Définir l’état de santé d’une mamelle est une affaire de probabilités

Pour mettre de l’ambiance dans un groupe de vétérinaires spécialisés en production laitière, il suffit de lancer un débat sur les seuils des comptages cellulaires de lait utilisés pour définir l’état de santé d’une mamelle de vache laitière. Le 14 mai dernier, les échanges, tournant parfois au dialogue de sourds, ont été vifs lors de l’atelier « Les cellules, quoi de neuf ? », organisé dans le cadre des Journées nationales des Groupements techniques vétérinaires.

Pour Ellen Schmitt-Van de Leemput, praticienne à Vilaines-La-Juhel (Mayenne), les seuils de 300 000 et 800 000 cellules/ml, qui servent à déterminer le statut infectieux de la mamelle, mériteraient d’être revisités. « Les seuils supérieurs à 80 % chez les vaches à 300 000 cellules/ml et inférieurs à 5 % chez celles à 800 000 cellules/ml ne permettent pas de sensibiliser et de responsabiliser les éleveurs sur l’importance de la gestion de la qualité du lait », a indiqué notre consœur, qui préconise un seuil à 200 000 cellules/ml combiné à des critères de suivi (^{voir tableau}).

Francis Serieys (Filière Blanche) préfère parler de critère plutôt que de seuil et distingue le diagnostic individuel de l’évaluation de la prévalence des vaches infectées au sein d’un troupeau. « La dynamique des comptages leucocytaires est importante, il faut les resituer dans l’histoire de l’animal », est intervenu Jean-Louis Cloye, praticien à Saint-Symphorien-sur-Coise (Rhône). Olivier Salat, installé à Saint-Flour (Cantal), propose d’évaluer la guérison d’une mammite clinique via l’analyse des deux comptages cellulaires mensuels qui la suivent. Il suggère un seuil de 200 000 cellules/ml pour les primipares et de 300 000 cellules/ml pour les multipares.

Aucune norme internationale n’existe pour définir l’état de santé de la mamelle

Si le comptage des cellules somatiques du lait d’une vache laitière affiche 200 000 cellules/ml, la mamelle de cette vache est-elle saine ? La réponse est positive pour 75 % des vaches laitières qui ont une mamelle saine, elle est négative pour le quart restant qui sera classé, à tort, dans la catégorie des mamelles infectées. En effet, pour un seuil compris entre 200 000 et 250 000 cellules/ml, la sensibilité et la spécificité du comptage des cellules somatiques, comme indicateur de la présence d’une infection intramammaire, sont respectivement égales à 90 % et 75 % en moyenne. « Nous ne pouvons donc pas répondre à la question de la guérison des mammites subcliniques en n’utilisant qu’un seul comptage, a exposé notre consœur Sofie Piepers (université de Gand). Aucune norme internationale n’existe pour définir l’état de santé de la mamelle d’une vache laitière. »

Les directives européennes relatives à la conduite des études sur les produits intramammaires utilisent la combinaison de trois critères pour statuer sur l’efficacité desdits produits, donc sur la guérison d’une mamelle infectée : le moment d’évaluation après traitement, le comptage des cellules somatiques et la bactériologie. Les quartiers atteints de mammites subcliniques sont considérés comme guéris si de quatorze à vingt et un jours après le traitement, le comptage des cellules somatiques est inférieur à 300 000 cellules/ml et si les germes pathogènes présents au début du traitement sont éliminés.

Combiner comptage cellulaire et bactériologie sur le même échantillon

Pour classer une vache guérie, un seuil inférieur à 100 000 cellules/ml a une sensibilité comprise entre 85 et 95 %, d’où un faible nombre de vaches classées fausses négatives. Pour classer une vache infectée, l’utilisation d’un seuil supérieur à 500 000 cellules/ml obtient une spécificité comprise entre 85 et 95 %, d’où un faible nombre de vaches classées fausses positives. « Comment qualifier ces vaches dont le comptage des cellules somatiques du lait est compris entre 100 000 et 500 000 cellules/ml ? Entre ces deux seuils, les vaches laitières peuvent être guéries, infectées par un agent pathogène mineur ou atteintes de mammite chronique à Staphylococcus aureus. » La bactériologie est considérée comme l’analyse de choix, mais les faux négatifs sont nombreux, d’où l’intérêt de la combiner avec le comptage des cellules somatiques sur un même échantillon. De plus, lorsqu’une analyse bactériologique est positive vingt et un jours après un traitement antibiotique, comment interpréter ce résultat ? S’agit-il d’une infection persistante ou d’une guérison suivie d’une nouvelle infection ? « La réponse doit être graduée », a démontré Sofie Piepers via la présentation de quatre cas concrets (voir ci-dessous). Dans le cadre de la surveillance régulière de la santé des mamelles, notre consœur recommande aux éleveurs la mise en œuvre d’une culture bactériologique du lait des vaches dont la moyenne géométrique de comptage des cellules est supérieure ou égale à 250 000 cellules/ml pendant les trois derniers mois (^{voir graphique}). Cette stratégie optimise la recherche de l’agent pathogène impliqué, base d’une décision future : attendre le prochain comptage, traiter, réformer, répéter le prélèvement d’un échantillon si besoin, etc. Pour les primipares, notre consœur préconise le seuil de 150 000 cellules/ml. En effet, une étude montre que 95 % des primipares non infectées au cours de la première lactation affichent un comptage des cellules somatiques inférieur à 150 000 cellules/ml le premier mois de lactation. Toutefois, lors du check up mensuel des comptages, les intervenants s’accordent sur le fait de garder à l’esprit que chaque échantillon qui représente une vache est une combinaison de quatre quartiers avec un état d’infection et une réponse inflammatoire dépendants, mais séparés.