DIX QUESTIONS AUTOUR DE LA DIRECTIVE “SERVICES” - La Semaine Vétérinaire n° 1366 du 26/06/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1366 du 26/06/2009

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Auteur(s) : Nicolas Fontenelle

Tout le monde en parle, mais tout paraît bien flou. Une chose est certaine : le texte européen qui libéralise les services dans les vingt-sept pays de l’Union doit s’appliquer à partir du 28 décembre prochain. Quelles pourraient être les conséquences sur l’exercice vétérinaire ? Réponses aux principales questions posées par la directive “services”.

Qu’est-ce que la notion de services ?

Elle couvre toute activité économique indépendante (non salariée) fournie normalement contre rémunération par une personne physique ou morale ressortissante d’un Etat membre de l’Union européenne. La directive vise à supprimer les entraves à la libre installation des prestataires de services et à la libre circulation des services sur l’ensemble du territoire européen. Les Etats membres doivent respecter le droit des prestataires de fournir leurs services dans un autre Etat membre que celui dans lequel ils sont établis. Au contraire de sa grande sœur la directive Bolkestein, aujourd’hui enterrée, la directive “services” ne fait plus référence au droit du pays d’origine qui voulait que le fameux plombier polonais travaille en France sous l’égide du droit du travail polonais. Les travailleurs bénéficieront du droit du travail de l’Etat dans lequel la prestation de services est effectuée.

Les vétérinaires sont-ils concernés ?

Assez longtemps, l’incertitude a plané dans les rangs de la profession. Car après les débats houleux qui ont accompagné la directive Bolkestein, la santé s’est vite retrouvée exclue du champ d’application du texte européen. Mais la santé humaine seulement. Le texte écarte « les services de soins de santé et pharmaceutiques fournis par des professionnels de la santé aux patients pour évaluer, maintenir ou rétablir leur état de santé lorsque ces activités sont réservées à une profession de santé réglementée dans l’Etat membre dans lequel les services sont fournis ». Les considérants (annotations qui forment une sorte de préambule explicatif à la directive) précisent que celle-ci n’affecte pas le « remboursement » des soins de santé. La médecine vétérinaire, qui n’a pas de « patients » et n’est pas remboursée, est un donc un service comme les autres.

Outre la santé, une douzaine de services ne sont pas affectés : les services non marchands ou d’intérêt économique général, les transports et services audiovisuels régis par des directives spécifiques, les services fournis par les notaires et les huissiers, mais aussi les activités liées à l’exercice de l’autorité publique, les services sociaux (logement social, aide à l’enfance et aux personnes), le droit du travail et la législation en matière de Sécurité sociale.

Que se passera-t-il le 1er janvier 2010 ?

Rien. En tout cas rien ce jour-là précisément. La mise en place effective de la directive prendra du temps. Ses effets se dévoileront au fil des années. Ce texte a été adopté le 12 décembre 2006 et doit être transposé dans les droits nationaux au plus tard le 28 décembre prochain. « En réalité, il est fort probable qu’aucun Etat membre n’aura transposé la directive “services” de façon complète et définitive le 28 décembre prochain, écrit Jean Bizet, sénateur de la Manche, dans un rapport sénatorial sur le sujet, daté du 17 juin (sénat.fr). Cette transposition, compte tenu de l’ampleur de la tâche, sera en effet graduelle. » Selon lui, elle portera d’abord sur les principaux aspects du texte, puis sera progressivement améliorée. « Le pire serait sans doute de prendre le risque d’une transposition “bâclée”, au nom du respect de l’échéance stricto sensu. » En France, plusieurs milliers de textes doivent être mis en conformité avec les exigences de la directive.

« Le 1er janvier 2010 est une date butoir pour les Etats membres au regard de leur devoir de rendre un rapport et de faire d’éventuelles propositions à la Commission européenne, détaille Jacques Guérin, membre du Conseil supérieur de l’Ordre, en charge de ce dossier. Celle-ci disposera de six mois pour rendre un rapport synthétique sur les propositions des différents Etats, qui sera transmis à chacun d’eux. Elle rendra ensuite au Parlement européen et au Conseil, au plus tard le 28 décembre 2010, un rapport de synthèse accompagné, le cas échéant, de propositions complémentaires. L’application du dispositif dans les faits prendra donc quelques mois supplémentaires, durant lesquels le droit national pourra se trouver en porte-à-faux par rapport au droit européen. N’en déplaise aux impatients, le 29 décembre 2009 ne sera indéniablement pas le “grand soir”. » Sans oublier que les nouvelles lois mettent parfois du temps à entrer en vigueur et que les recours devant la justice administrative française, puis européenne, seront sans doute au rendez-vous…

Les vétérinaires ont-ils une marge de manœuvre ?

Elle est faible, mais bien réelle. A la différence d’un règlement européen qui s’applique d’un bloc et doit être transféré en l’état dans les législations nationales, une directive fixe un objectif, avec une date butoir, et laisse les Etats membres adapter leur législation pour y parvenir. Elle permet également des dérogations aux règles qu’elle édicte, chaque Etat devant justifier son refus de modifier sa législation pour des motifs de sécurité ou d’ordre public, de santé publique ou d’environnement.

Pour tenter d’amender le texte de la directive, l’Ordre joue la carte européenne via les statutory bodies (les Ordres européens) et la Fédération vétérinaire européenne (FVE). « Notre marge de manœuvre réside essentiellement sur l’établissement d’une éventuelle norme de fonctionnement du domicile professionnel d’exercice (DPE) garantissant l’objectif de “haute qualité” que doit viser notre profession (cahier des charges du DPE, normes de fonctionnement et d’organisation, présence vétérinaire, vétérinaire responsable du DPE, etc.), estime Jacques Guérin. Ces normes de fonctionnement sont déjà déterminées dans plusieurs pays européens. A ce niveau précis en France, les lignes ne sont pas définitivement établies et font l’objet d’un travail de fond en région, qui sera concrétisé lors de la réunion des bureaux des conseils ordinaux régionaux, en octobre prochain. Le débat reste ouvert, nous ne pouvons qu’encourager nos confrères à se rapprocher de leurs élus pour leur faire part de leurs idées ou suggestions. »

La publicité sera-t-elle autorisée ?

Oui, mais… S’agissant des professions réglementées, l’article 24 de la directive précise que les Etats membres doivent « supprimer toutes les interdictions totales de communications commerciales ». La notion de communication commerciale recouvre « toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée ». Cette définition englobe toutes les formes de publicité : affichage, annonce, radio, télévision, Internet, etc. Mais dans le même temps, le manuel de mise en œuvre de la directive précise que les Etats doivent « veiller à ce que les communications commerciales des professions réglementées respectent les règles professionnelles qui, en conformité avec le droit communautaire, visent en particulier à garantir l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession réglementée, ainsi que le secret professionnel selon la spécificité de chaque profession ».

« Pour les vétérinaires français, l’interdiction totale de toute communication commerciale a été supprimée en 2003, avec l’arrivée du Code de déontologie aujourd’hui en vigueur, remarque Jacques Guérin. Il sera certainement possible d’aller plus loin encore et un vétérinaire aura le droit de communiquer des informations sur son activité si elles sont honnêtes et conformes aux règles professionnelles en vigueur. Une réflexion sur les moyens sera nécessaire. Tous ne seront pas forcément acceptables. Un autre aspect de la directive relève des devoirs du vétérinaire d’informer ses clients sur les éléments clés de son offre de soins, par exemple les principales caractéristiques du service, les conditions générales, le prix et sa méthode de calcul. Ces informations devront être facilement accessibles. »

L’ouverture d’établissements secondaires dans d’autres Etats membres sera-t-elle envisageable ?

Oui. La liberté d’établissement d’un prestataire de services est le fondement de la directive. Cette liberté s’entend également pour la création d’un nouvel établissement sur le même territoire ou l’ouverture d’un établissement secondaire (filiale ou succursale) dans un autre Etat membre. Ce principe doit prévaloir sur « les exigences adoptées par les Ordres professionnels » (article 14 de la directive). Aucun critère de nationalité, de nécessité économique ou de lieu de résidence ne pourrait être mis en avant pour tenter d’empêcher l’installation d’un prestataire.

« Il y a bien longtemps qu’un vétérinaire français a la possibilité d’ouvrir un établissement dans chacun des Etats membres de l’Union, relève Jacques Guérin. Aujourd’hui, un confrère peut ainsi avoir au moins vingt-sept structures en Europe ! La notion d’établissement secondaire est vouée à se dissoudre dans la disparition du principe d’unicité du domicile professionnel d’exercice. Nous ne parlerons plus que d’établissement vétérinaire exerçant, le cas échéant, dans plusieurs domiciles professionnels d’exercice. Le périmètre de ces installations est constitué par l’ensemble des pays de l’Union européenne. »

Un réseau de vingt et une cliniques pourra-t-il voir le jour ?

Oui. L’article 15 de la directive invite les Etats à lever les exigences qui interdisent de « disposer de plus d’un établissement sur le territoire d’un même Etat » ou imposent « un nombre minimum de salariés ». C’est de cette demande qu’est né le débat mené par l’Ordre sur l’unicité du domicile d’exercice (un vétérinaire généraliste exerçant dans une structure unique), principe qui vole donc en éclats. « L’incontournable est que derrière l’enseigne vétérinaire, l’usager trouve un vétérinaire jouant un rôle essentiel dans la protection de la santé et du bien-être des animaux, ainsi que dans les domaines de la santé publique et de l’environnement, grâce à une large gamme de services, indique Jacques Guérin. Cela n’interdira pas d’ouvrir vingt cliniques en France et de créer ainsi un réseau, mais l’Ordre considérera que chacune devra répondre à un cahier des charges garantissant une offre de soins de qualité, le respecter et communiquer à ses clients la nature de son offre, sans aucune ambiguïté. »

Pourra-t-on ouvrir 60 % du capital de sa société à sa belle-sœur ?

Non, mais… L’ouverture du capital fait partie des exigences à évaluer par les Etats membres (article 15, paragraphe 2, point C), comme celle qui impose au prestataire de services d’être constitué sous une forme juridique donnée ou de posséder une qualification particulière pour détenir une participation dans le capital social. La question de l’ouverture du capital est ouverte. « Les principes que nous défendons pour le vétérinaire, en sa qualité de professionnel réglementé de santé animale et publique, sont l’indépendance et l’impartialité du praticien en exercice, l’absence de conflit d’intérêt avec les porteurs de capitaux et le respect du secret professionnel, précise Jacques Guérin. L’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 19 mai 2009 [réservant la majorité du capital des SEL de pharmacie aux seuls pharmaciens propriétaires, Ndlr] nous donne quelques espoirs d’écoute de la position que nous défendons. Alors, ma belle-sœur dans le capital, oui ; un “laboratoire vétérinaire” au sens de l’industrie pharmaceutique ou des “pet foodeurs”, c’est moins sûr. A hauteur de 60 % nous ne le souhaitons pas ! »

L’article 60 de la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008, qui a permis “d’accorder” une partie de la loi aux exigences de la directive “services”, relève de 25 % à 49 % le plafond de la part du capital des sociétés d’exercice libéral pouvant être détenue par des tiers non professionnels, sauf pour l’exercice d’une profession de santé. Si cet article est finalement appliqué, il restera à déterminer la nature de ces tiers.

Un vétérinaire pourra-t-il travailler dans n’importe quel pays de l’Union ou employer un confrère de n’importe quel pays membre ?

Oui. La directive “services” garantit l’application de celle relative aux qualifications professionnelles en cas de prestation de services transfrontaliers. Pour les professions réglementées, la qualification professionnelle reste exigée. Les données à fournir par le prestataire sont le titre professionnel, l’Etat membre où il a été octroyé et le nom de l’Ordre ou de l’organisme professionnel auprès duquel il est enregistré. « Chaque vétérinaire dont le diplôme est reconnu sur le territoire européen a déjà la capacité de travailler où bon lui semble, complète Jacques Guérin. Le corollaire de cette grande liberté est la reconnaissance des diplômes et la garantie, à tout instant, que chaque professionnel vétérinaire est habilité à exercer sur le territoire de l’Union. Le système d’information sur le marché intérieur (IMI) répond à cette requête. Cet outil électronique multilingue consiste en un dispositif d’échange d’informations qui permet aux Etats membres de collaborer plus efficacement au jour le jour. Son prolongement pratique est la carte électronique, que nous avons mise en place depuis plusieurs années. »

L’inscription à l’Ordre restera-t-elle indispensable ?

Oui, selon l’Ordre. D’après le texte européen, l’inscription à une instance ordinale constitue une « exigence » étatique qui empêche le libre accès à une activité de services. Ainsi, conformément à l’article 4 paragraphe 7, la « notion d’exigence couvre toute obligation, interdiction, condition ou toute autre limite (établie au niveau national, régional ou local) imposée aux prestataires de services (ou aux destinataires des services), telle que l’obligation d’obtenir une autorisation ou de faire une déclaration aux autorités compétentes ».

« La constitution d’un Ordre permet d’élaborer une auto-réglementation dont le respect s’impose à ses membres et qui a pour objectif de valoriser un haut niveau de qualité de service, explique Jacques Guérin. La directive “services” encourage l’élaboration de codes de conduite (voir encadré en page 27) au niveau européen. C’est bien l’enjeu de la constitution des veterinary statutory bodies et de l’adoption d’un Code de conduite vétérinaire européen au sein de la Fédération vétérinaire européenne. La question de la représentativité est donc cruciale aux niveaux national et communautaire : les pays européens sans Ordre se tournent vers cette solution et les professions de santé, non régies par un Ordre, y compris en France, cherchent à se doter d’une telle instance. Oui, les vétérinaires devront continuer à s’inscrire à l’Ordre. »

  • Retrouvez l’intégralité du texte de la directive “services” sur le site WK-Vet.fr, rubrique “Semaine Vétérinaire”, rubrique “Dossier”.

Un Code de conduite vétérinaire européen

La directive “services” encourage l’élaboration de codes de conduite professionnels au niveau communautaire, en vue d’améliorer la confiance des destinataires dans les services offerts par les prestataires d’autres Etats membres. S’agissant des professions réglementées, ces codes doivent établir un socle commun minimal de règles de déontologie visant à garantir, notamment, l’indépendance, l’impartialité, l’honnêteté, l’intégrité et le secret professionnel, ainsi que les modalités des communications commerciales. Le Code de conduite vétérinaire européen, élaboré par la FVE, existe déjà. Il est constitué d’une base commune, le minimum que tous les Etats de l’Union doivent adopter, et d’une seconde partie qui regroupe les principes à prendre en compte pour améliorer les codes de conduite nationaux.

Nicolas Fontenelle

Guichets uniques et points de contact

Pour faciliter la libre circulation des services et des prestataires sur le territoire de l’Union, la directive “services” contraint les Etats à simplifier leur administration en les obligeant notamment à créer des « guichets uniques » (article 6). Il s’agit de confronter le prestataire souhaitant s’établir dans un pays à un interlocuteur unique qui devra l’informer clairement sur les exigences et les procédures à respecter (documents à présenter, déclaration, inscriptions diverses, etc.) et lui fournir une assistance, accessible d’un point de vue linguistique, dans les démarches à accomplir. Le système d’information électronique sur le marché intérieur (IMI) permettra de télécharger et de vérifier à distance les documents nécessaires. « Il serait prématuré d’affirmer que le dispositif est opérationnel, concède Jacques Guérin. Mais nous y travaillons ! »

Il ne faut pas confondre ces guichets uniques avec les « points de contact » créés par la directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles en 2005. Ceux-ci fournissent aux citoyens toutes les informations et aides utiles pour faire reconnaître leurs diplômes et qualifications.

N. F.
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