Lors de morts subites chez les ruminants, le rôle du vétérinaire expert est encadré - La Semaine Vétérinaire n° 1410 du 18/06/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1410 du 18/06/2010

Expertise

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Karim Adjou*, Emilie Peyre**

La rédaction du rapport d’expertise répond à des impératifs codifiés dans le cadre judiciaire. Lors d’une mission amiable, la forme peut être plus libre.

Les morts subites ne sont pas rares chez les animaux de rente et représentent souvent un réel défi diagnostique. En effet, le vétérinaire ne peut se reposer uniquement sur les signes cliniques. Certaines morts subites peuvent entraîner des ravages considérables, notamment les entérotoxémies qui représentent plus de la moitié des cas (C. Philippeau et coll., 2003), et les éleveurs sont souvent demandeurs d’un diagnostic rapide.

La mort subite est celle qui intervient brutalement, sans cause accidentelle, chez une personne ou un animal. Chez l’homme, le terme est souvent employé pour désigner la mort subite du nourrisson. Chez les animaux de rente, cette définition doit être réajustée et prendre en compte la notion de surveillance. Comme l’éleveur n’est pas constamment à proximité de son troupeau, notamment lorsque les animaux sont au pré, il est possible qu’il passe à côté de symptômes et retrouve un animal mort. Il sera alors impossible de dater avec précision le moment de cette mort et de déterminer une évolution suraiguë, aiguë ou chronique de la maladie. Affirmer qu’il s’agit d’une mort subite ou non est, dans ce cas, extrêmement difficile. C’est pourquoi seules sont désignées comme morts subites, chez les ruminants, les mortalités intervenues en vingt-quatre heures. Au-delà de ce délai, le terme de pseudo-mort subite sera plus approprié.

De multiples causes peuvent être responsables de ces morts subites (virales, bactériennes, métaboliques, physiques, intoxications, etc.). Le vétérinaire est alors parfois sollicité en tant qu’expert dans le cadre de morts subites chez les animaux de rente. Deux cas peuvent se présenter : soit l’intervention est demandée par l’assurance, soit elle s’inscrit dans le cadre d’une suspicion d’intoxication par malveillance ou d’un traumatisme avec recours en justice.

La rédaction du rapport est une étape importante de la mission d’expertise. Il s’agit d’un document écrit qui permet de conclure la mission. Dans le domaine judiciaire, la rédaction du rapport d’expertise répond à des impératifs étroitement codifiés. Dans le cadre amiable, sa forme est beaucoup plus libre (M. Baussier et P. Tartera, 2003).

1 LE RAPPORT D’EXPERTISE JUDICIAIRE

L’expertise en matière judiciaire est réalisée à la demande des juridictions civiles ou administratives voire, dans de rares cas, dans le domaine vétérinaire, à la demande des tribunaux répressifs. La plupart du temps, les experts réquisitionnés sont inscrits sur les listes établies par la Cour de cassation ou les cours d’appel (M. Baussier et P. Tartera, 2003).

Un rapport d’expertise comporte trois parties principales : la présentation de la mission, son exécution, et la discussion et l’avis de l’expert.

La présentation de la mission

Elle comprend :

– l’identité et l’adresse des parties et de leurs conseils ;

– la reproduction de la mission ;

– un historique des faits ;

– la reproduction du dispositif des décisions ultérieures d’extension à des tiers ;

– la liste des documents remis par le greffe ;

– la liste des documents remis par chacune des parties.

L’exécution de la mission

Elle se déroule en deux parties. Tout d’abord, il convient de traiter la préparation du dossier : date de la demande, date de la réception, convocation aux réunions. La deuxième partie consiste à gérer les opérations d’expertise proprement dites. Il s’agit alors d’organiser les réunions, de préciser quelles sont les personnes présentes, quel est le déroulement de la réunion, quels sont les documents remis, quelles sont les déclarations de chaque partie. Il faudra noter les constatations effectuées sur l’objet du litige : la description de l’animal, les examens nécropsiques, l’examen du contexte et du milieu ambiant, des locaux et du matériel, la réalisation de photographies.

La discussion et l’avis de l’expert

La discussion consiste à répondre aux questions et aux observations des parties. L’expert donne son avis via un énoncé clair, net et précis. Si possible, ces réponses doivent être appuyées sur des travaux scientifiques (M. Baussier et P. Tartera, 2003).

La forme du rapport

La page de garde comprend :

– les noms, titres et adresse de l’expert ;

– la juridiction ;

– les références de l’affaire ;

– la mention des destinataires du rapport ;

– la date de dépôt du rapport.

Tout rapport doit être signé de la main de l’expert, de même que chaque copie. Il doit être écrit à la main et seulement au recto, avec une présentation aérée et logique. L’expert ne doit pas s’exprimer sur un ton dubitatif, mais avoir un avis net et précis. La date limite de dépôt du rapport doit être respectée. Une copie est à remettre à chaque partie.

Une procédure judiciaire est mise en œuvre lorsque le propriétaire des animaux juge qu’il y a eu acte de malveillance, passible de sanctions. La procédure est consécutive au dépôt d’une plainte auprès de la police judiciaire, qui mène alors une enquête et transfère le dossier au tribunal. Celui-ci peut faire appel à un vétérinaire expert pour déterminer la cause de la mort (mission de consultation) ou afin d’entendre les deux parties (mission d’expertise). Le tribunal rend ensuite son jugement. Il est possible de faire appel, le cas échéant. Cependant, cette démarche est rare.

2 LE RAPPORT D’EXPERTISE À L’AMIABLE

Dans un cadre amiable, le rapport d’expertise n’est pas codifié. Il s’agit de répondre le plus exactement possible aux attentes du mandant, dans le strict respect de l’éthique professionnelle (M. Baussier et P. Tartera, 2003).

Le contenu du rapport est divisé en trois parties, identiques à celles du rapport d’expertise judiciaire. Pour ce qui est de la forme, les recommandations générales qui s’appliquent dans le cadre judiciaire sont transposables. Le mandant est le seul propriétaire du rapport, aucune copie ne peut être envoyée à quiconque, sauf autorisation expresse du mandant. Si ce dernier souhaite un autre avis, il peut demander une nouvelle expertise, généralement appelée contre-expertise. Cela permet de conforter son point de vue ou d’apporter des éclaircissements, absents dans le premier rapport. Le mandant peut ne pas suivre l’avis de l’expert (M. Baussier et P. Tartera, 2003).

Le règlement à l’amiable est le plus fréquent lors de négligence. Dans ce cas, l’assureur du propriétaire contacte l’assureur de la personne dont la responsabilité civile est engagée. Un expert vétérinaire peut être nommé par chaque assureur. Si le rapport d’expertise conclut à une cause de mort par négligence, l’assureur de la personne responsable dédommage le propriétaire de l’animal mort.

Le vétérinaire expert joue donc un rôle capital dans le constat de la mort. Il doit examiner avec une extrême précaution l’environnement de l’animal, déterminer les circonstances de la mort, noter l’âge de l’animal, sa race, le nombre d’animaux touchés. Puis il s’agira de réaliser une autopsie. Si la mort peut être attribuée avec certitude à une cause, le vétérinaire peut établir un diagnostic. Dans le cas contraire, il devra réaliser des examens complémentaires. La démarche diagnostique, étudiée dans la deuxième partie du rapport, prend toute son importance lorsque la responsabilité d’un tiers est engagée. Chacun souhaite des réponses claires et précises.

3 ASSURANCES ET ASPECTS LÉGISLATIFS

Rôles des assurances

Deux types de garanties couvrent les causes de mort subite chez les ruminants : l’assurance contre la foudre et l’assurance mortalité du bétail.

Tous les éleveurs disposent d’une garantie “foudre” ou “fulguration” dans leur contrat d’assurance multirisque ou dans leur contrat incendie. Cela couvre les animaux, qu’ils soient au pâturage ou en stabulation. Cependant, seuls les animaux qui ont subi un réel passage du courant à travers le corps sont assurés. Ce n’est pas le cas pour les victimes indirectes de la chute de la foudre, comme les animaux blessés ou tués à cause de la chute d’objets (branche d’arbre, par exemple : P. Tartera, 2005).

L’assurance mortalité du bétail est souscrite par l’éleveur pour seulement quelques animaux, souvent les vaches à haut potentiel génétique. Selon l’article L. 123-1 du Code des assurances, « en matière d’assurance contre la grêle, l’envoi de la déclaration de sinistre doit être effectué par l’assuré, sauf le cas fortuit ou de force majeure, et sauf prolongation contractuelle, dans les quatre jours de l’avènement du sinistre. En matière d’assurance contre la mortalité du bétail, ce délai est réduit à vingt-quatre heures, sous les mêmes réserves ».

Aspects législatifs sur le devenir des cadavres

Les animaux morts de maladie ou d’accident ne peuvent pas être présentés à l’abattoir. Une société d’équarrissage, désignée par le préfet, est chargée de collecter et d’éliminer les cadavres dans chaque département.

Selon les termes du Code rural (article L. 926-3), il est interdit d’enfouir, de jeter en quelque lieu que ce soit ou d’incinérer les cadavres ou les lots de cadavres d’animaux pesant au total plus de 40 kg.

Cependant, quand le vétérinaire réalise une autopsie sur place, il faut remettre toutes les parties du corps en un seul lot. Les propriétaires d’animaux de plus de 40 kg doivent alors contacter la société d’équarrissage et les cadavres sont enlevés gratuitement dans un délai de vingt-quatre heures après la réception de l’avis (article L.926-5 : P. Tartera, 2002). Dans certains cas un peu particuliers (zones de pâturage estival en montagne), les cadavres peuvent être détruits par incinération ou par un « procédé autorisé » et enfouis sur place ou dans un enclos communal (article L.926-3). Si les cadavres pèsent moins de 40 kg, la livraison à l’équarrissage n’est pas obligatoire et, si elle a lieu, le demandeur en assume la charge. Les cadavres peuvent sinon être enfouis, incinérés ou détruits par un « procédé autorisé ».

Tout détenteur de bovins doit déclarer à son vétérinaire sanitaire la mort de tout animal âgé de vingt-quatre mois ou plus. Le vétérinaire sanitaire est alors tenu de visiter l’élevage dans la demi-journée. Il doit examiner le cadavre, relever son identification, puis collecter les données épidémiologiques. Il remplit alors une « fiche d’information et de suivi de la mortalité » en quatre feuillets. Un feuillet est remis au directeur des services vétérinaires, deux feuillets sont remis à l’éleveur qui en donnera un à l’équarrisseur, un feuillet est conservé par le vétérinaire (P. Tartera, 2002).

Aspects législatifs en cas de maladies réglementées

Parmi les principales causes de mort subite, seul le botulisme fait partie des maladies à déclaration obligatoire, depuis le 18 février 2006. Cependant, il faut pour cela mettre en évidence l’agent pathogène. Ces déclarations sont anonymes et peuvent être réalisées par le vétérinaire, l’éleveur ou le laboratoire d’analyses.

En ce qui concerne les maladies réputées contagieuses, la maladie d’Aujeszky et la fièvre charbonneuse en font partie. Le préfet prend alors un arrêté de mise sous surveillance de l’exploitation. En cas de confirmation par des examens complémentaires, le préfet prend un arrêté portant déclaration d’infection. Pour la fièvre charbonneuse, la police sanitaire tient compte de l’origine de la contamination. Les animaux malades devront être isolés dans un local facile à désinfecter (soude à 10 %, formol à 5 %). Il est également possible de les laisser dans la pâture contaminée, de brûler les litières, d’éliminer les cadavres via le clos d’équarrissage et d’éviter toute autopsie ou saignée sur place. En ce qui concerne les effluents d’élevage (purins, lisiers), le chauffage à 70 °C trois fois pendant une heure à vingt-quatre heures d’intervalle est la seule méthode réellement efficace. Comme le charbon est une zoonose majeure, des mesures préventives doivent être mises en place afin d’informer les personnes à risque.

BIBLIOGRAPHIE

  • • Baussier et P. Tartera : « Principes de rédaction du rapport d’expertise », Point Vét., 2003, vol. 34, n° 236, pp. 32-35.
  • • C. Philippeau, S. Goncalves, V. Julliand : « Diagnostic bactériologique des entérotoxémies », Point Vét., 2003, vol. 34, n° 237, pp. 12-13.
  • • P. Tartera et M. Finelle : « L’expertise du foudroiement chez les bovins », Point Vét., 2001, vol. 32, n° 217, pp. 42-44.
  • • P. Tartera, F. Schelcher : « Images du foudroiement chez les bovins », Point Vét., 2001, vol. 32, n° 217, pp. 48-51.
  • • P. Tartera : « Mort, maladie, accident : le point sur la réglementation », Point Vét., 2002, vol. 33, n° 225, pp. 46-49.
  • • P. Tartera : « La garantie foudre ne s’applique qu’aux animaux foudroyés », Point Vét., 2005, vol. 36, n° 258, p. 76.
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