LA SURVEILLANCE S’ACCROÎT FACE AUX MALADIES VECTORIELLES - La Semaine Vétérinaire n° 1409 du 11/06/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1409 du 11/06/2010

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Auteur(s) : Michel Bertrou

Pour de multiples raisons, l’épidémiologie des maladies vectorielles est en train de changer. Leur distribution, leur prévalence, leur pathogénicité se font plus menaçantes. Ces défis, d’une complexité nouvelle, contraignent les gestionnaires chargés de leur surveillance à s’organiser pour mieux s’adapter. L’interdisciplinarité de la gouvernance sanitaire et de la recherche apparaît plus que jamais une nécessité. Sans quoi ces maladies, d’une provocante modernité, risquent de conserver leur avance.

Alors que l’Europe se croyait débarrassée de la menace vectorielle, de nouvelles maladies de ce type y émergent depuis une décennie. Celles qui étaient endémiques augmentent en prévalence et gagnent du terrain. Dans un contexte de grande proximité entre l’homme et l’animal, et parce que la majorité de ces maladies sont zoonotiques, les surveiller devient un enjeu de société. La variété (et la variabilité) des cycles de transmission, où interagissent agents pathogènes, vecteurs, hôtes et écosystèmes, contraint la surveillance à s’ajuster au cas par cas.

Au début des années 2000, le risque de fièvre catarrhale ovine (FCO) dépendait de l’arrivée de Culicoïdes imicola, son vecteur afro-tropical, dans le sud de la France. De même, la présence d’Aedes albopictus conditionne le risque d’implantation du chikungunya. Dans ces deux cas, la surveillance entomologique est pertinente.

Le risque d’émergence en Europe du paludisme, transmis par les anophèles, est un contre-exemple. En dépit de territoires où le moustique est abondant et d’un risque d’introduction constant (cinq à six mille cas de paludisme importés annuellement en France), les recherches menées dans le cadre du projet Eden(1) montrent qu’une réimplantation européenne de la maladie ne pourrait advenir que par une combinaison de conditions défavorables (socio-économiques et sanitaires), improbables aujourd’hui. La Camargue et d’autres régions méditerranéennes resteront certainement des zones d’anophélisme sans paludisme.

L’arrivée inattendue du sérotype 8 de la FCO (FCO 8) en 2006, transmis par des espèces autochtones de culicoïdes, ajoute encore un degré de complexité. Dans un contexte où les vecteurs sont déjà partout, la surveillance entomologique, en dépit de son intérêt scientifique, informe peu sur le risque. C’est aussi le cas de la recherche virale sur le vecteur qui, outre la difficulté de sa mise en œuvre, se révèle peu sensible : même lors de fortes circulations virales, de nombreux pools de vecteurs capturés peuvent être négatifs.

La surveillance active anticipe la surveillance passive

La surveillance s’oriente alors vers l’hôte pour y rechercher l’apparition de l’agent pathogène ou une trace de son passage. Ce dispositif, qui a permis de suivre l’avancée du front épizootique de la FCO-8 en 2007, peut se révéler précoce. La même année, des analyses effectuées à Mayotte ont décelé le passage du virus de la vallée du Rift plusieurs semaines avant les premiers signes cliniques. La surveillance peut également s’appliquer aux réservoirs sauvages de la maladie. De 2000 à 2007, la surveillance passive de la fièvre West Nile s’est associée à un suivi sérologique de sentinelles aviaires sur le littoral méditerranéen. En 2004, quelques jours avant l’apparition de la maladie chez un cheval, une séroconversion a été détectée chez un canard appelant. En dépit de son intérêt, cette surveillance a un coût et est rarement maintenue par l’Etat. D’où le besoin croissant des réseaux parallèles dans ce domaine, comme le réseau Sagir de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ou le Réseau français des vétérinaires praticiens pour la faune sauvage (RFVPFS).

Ces surveillances actives (ou planifiées) anticipent ou accompagnent la surveillance de base qui consiste à détecter les premiers signes cliniques d’une maladie chez l’homme ou l’animal domestique (surveillance passive ou événementielle). Elle reste essentielle, selon Pascal Hendrikx, chargé de mission en surveillance épidémiologique à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). « Mais étant peu sensible, précise-t-il, elle doit être régulièrement réactivée par de la communication, la formation des acteurs et la mise en place des procédures simples de notification d’événements cliniques. »

La sensibilisation des acteurs de terrain à certains signes cliniques (il s’agit de surveillance syndromique) est opérante, comme l’a montré l’attention ciblée sur les signes nerveux équins lors de l’épidémie de fièvre West Nile en 2004. L’épidémiologiste insiste également sur la notion de surveillance événementielle non spécifique : « Les maladies émergentes, dont beaucoup sont vectorielles, nous surprennent une fois sur deux, il est essentiel de rester vigilant à tout signe atypique. » Les praticiens, déjà attentifs à un certain nombre de maladies infectieuses (charbon, rage, fièvre aphteuse), doivent être sensibilisés à la nouvelle donne épidémiologique et régulièrement avertis des risques d’émergence.

A cet effet, Pascal Hendrikx participe à un groupe de travail du comité d’experts spécialisés en santé animale de l’Afssa, chargé de hiérarchiser les maladies exotiques à risque, dont la fièvre de la vallée du Rift, la fièvre Crimée Congo, l’encéphalite de Saint-Louis, etc. Un second groupe de travail établira ensuite les axes de surveillance et de lutte les plus adaptés pour chacune de ces maladies.

Il est nécessaire de mettre à disposition des outils adaptables

« Nous pouvons nous préparer à nous adapter », affirme Pascal Hendrikx. Il insiste pour cela sur la nécessité de mettre à disposition des outils adaptables. La crise de la FCO a révélé la difficulté, en France, de collecter des informations de manière standardisée et suffisamment rapide pour en tirer une gestion la plus efficace possible. Ces questions ont été au cœur des débats des Etats généraux du sanitaire (EGS) avec les mêmes conclusions : harmoniser les méthodes, mutualiser les informations sanitaires, améliorer la communication entre les acteurs, développer le retour d’information. Une coordination de la surveillance épidémiologique nationale par un comité de pilotage a également été jugée indispensable. Pascal Hendrikx souligne l’importance que la gouvernance soit partagée avec l’ensemble des acteurs (administration, praticiens, laboratoires, éleveurs, coopératives, scientifiques).

Deux autres exigences pointées aux EGS s’appliquent particulièrement aux maladies vectorielles (à l’interface de la santé animale, de la santé humaine et des questions d’environnement et de faune sauvage) : interdisciplinarité et intersectorialité. Si la recherche croise déjà les disciplines, la gestion du risque en santé humaine, en santé animale et la politique environnementale restent cloisonnées. Des initiatives positives se dessinent néanmoins. L’épidémie de fièvre West Nile en Camargue a donné lieu à une coopération interministérielle réussie. L’importance donnée désormais aux maladies vectorielles par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC(2)) témoigne d’une prise de conscience au niveau européen. La plate-forme de veille et d’alerte Glews(3) illustre une coopération internationale efficace entre santé humaine et santé animale.

Les maladies vectorielles appellent également les “surveilleurs” à resserrer leurs liens avec la recherche. L’amélioration des connaissances sur ces maladies complexes conditionne les stratégies qui leur sont destinées. De plus, la surveillance sur le terrain n’est pas toujours possible et les gestionnaires ont besoin d’outils alternatifs pour évaluer les risques présents et futurs, ainsi que pour tester virtuellement leurs dispositifs. Les modélisations conçues par les épidémiologistes peuvent se soumettre à des scénarios prospectifs (climatiques notamment) et produire des cartes du risque. Elles permettent ainsi de mieux cibler la surveillance et la sensibilisation des acteurs. Les données épidémiologiques du terrain restent néanmoins indispensables pour la conception de ces modèles et leur validation. L’échange entre chercheurs et gestionnaires doit se faire dans les deux sens.

Pour l’évolution de la surveillance globale, le dialogue avec le secteur privé est également à encourager, notamment pour leur implication dans les maladies vectorielles des animaux de compagnie. L’observation de l’extension de la leishmaniose canine en Italie a été réalisée grâce au financement d’un laboratoire vétérinaire(4).

La zoonose, qui pourrait bien devenir l’enjeu de santé publique de la prochaine décennie, est un bon exemple du rôle clé joué également par le maillage vétérinaire dans une veille sanitaire au sens large. Les études en cours sur l’évolution de la leishmaniose dans la moitié sud de la France se fondent sur les éléments que les praticiens ont été capables de fournir aux chercheurs.

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1406, page 13, ainsi que la thèse universitaire de notre confrère Nicolas Ponçon (aujourd’hui à la DGAL) : http://www.mpl.ird.fr/ur016/file/Poncon_these.pdf

  • (2) www.ecdc.europa.eu

  • (3) Glews (pour Global Early Warning and Response System for Major Animal Disease, including Zoonoses), créée en 2006, est une plate-forme de veille et d’alerte commune entre l’OMS, l’OIE et la FAO, http://www.glews.net

  • (4) Projet Leishmap en 2002-2003 soutenu par Intervet Italia. Remerciements à Pascal Hendrikx (Afssa) et également à Frédéric Beugnet (Merial), Eric Collin (SNGTV), Renaud Lancelot (Cirad) et Stéphane de La Rocque (FAO) pour leurs précieux éclairages.

Définitions

• Maladies à transmission vectorielle : maladies pour lesquelles l’agent pathogène (virus, bactérie ou parasite) est transmis d’un individu infecté (un hôte vertébré : homme ou animal) à un autre par l’intermédiaire d’un arthropode (insecte, tique) hématophage.

• Surveillance : méthode d’observation continue visant à déceler précocement et à suivre l’évolution des maladies animales dans une population donnée, en vue de l’adoption de mesures de lutte appropriées.

M. B.
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