Pawspice : des soins palliatifs pour permettre aux animaux « de mourir dans la dignité » - La Semaine Vétérinaire n° 1381 du 20/11/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1381 du 20/11/2009

Affections terminales

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Philippe Zeltzman

Le but de ce concept, développé outre-Atlantique, est d’offrir des soins aux animaux en phase terminale, tout en maintenant leur qualité de vie.

Lors d’affection au stade terminal, l’euthanasie est souvent évoquée comme la seule option. Pourtant, Alice Villalobos, praticienne américaine spécialisée en cancérologie, estime qu’il existe de nombreuses autres solutions, qu’elle regroupe sous le terme pawspice. Un entretien exclusif avec notre consœur, pionnière dans ce domaine, permet de mieux comprendre ce concept récent qui fait de nombreux adeptes.

La Semaine Vétérinaire : En quoi consiste le concept Pawspice ?

Alice Villalobos : Pawspice(1) rime avec hospice. Il s’agit de soins palliatifs dispensés à un animal en phase terminale, comme dans un hospice pour hommes. Les soins peuvent être apportés dans une clinique vétérinaire ou à la maison, selon les besoins de l’animal.

Mais pawspice est plus un état d’esprit. C’est une façon différente de traiter les animaux. Il s’agit de leur apporter plus de soins durant leurs derniers jours, et non pas moins. D’ailleurs, Pawspice ne s’applique pas seulement aux chiens et chats cancéreux, mais à une multitude d’autres maladies comme l’insuffisance rénale, hépatique, cardiaque, ou encore la sénilité.

S. V. : Avez-vous inventé ce concept ?

A. V. : Depuis longtemps, les praticiens viennent en aide aux animaux en phase terminale, mais pas de manière organisée. J’ai imaginé le terme pawspice pour une conférence que j’ai donnée au congrès de l’American Veterinary Medical Association en 2000.

S. V. : Comment en avez-vous eu l’idée ?

A. V. : Il s’agissait d’une étape logique. J’ai passé ma vie à aider les animaux à bien vivre. Je voulais aussi leur permettre de mourir avec dignité. C’est pourquoi j’ai consacré tant de temps et d’énergie à créer une grille pour évaluer leur qualité de vie(2).

S. V. : Comment se passe une consultation typique ?

A. V. : Les consultations durent entre quarante-cinq minutes et une heure. Souvent, la première tâche consiste à aider le propriétaire à prendre conscience que son animal est en phase terminale, c’est-à-dire qu’il va mourir de sa maladie. Il ne s’agit pas d’abandonner tout espoir, mais de l’aider à réaliser que c’est le début de la fin. Les clients passent par plusieurs stades, qui incluent la tristesse, le deuil (avant même la mort de leur animal) et le refus de la réalité.

Nombre d’entre eux éprouvent également de la colère. Envers eux-mêmes, pour ne pas avoir suspecté plus tôt l’affection, envers le praticien qui ne l’a pas diagnostiquée auparavant, envers l’animal qui les laisse tomber. Bien entendu, cette colère est injustifiée, mais c’est souvent une étape naturelle. C’est alors que nous proposons le concept Pawspice, et avons une discussion sur la qualité de vie.

S. V. : Comment abordez-vous le sujet de la survie de l’animal ?

A. V. : Il m’arrive souvent de parler de courbes de Gauss, ou d’en dessiner une. Dans notre cas, l’animal dispose d’une espérance de vie moyenne d’un an. Quelques-uns meurent au bout de deux mois, d’autres après deux ans. Puisque nous n’avons aucun moyen de prévoir l’espérance de vie précise, il reste à améliorer la qualité de vie autant que possible, pendant aussi longtemps que nous le pouvons.

S. V. : Comment décidez-vous qu’un animal est un bon candidat pour Pawspice ?

A. V. : Clients et praticiens ne voient souvent que deux options contradictoires pour le traitement d’une maladie terminale. Soit le propriétaire a les ressources financières qui permettent de traiter l’animal, soit il faut envisager l’euthanasie. J’estime que Pawspice est une alternative valable, pour le généraliste et le spécialiste comme pour l’urgentiste.

S. V. : Pouvez-vous nous donner un exemple ?

A. V. : Prenons le cas d’un accident de la voie publique. L’animal a de multiples fractures, mais le pronostic est réservé ou le client ne peut pas se permettre de payer les 2 000 $ nécessaires. Plutôt que de présenter l’euthanasie comme seule option, le vétérinaire, dans une approche Pawspice, pourrait traiter l’animal suffisamment longtemps pour permettre à la famille de lui faire ses adieux. Pour cela, le praticien peut utiliser des bandages, des attelles, un cathéter urinaire et, bien entendu, des antalgiques.

Au lieu de prendre une décision irréversible dans l’urgence, sous pression, les propriétaires peuvent alors choisir le lieu et le moment de l’euthanasie. Par exemple, l’injection létale pourrait être administrée à domicile ou à la clinique selon le cas. N’est-ce pas une meilleure solution, à la fois pour l’animal et ses maîtres ?

S. V. : Quelles options thérapeutiques offrez-vous pour les animaux ?

A. V. : Tout dépend de leur affection. Dans certains cas, nous utilisons des suppléments, comme des vitamines, des acides gras oméga 3, la phytothérapie, des antioxydants, etc. Si l’animal a des difficultés à marcher, nous apprenons aux propriétaires comment prévenir les plaies de décubitus et utiliser un harnais. S’il souffre de dyspnée, nous leur apprenons à nébuliser ou à administrer de l’oxygène.

S. V. : Comment décidez-vous que la qualité de vie est acceptable ?

A. V. : Une grille d’évaluation spécialement élaborée(2) propose sept critères à estimer et à quantifier : la douleur, la faim, l’hydratation, l’hygiène, le bonheur, la mobilité et le fait d’avoir plus de “bons” que de “mauvais” jours. Chacun est noté de 0 à 10, avec un score maximal de 70. Une note supérieure à 35 est généralement acceptable pour la mise en œuvre de Pawspice. Mais chaque critère doit être suffisamment élevé pour que le traitement soit considéré comme éthique. Il ne s’agit pas d’acharnement thérapeutique. Nous essayons d’améliorer chaque critère de 30 à 50 %. La plupart des animaux se sentent beaucoup mieux si deux ou trois critères peuvent être ainsi améliorés.

S. V. : A partir de quels éléments jugez-vous qu’un traitement est acceptable ou pas ?

A. V. : Il est particulièrement difficile de définir un traitement acceptable ou éthique, par opposition à l’acharnement thérapeutique. Si un traitement est jugé inacceptable parce que l’animal souffre, il incombe au praticien de proposer une thérapie antalgique adéquate. Le choix est rarement tout noir ou tout blanc. Chaque situation est différente.

Prenons le cas d’un chat ou d’un chien dont le vétérinaire traitant suspecte une tumeur cancéreuse abdominale. L’analyse sanguine, les radiographies, l’échographie : tout suggère un cancer. Une laparotomie exploratrice est proposée pour confirmer le diagnostic et dans l’espoir de fournir un traitement. En cas d’impossibilité, plutôt que de proposer l’euthanasie “sur la table” comme seule option, nous pouvons aussi suggérer un traitement palliatif. Par exemple, cela peut signifier la pose d’une sonde alimentaire pour apporter un soutien nutritionnel à un animal anorexique. Mais si la tumeur est résolument inopérable et qu’une option palliative ne semble pas appropriée, il est important d’avoir préparé le propriétaire à l’éventualité d’une euthanasie. Le concept Pawspice prépare le propriétaire psychologiquement afin que les deux éventualités soient acceptables.

S. V. : Comment gardez-vous le moral, alors que de nombreux animaux que vous prenez en charge meurent ?

A. V. : Nous savons que nous aidons les propriétaires précisément au moment où ils en ont le plus besoin. L’euthanasie ne doit pas être un acte bâclé. Nous le prenons très au sérieux. Par exemple, nous offrons des fleurs, nous allumons des bougies et nous lisons des poèmes. Et croyez-moi, les propriétaires apprécient. Nous nous efforçons d’éviter le “burn out”. Ainsi, je ne fais aucune euthanasie moi-même. De la même façon, si une auxiliaire s’est liée d’amitié avec des propriétaires ou leur animal, elle ne pratiquera pas son euthanasie, qui sera faite par une autre, moins impliquée [cela est légal aux Etats-Unis, sous la supervision du praticien, Ndlr]. Encore une fois, après avoir aidé l’animal à bien vivre, le but est de l’aider à bien mourir. Au-delà, bien entendu, il s’agit d’accompagner le propriétaire lors de cet événement traumatisant.

S. V. : Que pensez-vous que chaque propriétaire devrait savoir ?

A. V. : Quand les jours sont comptés, il est important de vivre l’instant présent, au lieu de se projeter dans l’avenir. Vivre le deuil de l’animal avant l’heure n’apporte rien de bon. Mieux vaut apprécier chaque heure, chaque jour, chaque semaine passés avec le chat ou le chien. Aussi triste soit-elle, la mort est naturelle. Elle fait partie du cycle de la vie. Elle est perçue de manière bien différente dans d’autres cultures. Dans l’Egypte ancienne, lors de la mort d’un chat, tous les membres de la famille se rasaient les sourcils en signe de deuil.

  • (1) Pawspice est un jeu de mots issu de la contraction des termes paw, qui décrit le pied d’un chat ou d’un chien, et hospice.

  • (2) Voir l’article en pages 34 et 35 de ce numéro.

  • Alice Villalobos a publié Canine and feline geriatric oncology : honoring the human-animal bond, chez Blackwell Publishing.

Alice Villalobos

Diplômée de l’école vétérinaire de l’université de Californie de Davis en 1972, Alice Villalobos a une révélation en écoutant une conférence sur l’oncologie. Elle se consacrera à cette discipline. Elle a la chance de décrocher un résidanat en oncologie à Davis, avant même leur existence officielle. Elle partage aujourd’hui son temps entre trois cliniques dans la banlieue de Los Angeles (Californie), le VCA Coast Animal Hospital à Hermosa Beach, l’Animal Emergency Care Clinic à Woodland Hills et le Beachside Surgery & Referral Center à Capistrano Beach.

Elle emploie toutes les modalités classiques en oncologie, à commencer par la chimiothérapie. Au besoin, elle réfère des cas à des confrères pour des traitements chirurgicaux ou de radiothérapie. La plupart des animaux requièrent un traitement palliatif, et elle emploie aussi des techniques alternatives comme l’immuno-nutrition, la nutrigénomique et divers suppléments.

Ph. Z.

SITES INTERNET UTILES

• International Association for Animal Hospice and Palliative Care : www.iaahpc.org

• Society for Veterinary Medical Ethics : www.vetmed.wsu.edu/org_SVME

• American Association of Human-Animal Bond Veterinarians : http://aah-abv.org/net/home/

• Animal Hospice Compassionate Crossings : www.animalhospice.org

• Colorado State University Pet Hospice Program : www.argusinstitute.colostate.edu/pethospice.htm

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