Le dosage des lactates est précieux en réanimation - La Semaine Vétérinaire n° 1398 du 26/03/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1398 du 26/03/2010

Biochimie

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Alexandre Balzer

Fonctions : CEAV de médecine interne, praticien à Bellerive-sur-Allier (Allier)

La lactatémie constitue un bon marqueur précoce de l’acidose lactique. Sa mesure répétée, simple et peu coûteuse, permet d’anticiper les complications.

Le dosage des lactates est un outil d’aide au diagnostic et au pronostic chez un animal dans un état critique. Simple à réaliser et à interpréter, il permet d’évaluer l’hypoperfusion et l’hypo-oxygénation tissulaire. Grâce à sa surveillance, il est possible d’anticiper et de pallier les éventuelles complications. La technique de dosage est fiable, aisée et rapide. De plus, le coût modéré de l’analyse autorise son utilisation courante. En médecine vétérinaire d’urgence, cet outil est peu connu et sous-utilisé. Sa mesure est quotidiennement employée dans les services d’urgence et de soins intensifs de médecine humaine pour le triage, la caractérisation de l’acidose métabolique, le diagnostic des hypoperfusions, l’anticipation des complications postréanimation ou postopératoires.

L’acide lactique est le produit final de la glycolyse anaérobie

Lorsque le glucose ou le glycogène est transformé en acide pyruvique dans une cellule, il peut intégrer le cycle de Krebs (mécanisme aérobie) ou être dégradé en acide lactique (mécanisme anaérobie). D’autres processus peuvent être à l’origine de l’accumulation de lactate, comme une accélération de la glycolyse lors d’une sécrétion importante de catécholamines ou une modification importante du métabolisme des cellules musculaires au cours d’un choc circulatoire. Tous les tissus peuvent produire, selon les conditions, de l’acide lactique. Cependant, certains fabriquent un taux basal de lactate quelles que soient les conditions. Il s’agit du tissu musculaire, des érythrocytes, du cerveau,dutractus gastro-intestinal, de la médullaire rénale, de la rétine et de la peau. Le foie, les reins et le cœur utilisent habituellement le lactate et ne le produisent que dans des conditions hypoxiques. Les érythrocytes, en revanche, ont toujours le lactate pour produit final de la glycolyse, même en aérobiose.

L’organisme ne possède qu’une seule voie efficace de transformation des lactates, via le foie, unique organe possédant la lactate déshydrogénase, capable de produire du pyruvate à partir du lactate. En présence d’oxygène, 80 % du pyruvate est converti en dioxyde de carbone et en eau, ce qui autorise la formation d’ATP, le reste est métabolisé en glucose grâce à la néoglucogenèse. Dans une moindre mesure, le lactate peut être métabolisé en pyruvate dans le rein.

L’acidose lactique signe une hypoxie ou une hypoperfusion tissulaire

L’hyperlactatémie, ou acidose lactique, est due à l’augmentation de la concentration sanguine de l’acide lactique. Cette hausse peut avoir différentes origines, en particulier une élévation de sa production ou un défaut de son élimination. Deux types de causes d’hyperlactatémie peuvent être distingués. Le type A, hypoxique, est dû à un déficit de la délivrance en oxygène aux tissus, mais les mitochondries des cellules sont fonctionnelles. Les causes sont nombreuses, comme une hypoxie respiratoire, un déficit cardiaque ou un déficit du transporteur de l’oxygène. Le type B, non hypoxique ou métabolique, regroupe les causes imputables à un trouble du métabolisme du lactate, sans hypoxie. Il peut s’agir d’une production excessive (augmentation du besoin d’ATP, intoxication au cyanure, hausse de la sécrétion des catécholamines, etc.), d’une insuffisance d’utilisation (dysfonctionnement de la lactate déshydrogénase, carence en thiamine, etc.), d’une anomalie hépatique (destruction des cellules, altération de la néoglucogenèse, etc.), mais aussi du diabète acido-cétosique, de l’insuffisance rénale, de certains cancers et de l’emploi de certains médicaments et toxiques (phenformine, salicylés, AZT, alcool, éthylène glycol, etc.).

Les états de choc entraînent une production accrue de lactate. Ainsi, la lactatémie est dans ce cas particulièrement intéressante à évaluer. Sa surveillance est fondamentale dans le cadre du suivi de l’évolution de l’animal selon les traitements proposés. En effet, lors d’un état de choc, qu’il soit hypovolémique, cardiogénique, hypoxique, cytocellulaire ou complexe, les principales manifestations cliniques observées chez l’animal sont une déshydratation, une hypotension (pression systolique inférieure à 80 mmHg), un défaut d’oxygénation, une oligurie (diurèse inférieure à 2 ml/kg/h) et une hypothermie.

Une perfusion de Ringer lactate influence peu les valeurs de la lactatémie mesurée. Même à des débits importants, l’apport du lactate est négligeable par rapport à la quantité présente dans l’organisme et à la capacité de détoxification du foie (un débit de perfusion supérieur à 30 ml/kg/h est susceptible de produire une augmentation de lactatémie).

Le dosage des lactates a une valeur pronostique dans le cadre d’une réanimation

En médecine humaine, une corrélation entre la lactatémie le jour de l’admission du patient et la probabilité qu’il survive est démontrée. Celle-ci est en effet de 82 % pour une valeur inférieure à 1 mmol/l, de 26 % pour une valeur comprise entre 2 et 4 mmol/l et n’est plus que de 11 % pour une lactatémie supérieure à 4 mmol/l.

Chez le chien, ces valeurs seuils sont moins bien documentées. Toutefois, il est possible de mettre en évidence qu’une lactatémie inférieure à 6 mmol/l à l’admission, avec une normalisation rapide, souligne un taux de survie significatif. A l’inverse, une valeur répétée et supérieure à 6 mmol/l implique l’observation d’un taux de mortalité significatif. Une étude sur cent deux chiens (De Papp, Javma, 1999) montre que 99 % de ceux dont la lactatémie est inférieure à 6 mmol/l survivent, alors que le taux de survie est de 58 % pour les chiens qui présentent une lactatémie supérieure à 6 mmol/l. Par ailleurs, ces travaux révèlent que lors de syndrome dilatation-torsion de l’estomac, la lactatémie est une bonne valeur prédictive de la nécrose gastrique. Des valeurs hautes sont extrêmement péjoratives.

Une autre recherche (Lagutchik, J. Vet. Emergency and Crit. Care, 1998) incluant des chiens accidentés et atteints de maladies diverses (choc hypovolémique, tumeur hépatique, torsion de rate, pancréatite, anémie hémolytique auto-immune, etc.) met en évidence la corrélation entre l’élévation de la lactatémie et le taux de survie.

La valeur pronostique de la lactatémie est d’autant plus pertinente qu’une cinétique, plutôt que des valeurs isolées, est utilisée. Une étude (Azan, Crit. Care, 2006) menée chez trente-trois chiens atteints de traumatisme sévères admis dans un service d’urgence montre que le suivi des valeurs de lactatémie durant vingt-quatre heures a une bonne valeur prédictive sur le devenir de l’animal.

Il existe plusieurs limites au dosage de la lactatémie

De nombreux facteurs physiologiques influencent la lactatémie. Par exemple, après un effort intense, sa valeur moyenne chez un chien non entraîné avoisine 4 mmol/l. Des chercheurs (Valenza, Crit. Care, 2005) ont récemment évoqué le fait qu’une augmentation de la lactatémie n’est pas toujours corrélée à une issue fatale, dans la mesure où elle peut témoigner de la mise en place d’une réponse adaptative de l’organisme face à un désordre énergétique aigu. En outre, l’interprétation d’une hyperlactatémie doit se faire en tenant compte du statut acido-basique de l’individu. En effet, l’acidose peut être la cause ou la conséquence d’un déficit énergétique. Lorsqu’elle est la cause, l’augmentation de la lactatémie est modérée et la correction du pH améliore le désordre métabolique. Quand elle est la conséquence d’un déficit énergétique primaire, la hausse de la lactatémie, sans amélioration de ce déficit, altère la réponse adaptative de l’organisme, et le pronostic se révèle plus sombre.

La différence de la valeur obtenue sur sang artériel ou sur sang veineux est minime

Le prélèvement, sur tube hépariné, peut être réalisé sur du sang artériel ou veineux. Des différences de valeurs existent entre les sites de ponction, mais elles sont relativement peu importantes. Il est recommandé de prélever du sang artériel, puisqu’il reflète plus un phénomène systémique que local. Cependant, l’écart entre la valeur de la lactatémie sur sang artériel et sur sang veineux est minime. Pour des raisons pratiques, le prélèvement peut donc se faire sur du sang veineux. Le dosage doit être réalisé dans les minutes qui suivent. Il est possible de pratiquer l’analyse sur sang total ou sur plasma. Le dosage peut cependant être différé en centrifugeant le prélèvement et en ne gardant que le plasma. La lactatémie alors mesurée est légèrement majorée (augmentation de 1 mmol/l en deux heures). La conservation du sang congelé n’est pas documentée. L’intérêt de ce dosage réside cependant dans sa pertinence à évaluer précocement une hypoxie. Un dosage différé apporte moins d’informations.

La concentration en lactate au sein d’un organisme est le témoin de l’hypoxie ou de l’hypoperfusion tissulaire. En conséquence, son dosage permet un diagnostic précoce lors de déficit de distribution tissulaire en oxygène. Une augmentation de la lactatémie apparaît rapidement et proportionnellement au défaut d’oxygène. Ce dosage est en outre un bon outil pronostique et permet une anticipation des complications éventuelles, en particulier dans le cadre du monitorage d’une réanimation. Il constitue une aide précieuse pou rétablir ou affiner un diagnostic différentiel en cas d’acidose métabolique ou d’épanchements abdominaux septiques. Le suivi des valeurs de la lactatémie permet d’appréhender l’évolution de la récupération de l’animal ou de constater l’aggravation de son état, et d’envisager éventuellement un traitement plus agressif.

CONFÉRENCIER

Alexandre Balzer, CEAV de médecine interne, praticien à Bellerive-sur-Allier (Allier).

Article rédigé d’après la conférence « Intérêt pratique du dosage des lactates », présentée au congrès de Vichy, 2009.

Le dosage des lactates en pratique

La lactatémie constitue un marqueur précoce de l’acidose lactique. Sa mesure répétée permet une bonne anticipation des complications.

• La lactatémie oscille entre 0,5 et 2,5 mmol/l chez le chien et entre 1,2 et 3,7 mmol/l chez le chat.

• Une valeur élevée (> 6 mmol/l) suggère que le chien souffre d’hypoxie et qu’il y a un risque d’acidose lactique, ou qu’il présente une insuffisance hépatique.

• Une mesure systématique est utile dans un service d’urgence. La simplicité de réalisation du dosage permet une utilisation régulière.

• Il est préférable de réaliser une série de mesures plutôt que des mesures isolées. Les résultats de la cinétique de la lactatémie sont bien plus significatifs et fiables en tant qu’outil pronostique.

• Chaque paramètre doit être remis dans son contexte : la mesure de la lactatémie ne peut pas remplacer une évaluation clinique complète de l’animal. La mise en place ou non d’un traitement ne peut pas reposer sur les seules valeurs de la lactatémie.

• L’acidose lactique doit être considérée comme le signe d’une anomalie sous-jacente. Elle suggère la présence d’importantes altérations du métabolisme cellulaire.

A. B.
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