VÉTÉRINAIRE DANS LE CANTAL : LE SALERS DU LABEUR - La Semaine Vétérinaire n° 1415 du 03/09/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1415 du 03/09/2010

À LA UNE

La désertification rurale affecte durement ce petit département de 150 000 habitants qui compte trois fois plus de bovins. L’isolement géographique, la raréfaction des services, le climat un peu rude et les nouvelles exigences sociétales ne militent pas en faveur de l’installation de jeunes vétérinaires. Pourtant, l’avenir reste ouvert pour ceux qui sauront accompagner la mutation du métier dans le Pays vert.

Naguère, le vétérinaire de campagne étaitunnotable.Ilportaitune blouse grise, des bottes en caoutchoucetunecravate. « Au sein d’un milieu agricole alors peu scolarisé, il figurait celui qui savait. Il était respecté », se souvient, nostalgique, Jean Maltcheff (T66), ancien vétérinaire, maire de Salers, dont le père avait exercé dans ce village, avant lui, dès la fin des années 30. « Le niveau de formation des exploitants agricoles et des éleveurs a considérablement augmenté. Si le respect envers le praticien demeure, bien que parfois écorné, son métier a été désacralisé. Ses conditions d’exercice ont radicalement changé. Mon père a rendu son dernier souffle deux heures seulement après avoir effectué une prise de sang sur une vache. Il avait soixante-quatorze ans ! Durant sa carrière, il n’a pas pris, au total, plus d’un mois de vacances ! »

La contrepartie du rang occupé dans la société était alors une vie entièrement consacrée au labeur. Aujourd’hui, la position sociale du vétérinaire s’est affaiblie, mais a contrario, son aspiration à vivre comme tout le monde s’est renforcée. « L’évolution a vraiment été rapide, constate François Pouchot (A85), président du Groupement technique vétérinaire (GTV) du Cantal. Même le choix du statut de libéral n’est plus dominant. Maintenant, beaucoup de jeunes confrères ont pour unique horizon le salariat. La rémunération est moindre, mais cette option offre un confort de vie plus standard. » Jacques Monet (T79), président du conseil régional del’Ordre, est plus caustique : « C’est un état d’esprit général, produit d’une société “bling-bling” qui pervertit le goût de l’effort. Il y a moins de passion, moins d’envie, et tous lescorps de métiers d’artisans,dont nous sommes, s’en plaignent. En revanche, chacun connaît ses droits… »

Un département où il reste difficile de trouver des successeurs

A cette aune-là, les contraintes climatiques, géographiques et économiques du Cantal apparaissent le plus souvent rédhibitoires pour des jeunes gens nourris au lait de la modernité. Ici, les hivers sont rudes, les déplacements avoisinent souvent les 50 000 km par an sur des petites routes pas toujours déneigées, et les éleveurs souffrent. « Nous notons une forme de distance, aggravée par la fièvre catarrhale ovine (FCO) qui a tendu nos relations, explique Christophe Roy (T97), à Riom-ès-Montagnes. Surtout, les dettes s’accumulent, avec un délai moyen de paiement de plus de six mois pour près de la moitié de nos clients ! Jusqu’à il y a quatre ou cinq ans, nous n’avions pas engagé de contentieux. Depuis, nous en avons entre deux et cinq par an. »

Confrontés à ces difficultés, certains vétérinaires qui exerçaient seuls n’ont pas trouvé de successeurs. Le maillage vétérinaire cantalien continu de se déliter. « Nous avons eu la chance de recruter assez facilement », reconnaît le président du syndicat départemental Eric Février (A80), installé à Saint-Mamet. Il faut rester ouvert sur les jeunes, ne pas hésiter à prendre des stagiaires. Ainsi, pour le remplacement d’un salarié, nous n’avons pas eu besoin de passer d’annonces. » A Riom-ès-Montagnes, Christophe Roy, lassé de perdre un à un ses salariés, privilégie dorénavant la recherche de couples de vétérinaires : « Nous étions trois associés et trois aides. Nous avons trouvé un couple pour combler le départ de deux aides et un autre pour nous renforcer et être huit cet hiver. » Reste à convaincre les salariés de s’associer ; ils représentent déjà un tiers de l’effectif des libéraux du département : dix-neufpour cinquante-sept.

La région s’implique et sollicite des Roumains

Devant ce constat, en réponse aux demandes de nombreux élus ruraux, la région Auvergne a dupliqué son dispositif de “résidence d’entrepreneur” aux professions de santé. Ce dispositif financier favorise l’installation par la création ou la reprise d’entreprise. En lien avec l’Ordre régional et avec le département de l’Allier, qui développe depuis longtemps des relations étroites avec la région roumaine de Cluj-Napoca, en Transylvanie, il a conduit à la sélection de trois jeunes Roumains titulaires du diplôme vétérinaire. Ils ont d’abord bénéficié d’un complément de formation en français avant d’effectuer leur stage dans différentes structures auvergnates, tout en étant hébergés, salariés et accompagnés pendant six mois. L’un d’entre eux est maintenant salarié à Pleaux, un autre a gagné le Limousin (à Lubersac, en Corrèze) et le troisième est reparti en Roumanie.

Gilles Hodencq, dans l’Allier, a accueilli l’un d’eux. « Ils pratiquent une médecine peu sophistiquée, notamment en canine, liée au niveau de vie de ce pays. En revanche, ils sont vite opérationnels en rurale, et ils en veulent. » Jacques Monet, le président de l’Ordre, se félicite de la démarche et souhaite à ces jeunes de réussir. Mais, pour lui, il ne s’agit que d’un pisaller : « Nous n’avons que l’expression “aménagement du territoire” à la bouche, mais chez nous, les trains désertent les campagnes et les gares sont vendues ! Peut-être ne forme-t-on pas assez de vétérinaires en France, tandis qu’en Belgique, par exemple, il en sort par paquets de dix… Mais au fond, le problème, ce n’est pas le manque de praticiens, mais leur répartition sur le territoire. C’est une question de volonté politique. Les études coûtent cher à la collectivité nationale. Sans doute celle-ci serait-elle fondée à en imposer la contrepartie aux bénéficiaires, avec des incitations si besoin, afin d’assurer un maillage territorial synonyme de couverture sanitaire suffisante.Dansune société responsable, droits et devoirs ne peuvent être dissociés. »

Cependant, l’exercice vétérinaire dans le Cantal ne se résume pas à ces difficultés. Le métier offre ainsi de belles perspectives d’épanouissement à ceux qui sauront accompagner sa mutation. « Nous aurons toujours besoin de l’élevage pour nous nourrir, et dans le Cantal, nous avons les montagnes qu’il faut, des gens travailleurs,quiaimentcequ’ils font, se félicite Olivier Salat (T88), installé à Saint-Flour. Ce sera plus technique, les éleveurs seront de mieux en mieux formés, mais les nouvelles exigences économiques imposeront toujours l’intervention de vétérinaires de plus en plus pointus ! » Le monde agricole est, en effet, en pleine mutation. « Les jeunes qui viennent faire de la prophylaxie s’imaginent devoir arpenter une zone arriérée, s’amuse Christophe Roy. Ils sont surpris de constater que le cheptel moyen, par éleveur, est de soixante vaches, tandis que la moitié d’entre eux se sont dotés, depuis quelques années, de structures flambant neuves ! »

Il en est de même pour Michel Moisset (A74), à Saint-Flour également : « Depuis que j’ai intégré le cabinet, en 1976, la moyenne des bovins par exploitant est passée de dix-sept à une centaine ! Notre travail auprès d’eux n’a plus rien à voir. Nous faisons de plus en plus de suivi de troupeau, notamment en laitier. Des conseils en alimentation au suivi mammite et en passant par les programmes de parasitisme, nos clients sont conscients de la plus-value que nous leur apportons. » Cette approche globalisée, encore limitée, se développe peu à peu dans le département.

De nouveaux modes de fonctionnement sont à inventer

A Saint-Mamet, par exemple, le cabinet a essayé dès 2003 de fusionner les clientèles avec celui de Maurs : « Nous n’y sommes pas parvenus, relate Eric Février, et maintenant cela ne serait plus d’actualité parce que nous avons étoffé notre structure. Pour autant, lors de nosréunions professionnelles, qui regroupent l’Ordre, le GTV et le syndicat, nous évoquons souvent les thématiques du regroupement de clientèles, de la mise en place de réseaux de compétences sur plusieurs d’entre elles, de groupements d’employeurs permettant à des vétérinaires de développer des compétences propres. A la vérité, je dois dire que cela ne prend pas vraiment. Les mentalités devront évoluer, peut-être avec les nouvelles générations, pour prendre la mesure des orientations que les petites structures devront suivre dans l’avenir. »

Les cliniques sont aussi résolument tournées vers l’avenir. A Mauriac, par exemple, il est envisagé de se réinstaller dans un plus grand bâtiment et d’avoir un ou deux associés de plus. A Saint-Mamet, le terrain est déjà choisi et le permis de construire déposé. Quant à Riom-ès-Montagnes, l’aménagement dans des locaux quatre fois plus grands sera effectué ce mois-ci : « Nous avons envie de nous faire plaisir, convient Christophe Roy, avec des moyens au-dessus de la normale. Nous voulons ménager notre vie de famille, garder le moral et ne pas connaître le burn out ! Nous avons une chance peu ordinaire d’avoir une clientèle extrêmement variée. Elle couvre tous les types d’élevages, allaitant et laitier, sur une zone où se côtoient quatre AOC fromagères : saint-nectaire, cantal, salers et bleu d’Auvergne ! A chaque type d’exploitation correspond une approche vétérinaire différente, qu’il s’agisse des producteurs de lait, de fromage, de broutards, d’embryons, etc. C’est enrichissant, d’autant que nous bénéficions, de la part des exploitants, d’une confiance absolue. Grâce à eux, nous progressons en nous faisant plaisir. » « Dans notre activité, nous ne sommes pas inquiets à moyen terme, assure Olivier Salat. Les praticiens alentour disparaissent plus vite que les éleveurs, bientôt ce sont les vétérinaires qui choisiront leurs clients ! Nos vies sont passionnantes. Nous sommes au grand air. Les hivers sont un peu rudes, mais la vie est belle quand on aime ce qu’on fait. » Photoreportage de Serge Trouillet

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