LES MÉTHODES SUBSTITUTIVES AU SECOURS DE L’ANIMAL DE LABO - La Semaine Vétérinaire n° 1359 du 09/05/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1359 du 09/05/2009

À la une

Auteur(s) : Nathalie Devos

Depuis une vingtaine d’années, le bien-être et la bientraitance des animaux sont des revendications légitimes du grand public et des chercheurs. Bruxelles les prend en compte, via des réglementations. Le secteur de l’expérimentation animale n’est pas en reste. Des méthodes alternatives et substitutives à l’utilisation des animaux ont vu le jour. Mais les processus de leur validation scientifique et réglementaire sont longs et coûteux. En outre, les méthodes substitutives ne peuvent actuellement pas remplacer l’animal lorsque les études portent sur l’organisme entier.

Depuis deux décennies, les revendications du grand public concernant le bien-être animal et la bientraitance se font pressantes et sont de plus en plus prises en considération. Davantage médiatisées pour les pratiques d’élevage, elles le sont moins en faveur de l’expérimentation animale. Pourtant, dans ce domaine, de nouvelles réglementations ont vu le jour ces dernières années, avec pour objectif de réduire progressivement l’utilisation des animaux de laboratoire.

Par exemple, la directive européenne “cosmétiques” de 2003 (2003/15/CEE) prévoit un cadre réglementaire dans le but d’éliminer petit à petit l’expérimentation animale dans ce secteur. Pour cela, elle contient deux interdictions : la première concerne les tests des produits finis et des ingrédients cosmétiques sur les animaux, la deuxième la commercialisation de produits cosmétiques finis et d’ingrédients qui auraient été testés sur des animaux au sein de l’Union européenne. L’interdiction de l’expérimentation pour les produits cosmétiques finis s’applique depuis le 11 septembre 2004, alors que celle de l’expérimentation pour les ingrédients ou les combinaisons d’ingrédients a bénéficié d’un délai de six ans pour permettre la validation et l’adoption de méthodes alternatives. Elle est désormais en vigueur, depuis le 11 mars dernier. L’interdiction de commercialiser des produits cosmétiques finis et des ingrédients testés sur des animaux a bénéficié du même délai et est donc également en application aujourd’hui. Un report jusqu’en 2013 est accordé pour les études de toxicité à long terme (toxicité par application répétée, toxicocinétique et repro-toxicité).

Partager les données issues des recherches pour limiter les tests sur les animaux

De son côté, le règlement Reach(1), entré en vigueur en 2007, s’applique à l’évaluation des produits chimiques (études d’écotoxicologie et de toxicologie humaine et animale), ainsi qu’à leur autorisation. Il propose la mise en œuvre de stratégies par étapes, afin de n’utiliser l’animal qu’en dernier recours. Ce texte concerne les nouvelles substances, mais également les molécules chimiques anciennes encore sur le marché, dont les risques n’ont pas été suffisamment évalués. Quelque trente mille molécules sont visées et devront toutes être évaluées d’ici à la date butoir de 2018.

Le règlement Reach place en outre sous la responsabilité des fabricants et des importateurs le partage de leurs données de recherche, afin de réduire les essais chez les animaux, en particulier ceux pratiqués chez les vertébrés. Plusieurs guides techniques destinés aux industriels, en cours d’élaboration, ont pour objectif de préciser la stratégie d’acquisition des informations sur les propriétés des substances pour limiter les essais en recourant à des méthodes alternatives ou en tenant compte des résultats de l’évaluation des risques.

Les méthodes alternatives et substitutives à l’expérimentation animale (qui existent déjà) seront donc amenées à se développer, même si le recours aux animaux reste, pour le moment, nécessaire à la recherche biomédicale.

Replace, reduce, refine : les 3R des principes éthiques de l’expérimentation animale

Les méthodes alternatives s’inscrivent dans le principe des 3R, décrit par Russell et Burch il y a cinquante ans, qui définit les bases éthiques de l’expérimentation animale :

– replace : remplacer l’animal par autre chose chaque fois que cela est possible ;

– reduce : réduire le nombre d’animaux au strict minimum pour répondre aux objectifs de l’étude ;

– refine : optimiser les conditions dans lesquelles les animaux sont hébergés, soignés et utilisés.

Les méthodes substitutives, au sens strict, sont celles qui n’utilisent pas du tout l’animal vertébré vivant. Parmi elles figurent les cultures de cellules et de tissus. Elles permettent aux chercheurs d’étudier les effets des produits sur des parties bien ciblées de l’organisme. Par exemple, des cultures de cellules sont d’ores et déjà utilisées en toxicologie et dans le cadre de la recherche sur des maladies humaines telles que le cancer, la maladie de Parkinson ou encore celle d’Alzheimer.

Les micro-organismes sont également d’une grande utilité. L’ADN des bactéries peut en effet être employé pour tester des altérations génétiques provoquées par des substances chimiques ou par des radiations.

Des rats de laboratoires sauvés par… les souris des informaticiens

La modélisation mathématique (tests dits in silico) est, quant à elle, apparue depuis quelques années. Des logiciels mathématiques aident les chimistes à concevoir des nouvelles molécules plus actives et moins toxiques, par comparaison avec des bases de données et avec des calculs d’interactions possibles avec des récepteurs cellulaires. Actuellement, des outils statistiques permettent aussi de prédire les doses efficaces d’un médicament à partir de données expérimentales limitées.

L’utilisation des animaux peut également être réduite par des méthodes d’étude non invasives. Par exemple, la résonance magnétique fournit des images en coupe dans différents plans et permet de reconstruire en trois dimensions une structure du corps. De même, la tomographie par émission de positons permet de localiser, en chaque point d’un organe, une substance marquée par un radioélément administré à un sujet vivant, afin de suivre dans le temps l’évolution de cette substance. Cette technique fournit ainsi une image quantitative du fonctionnement de l’organe étudié. Elle est aujourd’hui principalement utilisée en cancérologie, en cardiologie et en neuropsychiatrie dans le cadre du dépistage des maladies, mais aussi de la recherche médicale.

L’épidémiologie et l’étude des populations, destinées à mettre en évidence les liens entre une affection et des caractéristiques du style de vie, comme le régime alimentaire ou les activités et les habitudes individuelles, ne doivent pas être oubliées. L’expérimentation animale passe souvent totalement à côté de ce genre de découvertes. Dans les années 70, par exemple, Richard Doll, en étudiant l’incidence du cancer du poumon chez les fumeurs et les non-fumeurs, a découvert le lien entre ce cancer et le tabagisme. Jusqu’alors, l’expérimentation animale n’avait pas permis de l’établir.

Des avancées pour les produits chimiques, cosmétiques ou toxiques

Isabelle Fabre, de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) de Vendargues, a présenté une communication sur les méthodes substitutives(2) à l’Académie vétérinaire, en octobre dernier. Son objectif était de faire le point sur leurs avancées dans différents secteurs industriels et de présenter les perspectives d’évolution.

Pour les produits cosmétiques, actuellement, les industriels concernés ne disposent de moyens de substitution que dans les domaines de l’évaluation de la corrosion cutanée, de la phototoxicité, de l’absorption cutanée et, bientôt, de l’irritation cutanée, approuvée par le Centre européen pour la validation des méthodes alternatives (Cevma) et en cours d’étude à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

En ce qui concerne l’évaluation des risques liés aux produits chimiques pour la santé humaine, des stratégies comprenant l’utilisation de tests in vitro et in silico sont proposées pour les études de toxicité aiguë des substances chimiques, de leur tolérance locale (irritation/corrosion cutanée), de sensibilisation cutanée et respiratoire à leur application, de leur toxicité lors d’administration par doses répétées, de leur photo-toxicité, de leur toxicité sur la reproduction (voir tableau 1).

Le sang des crabes Limulus polyphemus au secours des lapins

Le secteur pharmaceutique reste, lui, largement tributaire des essais chez les animaux pour évaluer l’efficacité des médicaments et leur toxicité chez l’homme. L’expérimentation animale est présente dans la phase de recherche et dans la phase préclinique. Les données obtenues chez l’animal peuvent être utilisées jusqu’à la phase de pharmacovigilance, notamment au sein des plans de gestion des risques des médicaments, demandés aux laboratoires depuis 2004.

Mais il y a lieu de signaler les progrès notables intervenus dans le domaine des médicaments biologiques, plus particulièrement pour les vaccins. La Pharmacopée européenne a ainsi publié ou modifié de nombreuses monographies qui proposent la suppression de méthodes désormais inutiles en raison de la mise en place des bonnes pratiques de laboratoire (BPL), des bonnes pratiques de fabrication (BPF) et de l’assurance qualité (AQ). Dans l’étude de la toxicité anormale, par exemple, elle présente de nouvelles méthodes in vitro, comme le test du Limulus en remplacement du test d’apyrogénicité chez le lapin. Ce dernier consiste à leur injecter la substance d’essai et à consigner tout changement consécutif de la température corporelle, une hausse significative de celle-ci indiquant la présence de pyrogènes. Cette méthode a certes permis de contrôler l’innocuité des médicaments pendant plus de cinquante ans, mais elle n’est plus adaptée aux importantes thérapies nouvelles comme celles qui font intervenir des produits cellulaires ou des agents spécifiques à certaines espèces. En outre, elle utilise près de deux cent mille lapins par an en Europe. Le test in vitro du Limulus (ou essai LAL) est fondé sur la coagulation du sang de limule (Limulus polyphemus, un crabe présent en Amérique du Nord et centrale) en présence de substances pyrogènes. Cependant, cet essai ne permet de détecter qu’un seul type de pyrogènes : les endotoxines des bactéries Gram négatif. De plus, comme il porte sur le système immunitaire d’un arthropode, il ne peut donner de résultats parfaitement adaptés à l’homme.

Six tests cellulaires de substitution ont donc été étudiés pour remplacer celui d’apyrogénicité chez le lapin et combler les lacunes présentées par l’essai LAL. Ils reposent sur la réaction des leucocytes humains qui produisent des médiateurs de l’inflammation en réponse à une contamination par des pyrogènes exogènes. Les nouveaux essais offrent plusieurs avantages par rapport à ceux réalisés chez le lapin : ils sont moins laborieux, moins chers et plus sensibles. En outre, par rapport au test LAL, ils ne se limitent pas aux endotoxines des bactéries Gram négatif, mais détectent tous les types de pyrogènes. Ces essais sont en cours de validation réglementaire.

Le contrôle qualité des vaccins réalisé en double est un axe de travail prioritaire

Une directive européenne (89/342/CEE) prévoit des dispositions spécifiques au cas des produits immunologiques (vaccins, toxines, sérums). Pour cette catégorie de produits, la procédure exige des contrôles préalables à la mise sur le marché, sur chaque lot de vaccins, afin d’en vérifier l’identité, l’activité, la sécurité microbiologique et la stabilité. Ces tests de qualité sont réalisés à la fois par le fabricant et par un laboratoire national de contrôle, qui a autorité pour délivrer le certificat de conformité autorisant la mise sur le marché du lot. Le contrôle qualité des produits immunologiques, qui utilise environ 30 % des animaux nécessaires à l’élaboration d’un vaccin, est donc réalisé en double, par l’industriel et par le laboratoire de contrôle. Ce domaine, à fort potentiel de réduction de l’expérimentation animale, est identifié comme un axe prioritaire des travaux du Cevma et de la plate-forme française dédiée au développement des méthodes alternatives en France.

Au niveau des vaccins, les autres stratégies de réduction tant du nombre d’animaux utilisés que de la souffrance qui leur est infligée sont la réalisation de tests sérologiques à la place des tests de challenge.

Des collaborations plus efficaces au niveau international restent à mettre en place

Des progrès scientifiques considérables ont donc permis le développement de modèles pertinents pour évaluer les effets toxiques des médicaments ou des produits chimiques sur la santé humaine et la qualité de l’environnement. Cependant, en l’état actuel des connaissances, les méthodes substitutives ne peuvent pas remplacer l’animal lorsque les études portent sur l’organisme entier. En effet, les essais in vitro, même utilisés en batterie complémentaire, ne peuvent reproduire les mécanismes des régulations complexes et des interactions entre les cellules et les organes. En outre, les processus de validation scientifique et de reconnaissance réglementaire des méthodes substitutives sont longs (plusieurs années) et leur coût n’est pas négligeable.

A ce sujet, d’après les spécialistes réunis en colloque par le Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (Gircor) en janvier 2007, le programme Reach devrait entraîner une augmentation de 3 % du nombre d’animaux de laboratoire utilisés pour l’évaluation des substances chimiques, à compter de l’entrée en vigueur du règlement et jusqu’à la date butoir de 2018, faute de méthodes substitutives disponibles.

Selon Isabelle Fabre, des collaborations plus efficaces à l’échelle internationale doivent se mettre en place, aussi bien au niveau des structures de validation qu’à celui des autorités réglementaires, pour que les méthodes validées soient réellement appliquées. Pour la scientifique, la collaboration entre les différents secteurs industriels (chimie, médicament, produit cosmétique) mérite d’être encouragée afin d’éviter la répétition des efforts de recherche, de favoriser le partage des données sur les substances, mais aussi la mise en commun de l’expérience acquise sur les méthodes alternatives à l’expérimentation animale(3).

  • (1) Reach pour registration, evaluation, authorisation and restriction of chemicals (enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques).

  • (2) « Méthodes substitutives à l’expérimentation animale : aspects réglementaires, état de l’art et perspectives », Isabelle Fabre, 2008.

  • (3) Pour en savoir plus : http://ecvam.jrc.it/index.htm

  • Ces méthodes font l'objet de lignes directrices, identifiées via un code international par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

La réglementation européenne

La directive européenne 86/609/CEE réglemente le champ d’application de l’expérimentation animale dans l’Union européenne et s’applique aux animaux vertébrés utilisés dans des essais susceptibles de produire de la douleur, de la souffrance, de la détresse ou des dommages durables. Elle incite à utiliser les méthodes 3R et concerne tous les domaines qui font appel à l’animal, y compris en recherche fondamentale et dans les cursus de formation. Elle impose à chaque Etat membre de recueillir, tous les trois ans, les données précises sur le nombre et le type d’expérimentations réalisées chez des animaux sur leur territoire. Le cinquième rapport, publié en 2007, fait état de 12,1 millions d’animaux utilisés en 2005 par 25 pays européens, dont près de 75 % de rongeurs, mais aussi des animaux à sang froid (15 %) et des oiseaux (5,4 %). Le secteur biomédical en est le plus gros “consommateur”, avec quelque 60 % d’animaux consacrés aux études de biologie fondamentale, à la recherche et au développement, et avec 15,3 % d’animaux utilisés pour le contrôle de la qualité des produits de santé humaine et vétérinaire (voir graphique).

N. D.
Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr