La ligature du canal artériel est généralement curative - La Semaine Vétérinaire n° 1401 du 16/04/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1401 du 16/04/2010

Cardiologie

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Véronique Arnoux*, Damien Devaux**, Bertrand Pucheu***

Fonctions :
*(service de médecine), praticien au CHV Nordvet, à La Madeleine (Nord)
**(service de chirurgie), praticien au CHV Nordvet, à La Madeleine (Nord)
***(service de chirurgie), praticien au CHV Nordvet, à La Madeleine (Nord)

L’intervention est conseillée entre deux et quatre mois. Plus tardivement, les lésions secondaires ne sont pas totalement réversibles, mais le confort de vie est amélioré.

Une chienne berger des Pyrénées de six mois est présentée pour l’évaluation échocardiographique d’un souffle continu systolo-diastolique. Son développement corporel est normal. Aucun symptôme susceptible d’être associé à une insuffisance cardiaque n’est observé. La palpation du thorax met en évidence, cranialement, un frémissement cataire intense. Un souffle continu systolo-diastolique d’intensité 5/6, audible à gauche et à droite, est noté à l’auscultation. L’hypothèse diagnostique d’une persistance du canal artériel est retenue en premier lieu en raison de la nature du souffle cardiaque et de l’âge du chien.

Du furosémide est administré en attendant l’opération

Des clichés radiographiques dorso-ventral et latéral sont réalisés. Une cardiomégalie nette est remarquée, avec en particulier un élargissement du ventricule et de l’atrium gauches (voir photo 1). La base de la crosse aortique est bombée. Dans le parenchyme pulmonaire est notée une densification de type alvéolaire en région périhilaire, ainsi qu’un élargissement du diamètre des veines pulmonaires, compatibles avec une congestion veineuse associée à un œdème alvéolaire.

Les examens échographiques bidimensionnels et temps-mouvement (par abord parasternal droit) montrent une dilatation excentrique ventriculaire gauche en systole et en diastole, une fraction de raccourcissement conservée, une dilatation atriale gauche (voir photo 2).

L’examen Doppler couleur (coupe transpulmonaire, abord parasternal droit) met en évidence, dans l’artère pulmonaire, un flux sanguin anormal antérograde de haute vélocité, systolique et diastolique, qui débute sous les valves pulmonaires (voir photo 3). La vitesse du flux pulmonaire est normale. Le flux antérograde est mieux visualisé par l’abord gauche en Doppler couleur, sur une coupe petit axe craniale : c’est un flux de communication entre l’aorte et l’artère pulmonaire (diamètre interne de 4 mm, voir photo 4). En outre, un flux de régurgitation mitrale est observé, probablement causé par la dilatation de l’anneau mitral, car les valves ont un aspect normal. Le cœur droit ne présente pas de modification.

Ainsi, la chienne est atteinte d’une persistance du canal artériel de stade 4 [bibliographie 1, en page 44], compliquée d’une dilatation atriale et ventriculaire gauche marquée, sans hypertension artérielle pulmonaire. Un reflux mitral par dilatation de l’anneau mitral, ainsi qu’une insuffisance systolique sont également notés. Ce stade avancé conduit à une décision d’intervention chirurgicale rapide. Du furosémide est prescrit pendant une semaine, en attendant l’opération.

Le nerf vague sert de repère pour visualiser le canal artériel

La chienne reçoit une prémédication (chlorhydrate de morphine et midazolam, par voie intramusculaire) trente minutes avant l’induction. Après la pose d’une voie veineuse, l’induction est réalisée avec l’association de thiopental et de diazépam, ce qui permet une intubation trachéale et la mise en place d’un relais gazeux (isoflurane et oxygène). Une perfusion continue de fentanyl est administrée pendant toute l’intervention.

L’animal est placé en décubitus latéral droit. Après la préparation chirurgicale, une thoracotomie gauche, entre les espaces intercostaux 4 et 5, est réalisée. Le trajet du nerf vague est un repère pour visualiser le canal artériel (voir photo 6). Une fois ce dernier identifié, le nerf vague est isolé et rétracté sur un fil de suture (voir photo 7). Le canal artériel est progressivement disséqué jusqu’à passer un clamp vasculaire. Deux fils de suture (Ethibond1®) sont passés autour du canal artériel (voir photo 8 en page 44), puis ligaturés progressivement (voir photo 9). La plaie de thoracotomie est refermée sur un drain thoracique. L’analgésie multimodale mise en place associe une perfusion continue de fentanyl et l’instillation de bupivacaïne lors de la vidange du drain (toutes les six heures environ). Après quarante-huit heures et le retrait du drain thoracique, la chienne est rendue à ses propriétaires.

Un mois après l’intervention, son état général est bon et aucune complication n’est à déplorer. L’échocardiographie de contrôle montre la disparition du shunt, mais aussi la persistance de la dilatation atriale et ventriculaire. En revanche, le reflux mitral a disparu. Un nouveau contrôle est prévu six mois plus tard, afin d’évaluer la réversibilité des lésions de dilatation.

La persistance du canal artériel est la cardiopathie congénitale la plus fréquente

Le canal artériel est une structure fœtale qui permet une communication entre l’artère aorte et l’artère pulmonaire durant la vie intra-utérine. Ce canal se ferme spontanément quelques jours après la naissance. Sa persistance conduit à un shunt extracardiaque gauche-droite, sauf en cas de canal large ou d’hypertension artérielle pulmonaire [1]. C’est la cardiopathie congénitale la plus fréquemment rencontrée et certaines races canines sont prédisposées (caniche, cocker, berger allemand, setter irlandais, spitz, colley, shetland) [1-2]. Les femelles sont les plus représentées [2]. Parmi les causes de non-fermeture du canal artériel figure une gaine musculaire insuffisante, qui conduit à une action sphinctérienne de mauvaise qualité lors de sa fermeture [3].

L’échocardiographie permet notamment d’évaluer les lésions cardiaques associées

Le diagnostic est clinique : la présence d’un soufflecontinusystolo-diastoliquebasal gauche est quasi pathognomonique de la persistance du canal artériel chez un chiot. Les examens complémentaires, en particulier l’échographie,ontpourbutd’éliminerles autres causes de souffle systolo-diastolique (sténose et insuffisance aortique ou pulmonaire), d’évaluer les conséquences hémodynamiques du shunt sur la morphologie cardiaque et d’établir un stade de maladie. A partir de cette évaluation échographique, une indication chirurgicale et un pronostic de récupération postopératoire seront établis.

Les radiographies peuvent mettre en évidence une dilatation de la crosse aortique, du tronc et des veines pulmonaires, un élargissement de l’atrium gauche et une cardiomégalie droite. L’échocardiographie permet d’apprécier la surcharge volumique qu’occasionne le shunt dans l’artère pulmonaire principale, les artères et veines pulmonaires, l’atrium et le ventricule gauches [4]. Le mode temps-mouvement permet d’évaluer la dilatation excentrique ventriculaire gauche, proportionnelle à l’importance du shunt. Cette dilatation s’accompagne fréquemment d’un mouvement septal exagéré. Lorsque la dilatation ventriculaire est importante, la fraction de raccourcissement est diminuée, ce qui témoigne de l’insuffisance myocardique. L’atrium gauche apparaît dilaté également, ainsi que la crosse aortique et l’artère pulmonaire principale. La morphologie du canal est visualisée en deux dimensions ou grâce au Doppler couleur : il est généralement large au niveau de l’aorte et se rétrécit vers l’artère pulmonaire. Le canal est repéré par le Doppler couleur puisqu’il génère, dans l’artère pulmonaire, une turbulence liée au passage du sang dans un orifice rétréci [4]. Une régurgitation mitrale est fréquemment observée, causée par une anomalie morphologique de l’appareil valvulaire ou une dilatation de l’anneau mitral [2].

En outre, il convient de guetter des signes d’hypertension artérielle pulmonaire, comme une fuite tricuspidienne ou une inversion de shuntquisetraduitparunehypertrophieconcentriqueduventricule droit. Une échographie de contraste peut alors se révéler nécessaire [1-4]. L’échocardiographie permet de définir un degré de gravité dont dépend le pronostic : du stade1 (aucune conséquence hémodynamique) au stade5 (dilatation atriale et ventriculaire en systole et diastole, parois amincies) [5].

La ligature du canal artériel est curative lorsqu’elle est pratiquée avant six mois

De manière générale, la présence d’une persistance du canal artériel, avec un flux de gauche à droite, est une indication à l’occlusion de celui-ci. En revanche, la présence d’un flux bidirectionnel, ainsi que d’un flux de droite à gauche, est une contre-indication chirurgicale.

L’intervention peut avoir lieu à partir de l’âge de huit semaines (ou d’un poids supérieur à 0,5 kg) et de préférence avant seize semaines [6].

La ligature du canal artériel est curative dans la plupart des cas lorsqu’elle est pratiquée avant six mois. Lors de ligature plus tardive (animal de plus de neuf mois), les lésions secondaires ne sont pas toujours réversibles, mais la ligature du canal améliore significativement le confort de vie de l’animal [8].

L’intervention est à prévoir lorsque l’état de l’animal est stable. Lors d’insuffisance cardiaque congestive, elle se fera généralement dans les vingt-quatre à quarante-huit heures après l’administration d’un diurétique. En cas d’hypertension pulmonaire, elle peut être pratiquée tant que la pression artérielle pulmonaire n’a pas atteint la pression artérielle systémique. L’existence d’une relation entre la présence d’un reflux mitral préopératoire et la diminution du taux de survie n’est pas clairement établie : une étude rétrospective menée sur quatre-vingts chiens associe ce reflux à la baisse du taux de survie [2], alors qu’une autre, plus récente, ne montre pas de différence significative [10]. Selon les auteurs, cela s’explique par l’absence de lésions irréversibles du myocarde. La mortalité peropératoire est comprise entre 0 et 5 % et dépend principalement de l’âge de l’animal et de l’expérience du chirurgien [16].

La présence d’un flux résiduel postopératoire est assez fréquente

L’occlusion du canal artériel se fait classiquement par la ligature du canal après une thoracotomie gauche et la dissection de celui-ci. Deux techniques de ligature sont décrites.

La technique standard consiste à passer un clamp vasculaire médialement au canal, afin de récupérer les ligatures. Une bradycardie réflexe peut être observée, mais elle est transitoire et due aux variations de pression induites par la ligature du canal. La complication principale de ce type de ligature est la rupture du canal (souvent mortelle) lors de sa dissection médiale [9]. En sa présence, l’induction d’une hypotension (injection intraveineuse de nitroprussiate de sodium) permet de diminuer les saignements et de faciliter la ligature du canal [13]. Afin de limiter les risques de rupture, W. F. Jackson et R. A. Henderson ont décrit une technique de passage indirecte des ligatures, qui permet d’éviter une dissection médiale [11].

Quelle que soit la technique utilisée, la présence d’un flux résiduel postopératoire est assez fréquente (entre 20 et 50 %), mais sans conséquence clinique, car il disparaît généralement dans les trois mois postopératoires. Le passage indirect des ligatures (technique Jackson et Henderson) induit un taux plus important d’animaux qui présentent un flux résiduel [12].

Des techniques mini-invasives permettent de faire baisser la mortalité peropératoire

Pour diminuer les douleurs postopératoires et les risques associés à la dissection du canal artériel, des techniques mini-invasives et d’occlusion transartérielle ont été développées.

La mise en place de clips vasculaires, guidés par thoracoscopie, semble donner des résultats identiques aux techniques classiques, avec une douleur postopératoire moins importante, mais nécessite une mesure précise du diamètre du canal [14].

Les techniques d’occlusion transartérielle, guidée par fluoroscopie, permettent l’embolisation du canal par un plug vasculaire (Amplatzer) ou par un coil. Cette procédure nécessite un guidage fluoroscopique et une angiographie préopératoire, afin de déterminer le type morphologique du canal et la taille du matériel d’occlusion. Outre son innocuité, son principal intérêt réside dans l’absence de dissection du canal, ce qui en fait une technique de choix pour les reprises chirurgicales lors de revascularisation ou de flux résiduel important [15]. Les complications observées sont mineures (migration du coil, hématome de l’artère fémorale et obstruction d’une artère pulmonaire) [16]. La principale limite à son utilisation est la disponibilité et la taille du matériel, ainsi que l’expérience du chirurgien. Le suivi de deux cent cinquante-cinq cas traités par une embolisation par coil montre des résultats semblables aux techniques par ligature (environ 95 % des animaux traités en une seule intervention), mais une mortalité peropératoire moins importante (inférieure à 1 % lors du traitement par coil) [16].

BIBLIOGRAPHIE

  • 1 – V. Chetboul et coll. : Echocardiographie et écho-doppler du chien et de chat, éditions Masson, 1999.
  • 2 – N. Van Israël et coll. : « Long-term follow-up of dogs with patent ductus arteriosus », JSAP, 2003, vol. 44, pp. 480-490.
  • 3 – J.W. Buchanan et D.F. Patterson : « Etiology of patent ductus arteriosus in dogs », J. Vet. Intern. Med., 2003, vol. 17, pp. 167-171.
  • 4 – T. Nyland et J. Mattoon : Small animal diagnostic ultra-sound, 2e édition, impression Saunders, 2002.
  • 5 – M. Schneider et coll. : « Transthoracic echocardiographic measurement of patent ductus arteriosus in dogs », J. Vet. Intern. Med., 2007, vol. 21, pp. 251-257.
  • 6 – J.W. Buchanan : « Patent ductus arteriosus », Semin. Vet. Med. Surg. Small Anim., 1994, vol. 9, p. 168.
  • 7 – K.R. Goodrich et coll. : « Retrospective comparison of surgical ligation and transarterial catheter occlusion for treatment of patent ductus arteriosus in two hundred and four dogs (1993-2003) », Vet. Surg., 2007, vol. 36, p. 43.
  • 8 – J.K. Goodwin et C.W. Lombard : « Patent ductus arteriosus in adult dogs : clinical features of 14 cases », JAAHA, 1992, vol. 28, p. 349.
  • 9 – G.B. Hunt : « Intraoperative hemorrhage during patent ductus arteriosus ligation in dogs », Vet. Surg., 2001, vol. 30, p. 58.
  • 10 – S. Bureau et coll. : « Evaluation of survival rate and prognostic indicators for surgical treatment of left-to-right patent ductus arteriosus in dogs : 52 cases (1995-2003) », Javma, 2005, vol. 227, pp. 1 794-1 799.
  • 11 – W.F. Jackson et R.A. Henderson : « Ligature placement in closure of patent ductus arteriosus », JAAHA, 1979, vol. 15, pp. 55-58.
  • 12 – J.S. Bryden et coll. : « Comparison of the incidence of residual shunting between two surgical techniques used for ligation of patent ductus arteriosus in the dog », Vet. Surg., 2003, vol. 32, pp. 231-237.
  • 13 – S.L. Hunter et coll. : « Sodium nitroprusside-induced deliberate hypotension to facilitate patent ductus arteriosus ligation in dogs », Vet. Surg., 2003, vol. 32, pp. 336-340.
  • 14 – N. Borenstein : « Minimally invasive patent ductus arteriosus occlusion in 5 dogs », Vet. Surg., 2004, vol. 33, pp. 309-313.
  • 15 – Y. Fujii : « Coil occlusion of residual shunts after surgical closure of patent ductus arteriosus », Vet. Surg., 2006, vol. 33, pp. 781-785.
  • 16 – S.G. Gordon : « Transarterial coil embolization for canine patent ductus arteriosus occlusion », Clin. Tech. Small Anim. Pract., 2005, vol. 20, pp. 196-202.
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