En tant que retraité, quel regard portez-vous sur la profession aujourd’hui ?

Le vétérinaire est devenu un chef d’entreprise

On ne peut pas dire que l’exercice de la profession est plus facile ou plus difficile aujourd’hui qu’autrefois. Elle a toujours subi les évolutions, bonnes ou mauvaises, qui lui ont été imposées par les circonstances, par une administration qui décide d’abord et “négocie” ensuite, par la destruction méthodique, toutes tendances politiques confondues, du monde agricole.

Ce qui m’a le plus frappé, en quarante ans d’exercice, c’est d’abord que le vétérinaire est devenu un percepteur, prélevant bénévolement l’impôt au profit de l’Etat qui ne lui a pas demandé son avis. Le vétérinaire s’est transformé, à son corps plus ou moins défendant, en un chef d’entreprise, consacrant de moins en moins de temps aux actes médicaux solvables et de plus en plus à la gestion du personnel, à la comptabilité, à la paperasse et même, pourquoi pas, au “social”.

La plupart des connaissances et les techniques utilisées quotidiennement lorsque j’ai pris ma retraite ont été acquises et développées au cours de mes quarante années d’exercice. Il est certain, à mes yeux, que la conception de l’exercice de la profession des jeunes générations de vétérinaires est bien éloignée de l’idée que s’en faisaient nos promotions.

Se spécialiser est aujourd’hui incontournable

En quarante ans d’exercice, que j’ai arrêté en 1984, j’ai vécu de nombreuses mutations de la profession : développement de l’équine (obstétrique et castration du cheval debout) et de l’aviculture, qui échappe rapidement aux praticiens, substitution du cheval de trait par le tracteur, avec la dégradation de l’activité équine et l’accroissement de l’activité bovine (années 50) ; apparition des GDS, éradication de la tuberculose, de la fièvre aphteuse et de la brucellose, création des GTV, pénibilité croissante de la profession, progressivement atténuée par le recours aux associations entre confrères, naissance des groupements de producteurs de porcs qui excluent les praticiens indépendants (années 60) ; création des centrales d’achat qui permettent de rester compétitif sur le prix des médicaments et de conserver le contact avec les éleveurs, multiplication des structures vétérinaires qui suscitent une activité de soins aux animaux de compagnie et compensent les pertes liées à l’évolution de l’élevage et à l’agressivité commerciale des groupements de producteurs (années 70). Dans les années 80, la profession adapte sa transformation. Le métier n’a plus rien à voir avec celui des années 50. L’activité canine progresse et prend le pas sur l’exercice presque exclusivement consacré aux grands animaux. Seule perdure la présence des praticiens dans les élevages laitiers de plus en plus importants. Imaginer exercer aujourd’hui cette profession comme dans les années 50-70 est illusoire. Le développement des techniques modernes incite à s’orienter plutôt vers une spécialité.? Si mon parcours était à refaire,? je le referais volontiers. Il m’a apporté beaucoup de satisfaction au contact de clients sans doute moins exigeants que ceux d’aujourd’hui. Il m’aura procuré des relations humaines que l’industrialisation de l’élevage a peut-être anéanties.

Une profession mature, diversifiée et enrichie de l’ouverture à l’Europe

En charolais, notre génération a été poussée par la mise en place des grandes prophylaxies et l’avènement de la césarienne chez la vache. Elle a accompagné la grande révolution agricole du dernier demi-siècle. Notre soif de savoir a donné naissance aux GTV et à la CNVSPA (ex-Afvac). Il devenait nécessaire d’appréhender l’économie globale d’une ferme et de développer nos connaissances en canine.

La “vétérinaire” a grandi malgré un numerus clausus incompréhensible et le manque de vision de nos dirigeants. La fougue des praticiens de progrès s’est imposée.

Aujourd’hui, notre profession est mature, plus diversifiée que jamais et enrichie de l’ouverture à l’Europe. Les exploitations sont devenues de véritables entreprises, mais les éleveurs, plus exigeants, n’ont que peu changé. L’animal de compagnie a pris une importance insoupçonnée. Cette évolution va continuer. Nos successeurs ont beaucoup gagné en efficience grâce à une bonne organisation, aux nouvelles techniques et à l’informatique. De plus en plus d’équipes pluridisciplinaires s’installeront.

Parmi les jeunes praticiens que je continue de côtoyer, chefs d’entreprises vétérinaires, il y a de fortes personnalités, des créateurs dans l’âme. Il existe bien un avenir pour notre profession, au sein de laquelle nous verrons éclore encore d’autres Sansot et Carlotti, d’autres Chaudieu et Le Coustumier. Seul persistera le frein économique. Des horizons nouveaux s’ouvrent : conséquence du changement climatique, l’immense chantier de l’écologie sera une source d’emplois pour nombre de confrères.

Alors, oui, rêver, avoir trente ans, descendre du Morvan à la pique du jour,? les bras meurtris par l’embryotome, admirer une dernière étoile, se demander ce qu’est devenue la rose du Petit Prince… sacerdos in eternum !