dans la presse grand public. Ainsi, en Isère, des chevaux et des brebis, blessés par des balles de fusil, ont été découverts agonisants par leur propriétaire. Du bétail a été pris pour cible en Moselle, près de Château-Salins. La même frénésie pour les armes a causé la mort d’un cheval à Villers-sur-Mer, dans le Calvados. Des poneys, abandonnés dans un enclos sans herbe, ni arbre, ni eau, ont été retrouvés agonisants, de soif et de faim, dans l’Arrageois.

Des actes de cruauté particulièrement odieux sont également rapportés à l’OABA : des sévices sexuels sur des chèvres près de Béziers et sur un équidé dans la Nièvre ; une jument retrouvée dans un pré de Gourin, dans le Morbihan, décapitée et les quatre membres sectionnés ; une génisse tuée et dépecée chez un éleveur de Limoges ; deux vaches tuées à coups de couteau dans le Puy-de-Dôme, à Chamalières, avec un sadisme répugnant (l’une d’elles, prête à vêler, a été éventrée et le veau sorti du placenta).

L’animal n’est un être qualifié de sensible que depuis une trentaine d’années

Pendant longtemps, le droit français s’est contenté de définir l’animal comme une chose, un « bien meuble ». Son statut a heureusement évolué. En 1976, la loi du 10 juillet sur la protection de la nature a défini l’animal comme « un être sensible », c’est-à-dire capable de ressentir le plaisir, la souffrance et des émotions. Dans le Code rural, l’article L.214-1 prend en compte ce caractère sensible, en précisant que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Ce statut est également reconnu par l’Union européenne, qui a annexé au traité d’Amsterdam (signé en 1997 et entré en vigueur en 1999) un protocole qui précise que les animaux sont des êtres sensibles. Précédemment, dans le traité de Rome, les animaux d’élevage étaient uniquement considérés comme des produits agricoles.

Au niveau européen, la direction générale Santé et protection des consommateurs (DG Sanco) a en charge la protection des animaux d’élevage ou de ferme et l’évolution de la réglementation (conditions d’élevage, de transport et d’abattage, voir tableau en page 28). Elle propose des textes (directives ou règlements) qui sont ensuite discutés au Parlement européen. La décision finale revient au conseil des ministres de l’Agriculture. Ensuite, les pays de l’Union transposent (pour les directives) ou appliquent directement (pour les règlements) cette réglementation dans leur droit national.

En France, une grande partie des textes législatifs et réglementaires relatifs à la protection des animaux sont codifiés dans le Code rural (principalement les articles L.214-1, R.214-17 et R.214-18) et dans le Code pénal (notamment les articles 521-1, R.653 à R.655), auxquels s’ajoutent les textes européens, les décrets et les arrêtés ministériels (entre autres l’arrêté du 25 octobre 1982) et le règlement sanitaire départemental (voir encadré en page 29).

Les textes qui protègent les animaux de ferme sont donc relativement récents. Certes, ils ont le mérite d’exister. Mais certains défenseurs de la condition animale les trouvent encore timides et estiment que leur application n’est pas suffisamment contrôlée (voir article en page 30).

Le Code pénal classe les brutalités envers les animaux en quatre catégories

D’autres lacunes méritent d’être soulignées. Le flou qui règne dans la définition de certains termes, par exemple.

Ainsi, le Code pénal distingue les brutalités dont peuvent être victimes les animaux en sévices graves ou actes de cruauté (article 521-1), mauvais traitements (article R.654-1), actes pouvant occasionner la mort ou la blessure d’un animal du fait d’une maladresse, d’une négligence, etc. (article R.653-1), mise à mort volontaire et sans nécessité d’un animal (article R.655-1). Ces différents actes ne sont malheureusement pas clairement définis.

A titre d’exemple, il n’existe pas de définition précise de l’acte de cruauté. Toutefois, comme le souligne le programme Vigiferme, de la Protection mondiale des animaux de ferme (Pmaf), l’analyse de la jurisprudence(1) permet de préciser que « l’acte de cruauté nécessite un acte volontaire et conscient, en vue de faire souffrir sans nécessité un animal ou en vue de provoquer sa mort. Cette qualification est généralement retenue lorsque l’auteur de l’acte a manifesté un instinct pervers et une cruauté proche de la barbarie et du sadisme. L’acte de cruauté se caractérise par l’intention de satisfaire le plaisir que procure la vue de la souffrance ou de la mort ».

De même, il n’existe pas de définition précise du « mauvais traitement ». Il peut s’agir d’actes tels qu’une abstention de soins appropriés (ne pas parer les pieds d’un cheval, le laisser à l’abandon sans nourriture, etc.).

Quant aux actes « pouvant occasionner la mort ou la blessure d’un animal du fait d’une maladresse, d’une négligence, ou d’un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements », ils sont considérés comme des atteintes involontaires. Ils peuvent être causés par l’homme, par une chose qu’il a sous sa garde, ou par d’autres animaux. Par exemple, le propriétaire d’un chien qui blesse des volailles ou provoque leur mort peut être tenu comme pénalement responsable, la cause étant le fait d’une inattention ou d’une négligence de sa part (défaut de surveillance ou divagation).

Enfin, la « mise à mort volontaire et sans nécessité d’un animal » est également bien floue en raison de son caractère de « nécessité » dont les “frontières” ne sont, là encore, pas définies.

L’appréciation des juges est souveraine quant à la qualification des actes

Selon leur qualification (actes de cruauté, mauvais traitements, actes pouvant occasionner la mort ou la blessure d’un animal, conséquences d’une maladresse ou d’une négligence, mise à mort volontaire et sans nécessité d’un animal), les faits sont punis en tant que délits ou soumis à une contravention. Le procureur de la République qualifie le fait commis. S’il estime qu’il s’agit d’un acte de cruauté, l’affaire sera jugée par le tribunal correctionnel, compétent pour juger les délits. S’il considère qu’il s’agit d’un mauvais traitement, il saisit le tribunal de police, compétent pour juger les contraventions.

Par ailleurs, la frontière entre les mauvais traitements et les actes de cruauté est mince. Parfois, la jurisprudence retient la qualification de mauvais traitements pour une affaire et, pour un autre cas similaire, la qualification d’actes de cruauté est retenue. L’appréciation des juges est souveraine. Ils disposent du libre arbitre pour retenir la qualification qui leur paraît la plus appropriée.

Par exemple, concernant les faits qui peuvent être “classés” dans les actes de cruauté, les tribunaux retiennent de plus en plus souvent la qualification de « délit d’abandon » lorsque le propriétaire se désintéresse durablement de ses animaux d’élevage et ne leur apporte plus les soins nécessaires (absence de nourriture, d’eau, etc.).

Pour la mise à mort volontaire sans nécessité de l’animal, le caractère de nécessité est laissé à l’entière appréciation des juges…

« Une mise à mort sans nécessité » écope d’une peine dérisoire

De la qualification des actes décidée par les tribunaux découlent les peines et les contraventions encourues. Il en coûte 750 € au maximum en cas de « mauvais traitement » et jusqu’à 30 000 € si le fait est considéré comme un « acte de cruauté ». Quant à la « mise à mort volontaire et sans nécessité d’un animal », le contrevenant “risque” une amende de 1 500 € au plus, montant qui peut être porté à 3 000 € en cas de récidive… On pourrait croire qu’il y a une justice. Il est par ailleurs choquant de lire dans le Code pénal que pour les actes de maltraitance ou de cruauté, le tribunal peut décider de laisser ou non le condamné continuer à détenir des animaux !

Malgré ces incohérences, il est du devoir de chacun de dénoncer les actes de cruauté envers les animaux de compagnie, sans oublier ceux de ferme. Dans cette optique, les vétérinaires ont non seulement un rôle citoyen à jouer, mais aussi éthique (voir article en page 30).

Zoom sur la France

En France, la première loi de protection animale a été votée le 2 juillet 1850, à l’initiative du général de Grammont, devant un Parlement railleur. Cette loi sanctionnait ceux qui commettaient publiquement et abusivement des mauvais traitements à l’encontre des animaux domestiques. Il faudra ensuite attendre près d’un siècle pour que la législation progresse. En 1959, le décret du 7 septembre définit des sanctions en cas de mauvais traitements (article 38 du Code pénal). La loi du 19 novembre 1963 réprime les actes de cruauté, assortis de peines correctionnelles (article 453 du Code pénal). Celle du 10 juillet 1976 élargit l’incrimination aux sévices graves et à l’abandon volontaire : elle élargit les peines de l’article 453 et autorise les associations de protection animale reconnues d’utilité publique à se porter partie civile et à obtenir réparation du préjudice aux intérêts qu’elles ont pour objet de défendre.

De nombreux autres textes, adoptés ces dernières années, renforcent la législation en matière de protection des animaux. Par exemple, la loi du 22 juin 1989 et ses textes d’application ont mis en place une réglementation qui protège l’animal et responsabilise son propriétaire.

La profession vétérinaire a contribué à la mise en place de cet arsenal réglementaire, à la fois en sensibilisant l’opinion publique pour faire pression auprès des pouvoirs publics, en participant à l’étude des nouveaux textes réglementaires au sein de conseils consultatifs, et même à la rédaction des textes proposés au Parlement.

Jean-Pierre Kieffer

Vu dans la presse grand public

« Vous avez affiché un mépris total envers les animaux. » Pour la seconde fois, deux éleveurs de Saint-Gonnery ont été jugés, le 28 juin dernier au tribunal correctionnel de Lorient, pour sévices graves sur leur cheptel. En 2005, la Direction des services vétérinaires émet des avertissements à l’encontre de deux éleveurs, le père, 61 ans, et le fils, 34 ans, associés dans un Gaec. Des mises en demeure, puis des procès-verbaux suivront. Au final, les éleveurs sont convoqués devant le tribunal correctionnel en février 2009 où ils sont condamnés à trois mois de prison avec sursis. Près d’un an et demi après, les deux éleveurs sont à nouveau convoqués devant la justice, pour répondre encore une fois de mauvais traitements aux animaux. Le 16 mars dernier, les services vétérinaires inspectent une nouvelle fois cet élevage de 195 bovins. Ils découvrent, comme le témoigne à la barre du tribunal une vétérinaire, « une situation extrême ». Les animaux vivent dans l’obscurité, pataugeant dans le fumier. Ils sont peu ou pas nourris, et ne peuvent se désaltérer, en raison de l’état des installations. Le préfet prend un arrêté et, le 26 mars, l’ensemble du cheptel est évacué. 117 animaux sont euthanasiés. Philippe Coindeau, le vice-procureur de la République, s’est déchaîné dans ses réquisitions : « Vous avez atteint un degré d’irresponsabilité qui m’effraie », déclare-t-il, en colère. « Vous avez affiché un mépris total envers les animaux, votre profession et les services de l’Etat. » Il requiert à l’encontre des deux prévenus quatre-vingt-dix jours amende à 100 € et l’interdiction de détenir des animaux pendant trois ans.

Ouest France, édition du 30/6/2010.

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