AVEC LA LEPTOSPIROSE, IL FAUT SE MÉFIER DE L’EAU QUI DORT - La Semaine Vétérinaire n° 1370 du 04/09/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1370 du 04/09/2009

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Auteur(s) : Valentine Chamard

La leptospirose est diagnostiquée chaque année chez environ quatre cents personnes en France métropolitaine. Bien que reconnue comme une maladie professionnelle, seuls une vingtaine de cas annuels sont attribués à une contamination dans le cadre professionnel… Les données concernant les vétérinaires sont quasi nulles. Ils y sont pourtant exposés, comme en témoigne la douloureuse expérience d’un confrère.

Avec une estimation de cinq cent mille personnes touchées chaque année, la leptospirose est une zoonose largement répandue dans le monde, en particulier en zone tropicale. La France est le pays le plus touché d’Europe. Trois à quatre cents cas sont dénombrés chaque année en métropole, soit une incidence de 0,4 à 0,5 pour 100 000 habitants. Dans les départements et territoires d’outre-mer, le taux d’endémie peut être cent fois supérieur.

Un temps pluvieux, associé à des températures douces, est favorable aux infections leptospirosiques. Mais il est difficile d’en estimer l’incidence réelle, car la leptospirose n’est plus, depuis 1986, une maladie à déclaration obligatoire. Sa surveillance épidémiologique, non exhaustive, repose sur les demandes d’analyses sérologiques effectuées notamment auprès du Centre national de référence des leptospires (CNRL, Institut Pasteur, Paris). De plus, elle peut être asymptomatique, ce qui conduit à un sous-diagnostic.

Les leptospires, dont le réservoir animal est diversifié, résistent plusieurs mois dans le milieu extérieur humide. Les urines des animaux infectés, souvent de façon inapparente, contaminent les bassins d’alimentation des cours d’eau, donc les eaux douces de surface. Les bactéries sont transmises à l’homme, hôte accidentel, via la peau lésée ou une muqueuse, par contact indirect, qui représente plus de la moitié des cas (contact avec un environnement humide contaminé), ou par contact direct avec les matières virulentes d’animaux infectés. Pendant la phase de bactériémie chez l’animal, la contamination directe de l’homme se fait principalement à partir du sang, même si, pendant cette phase, toute sécrétion ou excrétion est potentiellement contaminante. Après la phase de bactériémie, les leptospires se concentrent principalement dans le rein. L’urine devient alors la principale matière virulente. La salive n’est pas contaminante, mais les morsures fournissent une porte d’entrée aux leptospires.

Une maladie professionnelle, mais aussi et surtout liée aux loisirs

La leptospirose est aujourd’hui davantage considérée comme une maladie de loisirs (chasse, baignade en eau douce, etc.) que professionnelle. En effet, 35 % des cas identifiés par le CNRL entre 1988 et 2003 touchent des retraités ou des personnes de plus de soixante-cinq ans et 16 % des écoliers ou des étudiants. Dans 30 % des cas, la profession exercée est identifiée comme à risque. Peu de données existent sur la leptospirose en tant que maladie professionnelle, encore moins par rapport aux vétérinaires. Les professions agricoles, pour lesquelles l’exposition professionnelle est difficile à différencier de l’exposition environnementale, sont en première ligne (voir tableau ci-dessous). Le métier d’égoutier et ceux liés à la voirie ou au bâtiment viennent ensuite. Les autres professions sont beaucoup moins représentées, comme en témoigne le peu de vétérinaires recensés…

Ainsi, le nombre de cas reconnus comme maladie professionnelle est peu élevé, de l’ordre de quinze à vingt par an. Cette faible incidence professionnelle peut être interprétée de plusieurs façons. Tout d’abord, elle peut montrer l’efficacité des dispositifs préventifs (mesures d’hygiène, utilisation de protections, vaccination, etc.). Mais cela vient probablement aussi d’un sous-diagnostic (formes frustes et maladie pas toujours incluse dans les diagnostics différentiels, voir témoignage en page 32), à un lien non fait avec la profession, ou encore à l’absence de déclaration. Le peu de renseignements relatifs aux vétérinaires s’explique également par le fait que les maladies professionnelles ne sont ni reconnues ni indemnisées pour les activités libérales.

Le chien y est sensible, mais est peu impliqué dans la transmission à l’homme

Les rongeurs, porteurs rénaux asymptomatiques et excréteurs intermittents, constituent le réservoir principal de la maladie (40 % des rats surmulots sauvages sont excréteurs de leptospires pathogènes, en particulier de L. Icterohaemorrhagiae). Les ragondins en sont en revanche moins fréquemment porteurs. Dans une étude de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et de l’Institut national de médecine agricole (Inma), le contact avec des rongeurs (direct ou indirect, professionnel ou non professionnel) est responsable de leptospirose dans 30 % des cas. Toutefois, de nombreux autres mammifères, domestiques ou sauvages, peuvent être impliqués (chiens, bovins, porcs, sangliers, hérissons, musaraignes, etc.).

Le chien est l’espèce domestique la plus sensible à la maladie. Il présente des troubles hépatiques et rénaux fréquemment mortels en l’absence de traitement. Cependant, il peut excréter la bactérie sans symptômes. Pourtant, il semble peu impliqué dans la transmission à l’homme (l’acidité de ses urines est défavorable à la survie des leptospires). La prévalence élevée chez cette espèce est à mettre en relation avec la séropositivité vaccinale. L’estimation actuelle du taux de vaccination canine est de 60 %, dont 14 % non valablement vaccinés contre la leptospirose (PanelVet 2006). La vaccination du chien limite l’apparition de symptômes sévères, mais ne le protège pas contre les autres sérogroupes, même si une faible protection croisée existe et permet de réduire la gravité des signes cliniques. L’absence d’effet de la vaccination contre le portage rénal est traditionnellement rapportée, même si l’étude récente de J.M. Minke et coll., réalisée en conditions expérimentales, tend à prouver l’existence d’une certaine protection (voir bibliographie).

Les nouveaux animaux de compagnie sont une source de contamination humaine

Le cheval, les ruminants ou le porc développent essentiellement des formes chroniques qui se traduisent par des troubles de la reproduction. Des uvéites sont observées chez le cheval. Une attention particulière est à porter aux nouveaux animaux de compagnie, source potentielle de contamination humaine, qui sont commercialisés en animalerie sans contrôle spécifique de cette infection. Un risque important est lié à la manipulation des rongeurs, qui urinent et mordent fréquemment pour se défendre, offrant une voie d’entrée aux leptospires. Les furets notamment sont réceptifs, même si l’impact clinique est encore peu documenté. Les lagomorphes sont peu sensibles. Hamsters et cobayes peuvent être des porteurs sains.

L’étude conjointe InVS-Inma prend en compte « l’exposition liée au contact avec des animaux » comme facteur de risque. Ce contact, direct ou indirect, est associé à la survenue d’une leptospirose (odd ratio = 2,3). Les contacts avec les rongeurs (rats, souris, hamsters) et les lapins (OR = 2,8), les animaux d’élevage (bœufs, moutons, porcs, OR = 2,4) et d’autres comme les cervidés, les hérissons, les poissons et les chauves-souris (OR = 3,2) sont associés à la survenue de la maladie. Les personnes en contact direct ou indirect avec des chiens (OR = 1,3), des chats (OR = 0,8), des chevaux (OR = 1,2) ou des oiseaux (OR = 2,0) ne présentent pas de risque élevé de contracter l’infection. « Dans un foyer où vit un chien malade, les chats sont généralement sérologiquement fortement positifs, quoiqu’en bonne santé », remarque Geneviève André-Fontaine, professeur à l’ENV de Nantes.

Une maladie souvent sévère, létale dans 2 à 10 % des cas chez l’homme

La maladie chez l’homme, après une phase d’incubation d’une dizaine de jours, est d’apparition brutale, marquée par une fièvre élevée accompagnée d’un syndrome douloureux (myalgie, arthralgie, céphalée), souvent de troubles digestifs, parfois de conjonctivite et d’éruption cutanée. Un syndrome méningé est fréquent. Quelques jours après l’apparition de ce syndrome grippal, surviennent, diversement associés, des troubles rénaux, hépatiques, neurologiques, hémorragiques ou pulmonaires, qui peuvent évoquer de nombreuses autres origines ou orienter vers de nombreux diagnostics ! Des complications oculaires ne sont pas rares. Dans les cas graves (20 à 40 %), la réanimation est nécessaire (épuration extrarénale, ventilation artificielle, etc.). La gravité et les manifestations cliniques de la maladie dépendent de l’inoculum et de la virulence du sérogroupe en cause (L. Icterrohaemorragiae est l’un des plus virulents, voir tableau ci-dessous), de la sensibilité de l’hôte et des organes atteints. Les décès surviennent dans 2 à 10 % des cas (30 % chez les patients qui développent une atteinte hépato-rénale sévère ou une myocardite). Les formes plus bénignes peuvent rester subcliniques ou se limiter à un épisode fébrile non spécifique et bénin qui évolue spontanément vers la guérison.

Les vétérinaires ne sont pas les plus concernés par la vaccination

La vaccination contre la leptospirose est controversée en raison de la faible incidence de la maladie, de ses cas sporadiques, de l’absence de transmission interhumaine, de l’existence de mesures de prévention simples, d’une protection uniquement contre L. Icterohaemorrhagiae, d’un protocole vaccinal lourd, du risque d’un sentiment de fausse sécurité chez les personnes vaccinées. Les autorités recommandent avant tout une information spécifique vis-à-vis des activités et des professions à risque, la mise en place de mesures de protection (port de gants, de bottes, etc., désinfection de toute plaie et application d’un pansement imperméable), et la nécessité de consulter un médecin lors de syndrome grippal.

La vaccination dans la population générale ne se fait qu’au cas par cas, selon des critères précis. Chez les professionnels, elle est indiquée pour les égoutiers, pour lesquels un bénéfice net est démontré (avant la vaccination et la mise en place de mesures de protection sanitaires au travail, l’incidence dans cette profession était de 1 700 cas pour 100 000, à comparer avec l’incidence de 0,5 sur 100 000 dans la population générale). Dans les autres métiers, le bénéfice ne serait pas aussi clair. La vaccination se justifie toutefois lors d’une activité caractérisée par une exposition intense et répétée au risque.

Le guide vaccinal édité en 2006 par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) indique que la vaccination contre la leptospirose est souhaitable pour certains professionnels, dont les vétérinaires, alors qu’elle est recommandée à ceux qui sont exposés spécifiquement au risque de contact fréquent avec des lieux infestés par les rongeurs. Ainsi, en France, 17 % des personnels à risque seraient vaccinés. La recherche se penche aujourd’hui sur des antigènes conservés chez les leptospires et protecteurs pour développer un vaccin multivalent composé d’une ou de plusieurs sous-unités bactériennes. Cela devrait permettre également d’appliquer un seul vaccin commun à plusieurs espèces animales et à l’homme.

BIBLIOGRAPHIE

  • • J.M. Minke et coll. : « Onset and duration of protective immunity against clinical disease and renal carriage in dogs provided by a bi-valent incativated leptospirosis vaccine », Veterinary Microbiology, 2009, vol. 137, pp. 137-145.
  • • Zoonoses en milieu professionnel, INRS, dossier en ligne.
  • • Rapport 2007 du Centre national de référence des leptospires (Institut Pasteur, Paris).
  • • « Les zoonoses en France », bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2006, n° 27-28.
  • • A. Nardone, C. Campèse et I. Capek : « Les facteurs de risque de leptospirose en France métropolitaine, une étude cas-témoin », juillet 1999 à février 2000.
  • • Guide des vaccinations, édition 2006, INPES.
  • • Avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France relatif aux recommandations pour la prévention de la leptospirose en population générale et en cas d’activité professionnelle à risque, rapport du CSHPF, 18 mars 2005.
  • • G. André-Fontaine et J. Hernandez : « La leptospirose chez le chien », Le Point Vétérinaire, avril 2008, n° 284, pp. 47-51.
  • • G. André-Fontaine : « Canine leptospirosis : do we have a problem ? », Veterinary Microbiology, 2006, vol. 117, pp. 19-24.
  • • P. Ristow : « La leptospirose : les défis actuels d’une ancienne maladie », Bull. Acad. Vét., 2007, tome 160, n° 4.

Protection contre le risque zoonotique

• Mesures élémentaires de prophylaxie sanitaire :

– port de gants en cas de contact direct ou avec les souillures d’un animal malade, suspect ou à risque ;

– port de gants lors de toute manipulation d’urine, même chez un chien sain (risque de portage rénal) ;

– port de gants, voire de lunettes lors de tout prélèvement sanguin ou de pose de cathéter chez un chien malade (en phase septicémique, la charge infectieuse du sang peut être considérable) ;

– nettoyage des mains à l’eau savonneuse, protection des yeux ou rinçage à l’eau potable en cas de contact ou de projections oculaires ;

– nettoyage puis désinfection des surfaces avec de l’eau de javel.

• Vaccination des animaux lorsque des vaccins dédiés sont disponibles.

• Traitement antibiotique adéquat et suffisamment long des chiens atteints (un traitement inadapté risque de ne pas éliminer le portage rénal).

• Information des propriétaires qui possèdent un animal à risque, en particulier un rongeur (hamster, cobaye, gerbille, etc.).

Même si le risque de transmission semble faible, les propriétaires et le personnel soignant des structures vétérinaires doivent en être informés. En cas de suspicion de contamination, la personne doit être orientée vers son médecin traitant.

V. C.

Les vétérinaires et la leptospirose

138 vétérinaires ont répondu à un sondage mis en ligne sur WK-Vet.fr (plusieurs réponses possibles) :

– 18 portent des gants dès qu’ils sont susceptibles d’être en contact avec de l’urine de chien, même en bonne santé.

– 57 portent des gants s’ils sont susceptibles d’être en contact avec de l’urine d’un chien suspecté d’être atteint.

– 20 portent des gants lors d’une prise de sang chez un animal suspecté d’être atteint.

– 5 sont vaccinés.

– 1 a contracté la maladie dans le cadre de son activité.

– 33 ne se sentent pas concernés et ne prennent aucune précaution particulière.

V. C.
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