Les traitements vétérinaires peuvent avoir un impact délétère sur les oiseaux charognards - La Semaine Vétérinaire n° 1417 du 17/09/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1417 du 17/09/2010

Ecotoxicologie

Formation continue

FAUNE SAUVAGE ET NAC

Auteur(s) : Lorenza Richard

L’utilisation des euthanasiques impose une protection de la dépouille afin de ne pas mettre en danger des espèces prédatrices protégées, voire de mettre en œuvre des méthodes alternatives.

Pour tenter de répondre aux causes de mortalité-morbidité de certaines espèces de grands rapaces, des études sont menées afin de cerner l’impact des traitements vétérinaires et phytosanitaires sur leurs populations. Le réseau vigilance-poison a ainsi été mis en place par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), en partenariat avec le réseau national d’épidémiosurveillance de la faune sauvage (Sagir) de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et la Commission environnement de la Société nationale des Groupements techniques vétérinaires (SNGTV), à titre d’expert (en la personne de Guy Joncour). Ce réseau collecte, depuis 2005, les cadavres de quatre espèces de rapaces(1) dans les Pyrénées. Depuis 2009, la collecte est nationale et comprend les quatre espèces de vautours français (voir photos), le milan royal (Milvus milvus) et le balbuzard pêcheur, des espèces qui font l’objet d’un plan national de restauration. Les oiseaux sont examinés, radiographiés et autopsiés en vue d’analyses écotoxicologiques ciblées concernant divers xénobiotiques(2) (voir encadré ci-dessous).

73 % d’oiseaux non migrateurs sont contaminés par au moins un anticoagulant

Par exemple, l’utilisation d’anticoagulants dans la lutte contre les rongeurs ravageurs des cultures et d’inhibiteurs des cholinestérases contre les “nuisibles”, de façon non ciblée, provoque des intoxications chez de nombreux mammifères et oiseaux prédateurs ou charognards, secondaires (consommation de proies contaminées) ou primaires (ingestion d’appâts). Selon deux études(3), 73 % d’oiseaux non migrateurs sont contaminés par au moins un anticoagulant, et 80 % des milans royaux récoltés dans le cadre du réseau Sagir sont contaminés par un rodenticide. A l’heure où les campagnes contre les ravageurs des cultures s’étendent, « les intoxications sont probablement sous-estimées et peuvent affaiblir des espèces déjà menacées », déclare Guy Joncour.

Les euthanasiques sont incriminés dans la mort de vautours

De plus, des cas d’empoisonnement secondaire de vautours fauves, du fait d’actes vétérinaires, ont été avérés dans les Pyrénées françaises, à la suite de l’ingestion de cadavres préalablement euthanasiés au thiopenthal et au pentobarbital, au moins en 2000 et 2008. Ces épisodes rappellent aux praticiens leur responsabilité dans le choix de la méthode d’euthanasie et la protection de la dépouille (bâche, clôture électrique sur le cadavre en attente d’enlèvement), notamment dans les zones difficiles d’accès, afin de ne pas mettre en danger des espèces prédatrices protégées (voir encadré ci-contre).« Combien d’oiseaux nécrophages, tels que les milans royaux, les vautours percnoptères ou les gypaètes barbus, tous plus menacés les uns que les autres, espèces d’intérêt écologique européen, sont venus prélever un morceau de carcasse pour le transporter en haut d’une falaise où ils pourront le consommer tranquillement ? Combien d’autres animaux, nécrophages épisodiques ou habituels, sont morts des suites de cette négligence humaine et vétérinaire ? », s’interroge notre confrère.

L’impact des traitements se retrouve aussi sur le plan européen. Ainsi, les profils d’antibiorésistance mis en évidence chez un grand nombre d’oiseaux en Allemagne sont les mêmes que ceux retrouvés chez les animaux de rente et de compagnie, ou chez le surmulot. En Espagne, des bactéries résistantes aux quinolones et pénicillines ont été retrouvées chez les vautours dans les zones d’élevage de porcs. L’exposition aux antibiotiques et à leurs résidus « serait responsable du déclin des populations de milans royaux et noirs, dont les mortalités embryonnaires seraient dues à la présence de résidus de quinolones dans les œufs, alors plus exposés aux maladies fungiques ». Pour Guy Joncour, « la présence de bactéries antibiorésistantes chez les oiseaux sauvages est plus un marqueur de pollution de l’environnement par les activités humaines qu’une source potentielle de dissémination de ces résistances ou qu’une menace pour la santé publique et animale ».

Le déclin des équarrisseurs naturels entraîne l’augmentation des cas de rage humaine

A l’échelle mondiale, les préoccupations à l’égard des vautours s’intensifient : depuis 1995, la disparition de 95 % des vautours du genre Gyps du sous-continent indien serait due au diclofénac(4) (Voltarène®). Ils risquent une extinction complète et sont classés “en danger critique”. Trois des quatre espèces de Gyps seraient victimes de cet anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) par intoxication induite, en se nourrissant des carcasses de bétail traité. La disparition de ces équarrisseurs naturels, en bout de chaîne trophique, profite aux chiens errants qui se nourrissent sur les carcasses accumulées, augmentant ainsi le risque de rage humaine(5). L’accroissement de l’incidence de cette zoonose majeure dans cette partie du monde inquiète l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE).

L’Inde, le Pakistan et le Népal ont interdit la fabrication et l’utilisation du diclofénac. Toutefois, sa vente est autorisée en Tanzanie, où il menacerait les vautours du genre Gyps et d’autres espèces. Il est donc primordial d’informer de son éventuelle dangerosité dans les pays où il n’est pas encore utilisé.

Le vétérinaire doit s’informer de l’impact des médicaments sur les espèces sauvages

Pour Guy Joncour, la transparence de l’information par les laboratoires est souhaitée pour s’assurer de l’impact sur la faune sauvage de cette molécule, non utilisée en Europe, mais dont un dossier de limites maximales de résidus (LMR) a été déposé à l’Agence nationale du médicament de Fougères (ANMV), en 2003. Elle pose en effet la question de l’utilisation des AINS en médecine vétérinaire, comme les “ivermectines” la posaient pour l’utilisation des endectocides dans les années 90. L’alerte de la profession avait alors conduit à la prise en compte de l’impact environnemental des molécules dans l’autorisation de mise sur le marché (AMM) des spécialités vétérinaires en 1992. « Le problème des endectocides était vraisemblablement un conflit économique entre multinationales. Il est affirmé aujourd’hui que le diclofénac et le kétoprofène sont dangereux pour l’environnement, et pas le méloxicam. L’avenir le dira, mais ce problème d’AINS ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt et les causes de déclin », précise notre confrère. « Que penser lorsque les propriétaires se fournissent en spécialités réglementairement ou non, soit sans prescription vétérinaire chez le pharmacien ou sur Internet ? Alors que des ordonnances et des registres de prescription nous sont imposés (aux vétérinaires), avec raison, quelque deux mille cent spécialités à usage phytosanitaire se trouvent en vente quasi libre et contiennent, en 2010, quatre cent vingt-quatre substances actives éco-rémanentes d’usage tout à fait légal », déplore-t-il.

Les avis contradictoires des associations de protection animale et des laboratoires producteurs doivent mener le praticien à prendre du recul, en lisant les différentes publications sur le sujet et en s’informant sur la biologie et l’écologie des espèces concernées auprès des Directions régionales de l’environnement, indique Guy Joncour. En ce sens, « le vétérinaire généraliste peut devenir un “spécialiste” de la condition animale, domestique ou sauvage, et, en tant “qu’expert-consultant en écosystèmes modifiés et naturels”, il peut, par son esprit critique et ses acquis du terrain, proposer des solutions de prévention. »

  • (1) http://www.animal-services.com/vautours/

  • (2) Xénobiotique : substance “étrangère à l’organisme” qui possède des propriétés toxiques, même à faible concentration.

  • (3) P. Berny, J. R. Gaillet : « Acute poisoning of red kites (Milvus milvus) in France : data from the Sagir network », J. Wildlife diseases, 2008, vol. 44, n° 2, pp. 417-426. O. Lambert, H. Pouliquen, M. Larhantec et coll. : « Exposure of raptors and waterbirds to anticoagulant rodenticides (difenacoum, bromadiolone, coumatetralyl, coumafen brodifacoum): epidemiological survey in Loire-Atlantique (France) », Bull. Environ. Contam. Toxicol., 2005, vol. 79, pp. 91-94.

  • (4) J.L. Oaks, M. Gilbert, M.Z. Virani et coll. : « Diclofenac residues as the cause of vulture population decline in Pakistan », Nature, 2004, vol. 427, pp. 630-633.

  • (5) http://www.vulturerescue.org

CONFÉRENCIERS

Guy Joncour, praticien à Callac-de-Bretagne (Côtes-d’Armor)

Sophie Le Dréan-Quenec’hdu, praticienne à Melesse (Ille-et-Vilaine)

Article rédigé d’après la conférence « Exposition de la faune sauvage aux traitements vétérinaires ou phytosanitaires et ses conséquences, à travers quelques exemples », présentée aux journées de la SNGTV à Lille en mai 2010.

Les causes de mortalité d’oiseaux charognards

Le réseau Vigilance-poison a analysé les cadavres de 111 oiseaux depuis 2005 :

– 26 sont morts d’une intoxication due au plomb, à un inhibiteur de la cholinestérase ou aux euthanasiques ;

– 34 présentaient une exposition subaiguë à chronique au plomb ;

– 12 une exposition ou une intoxication au lindane ou au métoxychlor (organochlorés, interdits d’usage en 2002);

– 15 oiseaux ont été abattus par tir.

L. R.

Quelle méthode d’euthanasie choisir en milieu inaccessible aux services d’équarrissage ?

Le sulfate de magnésium et l’iodure de potassium, qui entraînent l’arrêt cardiaque de l’animal conscient, sont inenvisageables. Les molécules chimiques provoquent des intoxications secondaires chez les charognards. Or, porter atteinte à la conservation d’espèces animales protégées est passible d’une peine de six mois d’emprisonnement et 9 000 € d’amende (article L411-1 du Code de l’environnement). Pour Guy Joncour, le débridement large de l’aorte au niveau des ramifications iliaques, par voie rectale puis épidurale haute, semble être une alternative, après l’usage du pistolet d’abattage de type “matador” embarqué.

L. R.
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