Le syndrome de Fanconi doit être évoqué lors de glycosurie - La Semaine Vétérinaire n° 1377 du 23/10/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1377 du 23/10/2009

Cas clinique de néphrologie

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Eva Baty

Fonctions : praticienne à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). Article rédigé d’après un cas présenté au centre vétérinaire DMV (Montréal, Québec).

Cette maladie est un challenge diagnostique et thérapeutique chez le chien. Sa prise en harge passe par une supplémentation en bicarbonates.

Un cocker américain mâle non stérilisé, âgé de dix mois, est présenté en consultation référée pour des vomissements, apparus depuis une semaine. Les examens réalisés par le vétérinaire référant montrent une légère neutrophilie (12,7 x 109/l) et une augmentation de la bilirubine totale à 26,5 mg/l (norme de 0 à 0,34 mg/l), des phosphatases alcalines (PAL) à 269 UI/l (norme de 23 à 212 UI/l) et des alanine-amino-transférases (ALT) à 514 UI/l (norme de 10 à 100 UI/l). Le traitement (anti-acides, antibiothérapie, fluidothérapie, jeûne) reste sans effet. La fréquence des vomissements s’aggrave. Le chien aurait perdu 3 kg avant leur apparition. Il n’a aucun antécédent médical. Il est vacciné contre la leptospirose (sérovars L. pomona, L. icterohaemmorrhagiae, L. canicola et L. gryppotyphosa). Sa consommation d’eau journalière est considérée comme normale. Le chien avec lequel il vit est en bonne santé. Tous les deux ont séjourné à la campagne dans les semaines qui ont précédé le début des symptômes et ont été en contact avec de l’eau stagnante.

Les analyses montrent une glycosurie et une hyperglycémie modérées

Le jour de sa présentation en consultation référée, le chien est alerte et normothermique (38,4 °C). Il est amaigri (11,5 kg). Sa déshydratation est estimée à 5 %. Le temps de recoloration capillaire, l’auscultation cardio-pulmonaire et la palpation de l’abdomen sont normaux. L’analyse d’urine montre une glycosurie (1 +), une protéinurie (trace), ainsi qu’une hématurie (vraisemblablement en raison de la cystocentèse). L’urine est isosthénurique (d = 1,013) et son pH alcalin (8). Sa culture est négative, mais l’animal est déjà sous antibiotiques au moment du prélèvement. Les analyses hématologiques ne révèlent aucune anomalie. Celles de biochimie montrent une augmentation des PAL (532 UI/l) et des ALT (260 UI/l), une hypophosphorémie (0,74 mmol/l, norme de 0,81 à 2,19), une hypokaliémie (3,3 mmol/l, norme de 3,5 à 5,8 mmol/l), une légère élévation de la créatinine (19,9 mg/l, norme de 3,4 à 15,8). Une faible hausse de la glycémie est notée (1,3 g/l), mais elle n’est pas significative. L’albuminémie est par ailleurs considérée comme dans les limites normales basses (29 g/l, norme de 27 à 38 g/l). L’albuminémie est faussement surestimée, car l’animal est déshydraté. Au cours de l’hospitalisation, les valeurs hépatiques restent élevées et la créatinine se normalise. La glycosurie persiste plusieurs jours.

La sérologie leptospirose est positive pour le sérovar L. Autumnalis

L’examen radiographique de l’abdomen est normal. L’échographie révèle un épaississement et une hyperéchogénicité des cortex rénaux, ainsi qu’une diminution de la définition cortico-médullaire. L’examen échographique du reste de l’abdomen, notamment du foie, est considéré comme normal. Des aspirations échoguidées du foie sont réalisées. L’analyse cytologique révèle une dégénérescence vacuolaire non spécifique et une cholestase, toutes deux légères à modérées. Le rapport protéine urinaire/créatinine urinaire est normal.

La sérologie leptospirose est positive pour le sérovar L. Autumnalis (320 ; seuil de positivité : 100). Une sérologie de contrôle réalisée trois semaines plus tard montre une séroconversion pour ce sérovar (80).

L’analyse des gaz du sang prélevé à la jugulaire (gaz veineux central) fait apparaître une acidémie modérée, une acidose métabolique, une baisse des bicarbonates et des excès de bases (bases excess). Le trou anionique est légèrement diminué. La PvCO2 (tension veineuse de CO2) est normale.

Le test de dépistage d’une maladie métabolique, réalisé à l’université de Pennsylvanie, montre une amino-acidurie généralisée, une légère cystinurie et une glycosurie.

L’animal présente un syndrome de Fanconi (isosthénurie, glycosurie sans hyperglycémie, amino-acidurie, cystinurie, acidose métabolique, hypokaliémie et hypophosphorémie). La sérologie positive à L. Autumnalis et la séroconversion pour ce même sérovar en regard des signes cliniques confirment une infection à L. Autumnalis.

Une supplémentation en bicarbonates, protéines, vitamines et minéraux

Au cours de l’hospitalisation, le chien reçoit des fluides intraveineux complémentés en chlorure de potassium (20 mEq/l), de la famotidine (1 mg/ kg deux fois par jour), de l’ampicilline (22 mg/kg trois fois par jour) puis de la ticarcilline-acide clavulanique (50 mg/kg trois fois par jour), du métoclopramide (1,5 mg/kg/j en perfusion à débit constant dans du NaCl à 0,9 %).

L’animal est rendu à ses propriétaires, qui poursuivent l’antibiothérapie (amoxicilline-acide clavulanique pendant un mois puis doxycycline à la dose de 10 mg/kg per os en deux prises pendant quinze jours). Ils procèdent en outre à des injections sous-cutanées quotidiennes de fluides. Une supplémentation est apportée, sous forme de bicarbonate de sodium (quatre comprimés de 500 mg, deux fois par jour, en dehors des repas), de s-adénosyl-méthionine (180 mg/j), de protéines, de vitamines et de minéraux (vitamine C, vitamine E à la dose de 10 UI/kg/j).

Une hépatite chronique est diagnostiquée à l’occasion d’une visite de suivi

Les visites de suivi montrent que le chien regagne progressivement du poids, retrouve son entrain et son appétit. L’acidémie se corrige légèrement. La kaliémie se maintient dans les normes. Les ALT persistent dans les mêmes valeurs hautes et les PAL s’élèvent nettement. Le dosage des acides biliaires est normal. La créatinémie augmente un peu.

Dans un contexte d’infection à leptospires et en raison du risque d’hépatite chronique associé, une biopsie hépatique sous anesthésie générale est jugée opportune. L’analyse histologique met en évidence une inflammation portale modérée, ainsi qu’une fibrose hépatique moyenne avec une prolifération cholangique. Une hépatite chronique au stade 1 est suspectée.

La forme héréditaire, qui touche surtout le basenji, est la plus fréquente

Le syndrome de Fanconi est rarement rapporté en médecine vétérinaire. Il est caractérisé par un trouble de la réabsorption de la portion proximale des tubules rénaux. Il en résulte des pertes excessives en eau, glucose, phosphore, sodium, potassium, bicarbonates, acide urique, acides aminés, vitamines et minéraux.

Deux formes sont distinguées. La première, héréditaire, est la plus fréquemment décrite et touche principalement le basenji. L’autre, acquise, fait suite à une intoxication au plomb ou à des médicaments comme la gentamicine, la steptozotocine et l’amoxicilline. Dans sa forme héréditaire, la maladie est chronique. Les premiers symptômes apparaissent en général chez des chiens adultes (de trois à cinq ans en moyenne). Lorsqu’il est acquis, le syndrome de Fanconi peut être transitoire et disparaître une fois la cause initiale traitée.

Le mécanisme pathologique qui conduit à ce syndrome n’est pas encore élucidé. Deux processus sont suspectés. Le premier rendrait la membrane tubulaire plus perméable, le second impliquerait une baisse du niveau de la synthèse d’énergie par les cellules tubulaires, indispensable aux mécanismes de réabsorption.

La morbidité est secondaire aux perturbations métaboliques et acido-basiques générées par le syndrome. Les symptômes les plus fréquemment observés sont une polyuro-polydipsie, une déshydratation, des signes d’infection urinaire, une perte de poids, de la faiblesse ou de la myalgie.

Une glycosurie avec une glycémie normale sont en général rapportées

Si la découverte d’une glycosurie sans hyperglycémie est évocatrice de syndrome de Fanconi, elle ne suffit pas à établir le diagnostic. D’autres défauts de réabsorption tubulaires doivent être mis en évidence. Une analyse d’urine complète est donc nécessaire, ainsi que la mesure des électrolytes et des gaz du sang. Le diagnostic de certitude passe par le dosage urinaire du glucose et des acides aminés, qui sont alors sécrétés dans des valeurs qui dépassent le seuil d’élimination normal. Chez certains individus, la glycosurie est absente ou intermittente. Les analyses de laboratoire montrent souvent une glycosurie avec une glycémie normales, une protéinurie, une acidose métabolique avec hyperchlorémie, un trou anionique normal, une diminution des bases excess et des bicarbonates.

La perte d’acides aminés et d’électrolytes, ainsi que l’acidose métabolique varient selon les individus.

L’augmentation de l’urémie et de la créatinémie se produit si le syndrome de Fanconi se complique d’une insuffisance rénale.

L’urine est en général isosthénurique ou hyposthénurique. La protéinurie est habituellement modérée. Une cétonurie est possible. A la différence de ce qui se produit chez l’homme, le métabolisme osseux ne semble pas affecté.

L’analyse d’urine peut mettre en évidence des signes d’infection favorisée par la glycosurie et la dilution des urines.

L’espérance de vie des chiens atteints de la forme héréditaire traités médicalement ne semble pas diminuée par rapport aux chiens non malades et leur qualité de vie est considérée comme bonne. Avec des réserves, ces résultats pourraient être extrapolés à la forme acquise, pour laquelle des résolutions complètes sont décrites.

Il existe cependant un risque de développement d’une insuffisance rénale chronique, voire aiguë (nécrose papillaire ou pyélonéphrite), même chez les chiens correctement traités.

La correction des désordres acido-basiques est le point clé du traitement

Le traitement du syndrome de Fanconi est indispensable. En son absence, l’acidose métabolique s’aggrave inévitablement. Cela conduit à une dégénérescence progressive puis à la défaillance rénale, suivie d’une défaillance multi-organe qui aboutit à la mort.

Outre le traitement spécifique de la cause primaire lors de syndrome acquis, la thérapie est palliative. Elle consiste à minimiser les effets systémiques des pertes urinaires chroniques en minéraux, bicarbonates, acides aminés et protéines. L’objectif est de combler au mieux ces pertes par une supplémentation orale. La correction des désordres acido-basiques semble par ailleurs ralentir, voire arrêter le processus dégénératif. Cette correction repose sur une supplémentation en bicarbonates. Elle dépend des résultats de l’analyse des gaz sanguins. La dose initiale est calculée à l’aide du tableau élaboré par Steve Gonto(1), le chercheur américain dont les travaux portent sur le syndrome de Fanconi, ajustée à chaque contrôle sanguin (un suivi périodique est indispensable).

L’augmentation de l’apport en bicarbonates s’accompagne d’une hausse des pertes rénales, avec au final une amélioration assez limitée de la concentration plasmatique en bicarbonates. Par conséquent, des quantités importantes peuvent être nécessaires pour restaurer l’équilibre acido-basique. Le maintien d’une concentration en bicarbonates comprise entre 12 et 18 mmol/l est jugé acceptable.

Le traitement vise aussi à inverser la balance protéique, pour passer d’un catabolisme à un anabolisme protéique tissulaire. Sauf si l’animal est azotémique, il repose donc sur une diète riche en protéines de haute qualité. Par ailleurs, une supplémentation en vitamines et minéraux est nécessaire, ainsi qu’un accès permanent à de l’eau fraîche. La tolérance des propriétaires vis-à-vis de la polyuro-polydipsie est un point capital, dans la mesure où la supplémentation ne corrige pas ce symptôme, voire l’aggrave.

Une première description d’un syndrome de Fanconi associé à une leptospirose

La littérature ne semble rapporter aucun cas de syndrome de Fanconi à la suite d’une infection à leptospire confirmée. Il est difficile de savoir si le syndrome décrit ici a fait suite à l’infection leptospirosique par une lésion tubulaire rénale majeure ou s’il était déjà présent avant l’infection. La première hypothèse apparaît toutefois plus probable.

L’examen d’un animal issu de la même portée que le cocker atteint a été possible. Une analyse urinaire complète a été réalisée et un échantillon d’urine a été soumis à un test de dépistage de maladie métabolique. Aucune anomalie n’est détectée à ce jour. Rappelons qu’un test de dépistage négatif n’exclut pas le développement d’un syndrome de Fanconi à l’âge adulte. Par ailleurs, aucun test de dépistage génétique n’est actuellement disponible. Steve Gonto conseille ainsi aux propriétaires de chiens de race basenji de réaliser des analyses d’urine régulières (recherche d’une glycosurie). Celles successivement réalisées chez le chien décrit ici ont montré que la glycosurie n’est pas permanente. Elle ne doit donc pas être le seul élément d’orientation du diagnostic.

Des affections hépatiques peuvent accompagner l’évolution du syndrome

Steve Gonto rapporte une augmentation des paramètres hépatiques sans répercussion clinique chez plusieurs chiens de race basenji traités médicalement. Il considère cette hausse comme non significative, mais reste prudent, car des affections hépatiques peuvent aussi accompagner l’évolution d’un syndrome de Fanconi. Dans le cas décrit ici, les paramètres hépatiques ont augmenté à la suite de la mise en place du traitement. Plutôt que d’attribuer à tort ces changements à la seule supplémentation, le cocker américain étant prédisposé à l’hépatite chronique et la leptospirose en étant une cause possible, une biopsie hépatique a été réalisée. Il s’agirait de la troisième description d’un syndrome de Fanconi associé à une hépatite chronique.

Ce cas, suivi et traité dans un grand centre hospitalier canadien, est l’occasion de faire un point sur ce syndrome qui reste souvent méconnu. Le protocole thérapeutique, lourd, paraît cependant applicable à l’activité vétérinaire en France. Le facteur limitant est le dosage des gaz du sang, indispensable au diagnostic, à la mise en place du traitement et au suivi médical.

La gestion du syndrome de Fanconi demande par ailleurs une grande implication du propriétaire et du vétérinaire traitant. Dans le cas décrit, malgré la nette amélioration clinique, la forte motivation initiale et la facilité de réalisation du suivi et de l’approvisionnement en médicaments, le propriétaire a décidé de faire euthanasier l’animal après trois mois de traitement.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. J.H. Yearly, D.D. Hancock, K.L. Mealey : « Survival time, lifespan, and quality of life in dogs with idiopathic Fanconi syndrome », Javma, 2004, vol. 225, n° 3, pp. 377-383.
  • 2. E. Escolar, D.P. Pérez-Alenza, M. Diaz, A. Rodriguez : « Canine fanconi syndrome », Journal of Small Animal Practice, 1993, n° 34, pp. 567-570.
  • 3. S. Gonto : « Fanconi disease management protocol for veterinarians. »
  • 4. P.M. Jamieson, M.L. Chandler : « Transient renal tubulopathy in a labrador retriever », Journal of Small Animal Practice, 2001, n° 42, pp. 546-549.
  • 5. J.W. Bartges : « Disorder of renal tubules », Ettinger, 5e edition, pp. 1 704-1 710.
  • 6. E.L. Settles, D. Schmidt : « Fanconi syndrome in a labrador retriever », Journal of Veterinary Internal Medicine, 1994, vol. 8, n° 6, pp. 390-393.
  • 7. R.A. Hostutler, S.P. Dibartola, K.A. Eaton : « Transient proximal renal tubular acidosis and fanconi syndrome in a dog », Journal of the American Medical Association, 2004, vol. 224, n° 15, pp. 1 611-1 614.
  • 8. T.L. Hill, E.B. Breitschwerdt, T. Cecere, S.Vaden : « Concurrent hepatic copper toxicosis and Fanconi’s syndrome in a dog », Journal of the Veterinary Internal Medicine, 2008, n° 22, pp. 219-222.
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