Nos cerveaux nous dirigent… et nous bernent

85 % de la masse totale de notre cerveau (le cortex) commande la conceptualisation, l’imagination, les émotions complexes, la parole, l’écriture et bien d’autres fonctions développées au fil des siècles. Pourtant, une autre partie de ce même cerveau nous pousse à prendre des décisions irrationnelles, contre notre intérêt, non par altruisme, mais sous le coup de la dictature de l’émotion. Pour régler ces “humeurs”, l’une des techniques consiste à s’ancrer dans notre corps pour éprouver la conscience de soi.

Le mécanisme de décision est particulièrement complexe

L’expérience du professeur Joshua Greene, de l’université de Princeton, est riche d’enseignements. La situation exposée “aux cobayes” est la suivante : un train se précipite à vive allure et va tuer cinq personnes qui se trouvent sur les rails. La seule façon de l’arrêter est de pousser une sixième personne devant le train. Le ferez-vous ? La réponse (oui ou non) doit être immédiate. Deuxième dilemme : le train fonce toujours et cinq personnes se trouvent sur la voie de gauche d’un aiguillage. Un individu est sur la voie de droite. Le train, dans l’incapacité de freiner, va écraser les cinq personnes, sauf si vous actionnez le levier de l’aiguillage. Dans ce cas, le train passera à droite, ce qui les épargnera, mais provoquera la mort du sixième individu… Une nouvelle fois, la réponse (oui ou non) doit être immédiate.

Cette expérience n’a pas pour objet d’évaluer une quelconque problématique argumentée, mais d’enregistrer immédiatement la réaction, comme dans n’importe quelle situation de danger. L’attitude commune consiste à répondre « non » au premier dilemme et « oui » au second. Pourtant, la réponse « non » à la première question aboutit au décès de cinq personnes, au lieu d’une seule pour la seconde.

Joshua Greene a utilisé l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour observer les zones du cerveau affectées au moment de la décision. Dès qu’il s’agit d’envisager de pousser un homme sous le train, l’aire sollicitée est celle des lobes frontal et pariétal, c’est-à-dire les zones “de la peur”. La résistance au fait de pousser une personne sous un train prend le nom de circonvolution cingulaire postérieure. Elle contrôle les émotions. Dès que le sujet s’interroge sur l’actionnement du levier d’aiguillage, cette région du cerveau n’entre pas en jeu. Les deux actions sont donc le résultat d’un cheminement interne totalement distinct. Ainsi, le cerveau (ou plutôt les cerveaux) réagit différemment suivant le degré d’émotion éprouvé.

Trois cerveaux et deux hémisphères pour un seul homme

Nous disposons de trois cerveaux (ou trois couches différentes). Le premier est dit “intérieur” ou reptilien. Il s’agit de celui, plus ancien, que l’homme a en commun avec les vertébrés. Il est lié à la survie et provoque des réactions mécaniques et rapides. Le deuxième est “intermédiaire” ou paléo-mammalien. Il s’est développé avec le temps. Il est le siège de la conscience des événements, du ressenti. Il permet de tirer profit des expériences passées. Le troisième est le néocortex, le plus sollicité. Il s’est considérablement développé avec le monde moderne. Y siègent la conceptualisation, la création et la communication (parole, écriture).

Selon que nous réfléchissons dans le calme ou sous le coup d’une émotion, les zones mises en action diffèrent. En outre, à ces trois aires s’ajoute la division du cerveau en deux hémisphères, gauche (siège de la logique) et droit (siège de l’intuition).

Le contrôle de l’état psychophysiologique marque le début du salut…

L’avancée de sciences comme la neuro-économie montre que les molécules libérées par les émotions prennent le cerveau en otage. Les émotions nous obligent à nous comporter comme si nous étions dans une situation de grand danger. Le cerveau reptilien dicte alors notre conduite, tandis que le cortex, activé en situation de calme, nous indique ce qu’il faut faire de rationnel. Le reptilien veut tout, tout de suite. Le cortex est constructif et s’occupe du long terme, du lendemain. Ainsi, sous le coup d’une émotion, nous achetons tout de suite (reptilien), avant de regretter (cortex).

Pour s’affranchir de ce fonctionnement, il convient de s’exercer à prendre conscience de notre globalité. Pour y parvenir, nous devons nous “ancrer” en nous-même, par exemple, prendre conscience de nos pas quand nous marchons, de notre respiration, etc. Le but est de casser le plus souvent possible les automatismes. Différer les décisions lorsque nous sommes sous le coup d’une émotion ou fatigué est une autre bonne résolution. Noter ces résolutions “noir sur blanc” et s’efforcer de s’y tenir le plus souvent possible, cela laisse espérer un résultat et la fin de la “dictature du cerveau”.