Un inventaire de pratiques, croyances et régulations - La Semaine Vétérinaire n° 1398 du 26/03/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1398 du 26/03/2010

Istanbul. Dialogue sur l’abattage rituel

Actualité

Auteur(s) : Karin de Lange

Le projet Dialrel, financé par l’Union européenne, regroupe des partenaires de onze pays. Son but est de faciliter l’adoption de bonnes pratiques d’abattage rituel.

Quel est le pourcentage de viande actuellement obtenu selon les pratiques halal ou shechita ? Quel est l’impact sur le bien-être animal et comment peut-on l’améliorer ? Comment l’abattage rituel est-il encadré dans les différents pays européens ? Les réponses à toutes ces questions et bien d’autres ont été présentées, les 15 et 16 mars derniers à Istanbul (Turquie), lors de la conférence finale du projet Dialrel (dialogue sur l’abattage rituel) de l’Union européenne, en présence d’environ quatre-vingts participants, dont des législateurs, des chercheurs vétérinaires, des sociologues et des représentants des communautés religieuses concernées.

Ce projet de recherche, d’une durée de trois ans, a été lancé en octobre 2006 afin « d’explorer les conditions pour promouvoir un dialogue entre les groupes d’intérêt, dans le but de faciliter l’adoption de bonnes pratiques d’abattage rituel ». Un objectif supplémentaire était de revoir et de proposer un mécanisme pour mettre en œuvre et surveiller ces bonnes pratiques. A cette fin, un certain nombre d’enquêtes, de recherches, d’études de terrain et de réunions ont été organisées et leurs résultats présentés et débattus à Istanbul.

Aujourd’hui, la législation sur l’abattage rituel repose sur deux principes, considérés comme contradictoires. D’un côté, le bien-être animal fait l’objet d’une attention croissante, ce qui a conduit à l’interdiction de l’abattage sans étourdissement préalable. De l’autre, il y a la protection des droits fondamentaux de la liberté religieuse. L’interdiction d’étourdir les animaux avant de les abattre, soutenue par la plupart des communautés juives orthodoxes et de nombreuses communautés musulmanes, est la caractéristique de l’abattage rituel pris en compte par la législation des différents Etats. La plupart des pays de l’Union autorisent en effet l’abattage rituel sans étourdissement préalable, sauf la Lettonie et la Suède, tandis que le Danemark l’interdit pour les bovins. En revanche, certains pays obligent à un étourdissement après la coupe : l’Autriche, le Danemark (pour les bovins), la Finlande et la Slovaquie. En cas d’abattage rituel, certaines conditions s’appliquent généralement, comme la nécessité d’un abatteur certifié et/ou compétent.

Douleur, souffrance, anxiété pendant la coupe et la saignée

« Sans tomber dans le jugement de valeur, la saignée sans étourdissement au préalable pose le risque le plus élevé pour le bien-être animal, puisque la contention avant et pendant la saignée impose une manipulation supplémentaire de l’animal. De plus, la douleur, la souffrance et l’anxiété pendant la coupe et la saignée sont hautement probables. » Voici l’une des conclusions de nos confrères Karen von Holleben, de l’Institut de conseil et de formation pour la bonne gestion des animaux de boucherie (BSI Schwarzenbek, Allemagne), et Antonio Velarde, de l’Institut de recherche et technologie sur le bien-être animal (IRTA, Espagne). Dans un rapport détaillé, ils précisent la base physiologique de la douleur, de la peur et du stress, ainsi que les principes de la contention, en comparant les différentes méthodes d’abattage. Ils ont également étudié la perte sanguine chez les bovins et les ovins, et le temps nécessaire pour la perte de conscience en cas d’abattage sans étourdissement. « La plupart des bovins semblent perdre conscience entre 5 et 90 sec après la coupe. Cependant, en conditions expérimentales, un regain de conscience durant plus de 5 min est observé. » La plupart des petits ruminants semblent perdre conscience dans les 2 à 20 sec après le début de la saignée, même si un regain de conscience peut durer jusqu’à 2 min.

Dans une étude réalisée dans un abattoir halal avec du personnel hautement qualifié, 14 % des bovins se sont relevés après s’être effondrés et avant de tomber de nouveau. 8 % des animaux sont restés debout 1 min ou plus avant leur effondrement final et pour deux sur cent soixante-quatorze, il a fallu plus de 4 min. « L’inquiétude majeure est que les animaux continuent de ressentir la douleur ou qu’ils soient exposés à d’autres stimuli douloureux comme le détachement de la contention ou l’accrochement à la chaîne alors qu’ils sont toujours conscients », souligne Karen von Holleben.

La douleur de la coupe en elle-même est difficile à évaluer et ne peut être mesurée par un dosage de cortisol, étant donné que l’hormone corticotrope (ACTH) ne peut atteindre les glandes adrénales par la circulation sanguine. Même si la douleur d’une coupe aiguë est souvent considérée comme faible (par exemple, lorsqu’un chirurgien se coupe, il ne s’en rend parfois compte que bien plus tard), celle de la gorge implique une lésion tissulaire importante sur une zone étendue. En outre, la souffrance ne dépend pas uniquement de la “qualité” de la coupe. Les facteurs de risque en rapport avec la douleur incluent des coupes répétées ou supplémentaires, un temps de coupe prolongé, un couteau émoussé, une lame abrasive, un diamètre plus important de la gorge ou des animaux excités qui bougent pendant la coupe.

Un nombre plus élevé de coupes lors d’abattage en position debout

« L’une des observations choquantes concerne le nombre de coupes nécessaires lors d’abattage sans étourdissement préalable », a déploré Antonio Velarde lors de sa présentation des résultats d’une enquête sur des pratiques d’abattage halal dans plusieurs pays européens (Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne, Royaume-Uni), ainsi qu’en Turquie et en Australie. Des visites dans dix-huit abattoirs de bovins, douze d’ovins et cinq de volailles ont permis d’évaluer les méthodes de manipulation et de contention, l’étourdissement éventuel, les procédures de la coupe et la gestion après la coupe.

Pour l’abattage rituel des ovins, une à six coupes au minimum sont nécessaires pour sectionner les vaisseaux majeurs de la gorge. Pour les bovins, entre une et soixante coupes sont comptabilisées. Le nombre moyen de coupes requises augmente (dix en moyenne) lorsque l’animal à saigner est maintenu debout. Une position dorsale ou sur le côté apparaît nettement plus facile pour l’abatteur (“seulement” trois à cinq coupes en moyenne), mais le taux d’animaux qui se débattent ou vocalisent est plus élevé dans ces conditions.

La problématique de l’étiquetage de la viande

Même si le dialogue avec les communautés religieuses sur le thème de l’abattage rituel n’a pas toujours été facile, il a parfois eu lieu. En particulier, les communautés musulmanes ont semblé disposées à accepter des compromis, comme l’étourdissement réversible ou l’étourdissement après la saignée. Cependant, la possibilité d’étiqueter la viande comme provenant d’un animal étourdi/non étourdi avant son abattage a suscité beaucoup d’oppositions, surtout de la part des communautés juives religieuses qui n’utilisent qu’une partie de la carcasse(1) et pourraient avoir des difficultés à vendre le reste en cas d’étiquetage. Certains sont même allés jusqu’à considérer toute initiative d’étiquetage comme une « pure discrimination » contre les juifs croyants.

« En 2002, la Fédération vétérinaire européenne (FVE) a adopté une position qui stipule que, pour le respect de l’animal en tant qu’être sensible, la pratique de l’abattage sans étourdissement préalable est inacceptable, quelles que soient les circonstances, a rappelé notre consœur Nancy de Briyne, directeur exécutif adjoint de la FVE, lors de sa présentation à Istanbul. Cela dit, pour être réaliste, notre document liste également quelques conditions minimales à respecter en cas d’abattage d’animaux sans étourdissement préalable. »

Ainsi, la FVE recommande l’interdiction de la rotation à 180° des bovins, favorise une présélection des animaux destinés à l’abattage rituel, et estime que les éleveurs devraient avoir le droit de savoir comment leurs animaux sont abattus. Elle ne partage pas l’opinion selon laquelle l’étiquetage est discriminatoire et milite pour que les consommateurs aient le droit d’être informés que la viande provient d’un animal étourdi ou non avant l’abattage.

Notre consœur s’est aussi prononcée en faveur de procédures standard lors de l’abattage, et de leur exécution surveillée. « Le vétérinaire officiel serait alors la personne idéale pour vérifier les méthodes d’évaluation et le suivi correct des procédures standard. » Selon elle, le projet Dialrel est un pas en avant important : « Pour la première fois, nous disposons de statistiques sur le nombre d’animaux concernés, d’explications sur les motivations des consommateurs halal et casher, et du recensement le plus complet jamais réalisé sur les aspects vétérinaires dans le cadre de l’abattage sans étourdissement préalable. »

  • (1) Une vidéo est également disponible sur le site WK-Vet.fr, rubrique “Semaine Vétérinaire” puis “Compléments d’articles”.

  • (2) Tous sont consultables sur www.dialrel.eu

  • (3) Selon le conférencier, car beaucoup d’interprétations différentes existent.

Qu’est-ce que le projet Dialrel ?

Ce projet, financé par l’Union européenne, regroupe des partenaires de onze pays. Sur le thème de l’abattage rituel, son objectif est de stimuler le dialogue entre les acteurs. Le projet est multidisciplinaire et fondé sur une étroite collaboration entre les vétérinaires, les nutritionnistes, les sociologues, les juristes et les groupes d’intérêt. Dialrel a produit nombre de rapports et de fiches sur des sujets(2) comme les critères religieux, la législation, les préoccupations vétérinaires et de bien-être animal, les pratiques d’abattage actuelles, le comportement des consommateurs d’aliments halal et casher et le développement des marchés de la viande casher et halal.

K. de L.

Pratiques d’abattage rituel

• Abattage halal(3)

– l’animal doit être vivant au moment de l’abattage ;

– le sang doit couler de la coupe ;

– le nom d’Allah doit être prononcé ;

– l’abatteur ne doit pas forcément être musulman, mais doit être autorisé ;

– l’abattage orienté vers La Mecque n’est pas une obligation absolue ;

– l’étourdissement par matador “réversible” ou après la coupe peut être une solution acceptable.

• Abattage casher :

– l’animal (certaines espèces uniquement) doit être tué correctement et humainement ;

– l’abattage (shechita) ne peut être réalisé que par un shochet (tueur rituel formé et certifié) ;

– le couteau (chalef) doit être très aiguisé et la lame de deux fois la longueur du cou ;

– l’animal et la tête doivent être contenus, il doit être saigné d’un seul coup ;

– certaines parties de l’animal ne sont pas considérées comme casher (le sang, certaines graisses, le nerf sciatique et ses branches). Puisqu’ils contiennent beaucoup de tissu gras interdit et que le nerf sciatique est difficile à enlever, les quartiers arrière sont en général écartés dans leur ensemble (et vendus comme viande non casher) ;

– l’étourdissement (y compris après la coupe) est inacceptable.

K. de L.
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