Plusieurs mécanismes conduisent à des décisions absurdes - La Semaine Vétérinaire n° 1381 du 20/11/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1381 du 20/11/2009

Attention au “bricolage cognitif”

Gestion

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Auteur(s) : Jean-Michel Saint-Omer

En janvier 1986, la fusée Challenger explose, en raison de la défectuosité de certains joints sous l’effet d’un froid intense. Le décollage a eu lieu contre l’avis des ingénieurs et après de nombreuses réunions d’explications. De même, en décembre 1978, des pilotes en vue de l’aéroport de Portland retardent pendant plus d’une heure l’atterrissage de leur avion pour comprendre un problème technique. Finalement, l’avion s’écrase par manque de carburant. Pourtant, les pilotes, au demeurant expérimentés, savaient qu’ils avaient suffisamment de carburant pour atterrir à condition de ne pas laisser cette heure passer. A aucun moment, ils n’ont perdu leur sang-froid…

Plus proches de nous, certaines décisions de notre vie de tous les jours ou de notre environnement professionnel conduisent à des résultats absurdes. Nous avons tous heurté un passant qui se dirigeait pourtant droit vers nous. Nous avons fait un écart, il a fait de même, puis un autre et, finalement, c’est le choc et les excuses. Au cours de réunions, il nous arrive de projeter ou d’assister à la projection de “transparents” illisibles, avec des lettres trop petites, des contrastes de couleurs qui les rendent inaccessibles, alors qu’il serait plus simple de disposer de photocopies couleurs… Les exemples sont nombreux, mais ce qui est intéressant, ce sont les raisons qui poussent des personnes intelligentes à prendre des décisions qui vont déboucher sur un résultat contraire à celui escompté.

La persévérance du groupe dans l’erreur est un phénomène étrange

Un ouvrage sur la sociologie des erreurs radicales et persistantes(1) nous livre les clefs de ce comportement. Tout d’abord, la décision absurde n’est pas une décision médiocre, car elle agit radicalement contre son objectif. Les décisions médiocres tournent autour de l’objectif (même si, en termes de moyens et d’ambition, elles restent décevantes), mais ne vont pas à son encontre. La décision absurde est indépendante de l’enjeu. Dans l’exemple de la fusée Challenger, les ingénieurs ont tiré la sonnette d’alarme plusieurs fois. Ils ont été entendus et, pourtant, le management a pris la décision de faire décoller la fusée. Pas assez d’informations, de preuves ? Non, bien au contraire. Mais à un moment, une anomalie intervient dans la décision. A force de discuter des modalités, le fond du problème (le risque d’une catastrophe) a cédé peu à peu le pas aux considérations statistiques et techniques. Puis il y a eu une “rupture” dans la chaîne de raisonnement, du fait du processus de classification (les joints sont classés comme pièces critiques, puis souvent déclassés par erreur), ce qui a entraîné un défaut d’appréciation. La communication puis le management sont en cause. Mais le plus aberrant, c’est le respect d’une procédure qui prendra le dessus sur le bon sens. Pourtant, certains techniciens continueront, jusqu’au bout, de déclarer qu’il ne faut pas faire décoller Challenger. La persévérance du groupe dans l’erreur est une étrangeté. Une stratégie mentale particulière produit la solution absurde spécifique.

Raisonnement scientifique et intuition se disputent la décision

A chaque fois, ce type de décision relève d’un “bricolage cognitif” aux dépens d’un raisonnement analytique, déductif, donc scientifique. Le premier mécanisme mental consiste à concevoir une solution par proximité dans le temps de la cause présumée et de l’effet, ou par similitude entre la cause présumée et l’effet, ou par pure imitation. La première déduction n’est pas remise en cause, alors qu’elle devrait l’être, et la suite est un enchaînement qui s’appuie sur une erreur. L’explication des spécialistes en sciences humaines peut se résumer en une phrase : les hommes raisonnent avec ce qu’ils ont sous la main ou ce qu’ils voient le mieux. Le concret est plus saillant que l’abstrait et une réussite ou une erreur est ainsi attribuée à un individu plutôt qu’à un processus. Le deuxième maillon qui conduit à la décision absurde consiste à dissocier les étapes ou les dimensions. Les décideurs ne se concentrent que sur ce qu’ils appréhendent le mieux. Le troisième mécanisme consiste à considérer comme non aléatoire ce qui l’est pourtant. Le dernier mécanisme, c’est le raccourci, c’est-à-dire la prise de décision selon ce qui vient d’être cité sans véritable analyse préalable. L’imaginaire (et sa pathologie) peut alors prendre le pas sur l’analyse : c’est le bricolage cognitif.

  • (1) Les décisions absurdes, de Christian Morel (éditions Gallimard).

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