L'analgésie doit désormais être multimodale - La Semaine Vétérinaire n° 1354 du 03/04/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1354 du 03/04/2009

Médecine fondée sur les preuves

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Gwenaël Outters

La littérature vétérinaire sur la gestion de la douleur est indigente. Or, il n’est pas forcément réaliste d’extrapoler les résultats obtenus en médecine humaine.

La douleur est un ennemi polymorphe dont la définition est difficile à établir dans la mesure où il n’existe pas une, mais des douleurs, aux ressentis différents (physiologique, pathologique, somatique, viscérale, inflammatoire, neuropathique, nociceptive, hyperalgésie, allodynie, etc.). Elles peuvent également être décrites comme des douleurs légères, moyennes, sévères, très sévères.

Les voies de la douleur sont de mieux en mieux connues. Les stimuli agissent sur les nocicepteurs, lesquels transmettent une information qui remonte le long des nerfs périphériques puis de la moelle épinière pour être transmise au cortex, où elle subit une intégration supraspinale. Certaines informations redescendent ensuite et sont modulées au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière. Il existe donc au moins quatre relais potentiels. De plus, lors de stimuli nociceptifs, des phénomènes inflammatoires sensibilisent encore les nocicepteurs périphériques. Cela explique, par exemple, pourquoi la personne qui se coupe a mal à l’endroit même de la coupure, mais aussi dans la zone périphérique, qui peut être plus ou moins étendue. Au niveau central, il existe également des modulations du message nociceptif, ce qui fait varier l’intensité perçue de la douleur. La douleur ne répond pas à un schéma linéaire : à un stimulus ne correspond pas une, mais un grand nombre de douleurs, selon les phénomènes de sensibilisation.

L’analgésie multimodale vise à utiliser un maximum de molécules

Au niveau de l’approche thérapeutique, un panel de drogues agissent à différents niveaux de la chaîne de la douleur : sur les nocicepteurs, les nerfs périphériques, la corne dorsale de la moelle épinière, l’intégration centrale, la sensibilisation centrale ou périphérique. De ce constat découle le concept “d’analgésie multimodale”, en vogue actuellement, qui vise à utiliser un maximum de drogues différentes pour essayer de bloquer la douleur en plusieurs sites et être le plus efficace possible. Les anesthésiques locaux ou la capsicaïne, par exemple, bloquent la douleur au niveau des nocicepteurs. Les anesthésiques locaux ou les α2agonistes ont un effet sur la conduction nerveuse. Les opioïdes, les α2agonistes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les anesthésiques locaux agissent sur la corne dorsale de la moelle épinière, sur la transmission ascendante et descendante pour les opioïdes et les α2agonistes. Les opioïdes, les α2agonistes, mais aussi les anesthésiques généraux peuvent avoir un effet sur le système nerveux central supraspinal. En outre, pour diminuer les sensibilisations, il y a le choix entre les AINS ou les opioïdes et, au niveau central, les antagonistes des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) comme la kétamine et l’amantadine, les AINS cox2 ou la gabapentine (anticonvulsivant).

L’analgésie préventive est remise en question

Le concept d’analgésie préventive a trouvé sa justification dans certaines études (Lee et Lee, 2005) dans le monde animal. Elles montrent qu’une analgésie préopératoire diminue les besoins en analgésiques postopératoires. Cependant, ces résultats ne sont pas parfaitement confirmés en médecine humaine. En effet, une méta-analyse (Ong et coll., 2005), réalisée en médecine humaine, indique que les opioïdes ou les antagonistes des récepteurs NMDA, de type kétamine, n’ont à ce jour fait aucune preuve de leur efficacité pour réduire la douleur a posteriori. Cela participe peut-être à la gestion de la douleur peropératoire, mais pas en termes de réduction de la douleur a posteriori. Ces résultats vont à l’encontre des pratiques courantes des dernières années qui privilégient l’analgésie préventive. En revanche, cette analyse montre que les anesthésies locorégionales, en particulier la péridurale, de même que l’administration préopératoire d’AINS, peuvent diminuer drastiquement les besoins en analgésiques a posteriori. Ces données sont encore controversées et, face à cette méta-analyse, il existe des sceptiques, d’autant qu’il s’agit de médecine humaine et que la transposition en médecine vétérinaire n’est pas évidente. Bien que nous ne disposions d’aucune méta-analyse dans ce domaine en médecine vétérinaire, les auteurs s’accordent sur l’intérêt de pratiquer une analgésie précoce, pour limiter l’hyperalgésie liée à tous les phénomènes d’hypersensibilisation périphérique et centrale, en tapant vite, fort et bien. Il est donc conseillé de traiter dès la phase préopératoire lorsqu’il s’agit de douleurs induites, puis pendant le phénomène douloureux, et de prolonger l’analgésie aussi longtemps que nécessaire en adaptant la prise en charge de la douleur au phénomène douloureux et à son intensité.

Pour des douleurs chroniques, la tendance est de prescrire au départ des analgésiques dits faibles puis, selon l’évaluation de la persistance du phénomène douloureux, d’augmenter leur intensité. La pratique sera inversée lors de douleurs aiguës, pour lesquelles il convient d’administrer d’emblée des morphiniques (éventuellement associés à des AINS) et de revoir ensuite les exigences à la baisse selon la réponse thérapeutique.

L’analgésie raisonnée est également un concept actuel issu d’une publication de 2001 (Muir et Woolf). Elle consiste à traiter la douleur en cherchant sa signature neurobiologique et les mécanismes en jeu.

Les effets secondaires des morphiniques sont négligeables chez les carnivores domestiques

Les effets secondaires des morphiniques sont liés à la dose, à la douleur présente et à la voie d’administration. Un certain nombre d’entre eux, présents et redoutés dans l’espèce humaine comme la dépression respiratoire lors d’utilisation de morphine, sont négligeables chez les carnivores domestiques. Il existe les morphiniques agonistes purs (morphine, fentanyl), les agonistes partiels (buprénorphine), les agonistes antagonistes (butorphanol) et les morphiniques faibles (tramadol). Comme la durée d’action de la morphine intraveineuse est faible (deux à quatre heures au maximum chez le chien), sa perfusion continue semble une alternative intéressante (chien de 0,1 à 1 mg/kg/h, chat de 0,05 à 0,2 mg/kg/h).

L’utilisation intra-articulaire des morphiniques manque de matière littéraire pour réellement statuer sur cette technique. La durée d’action ne fait pas consensus, mais l’analgésie procurée par une injection intra-articulaire semblerait persister une vingtaine d’heures. Aussi, son administration péridurale paraît être une technique intéressante. Une récente étude québécoise (Kona Boun et coll., 2006) montre un effet optimal de l’association de la morphine avec un anesthésique local par voie péridurale, en réduisant alors les doses d’anesthésiques avec une analgésie d’une vingtaine d’heures, mais tout reste à démontrer. En outre, l’utilisation intrathéchale en est encore au stade d’essai en médecine vétérinaire. Il n’existe aucune publication sérieuse des effets de la morphine par voie orale sur les animaux.

Le patch de fentanyl est bien décrit en médecine vétérinaire et les durées de mise en place des effets sont établies : sept heures chez le chat et vingt-quatre chez le chien. Il est à manier avec précaution chez les animaux en hypothermie. Le fentanyl injectable est utilisable en médecine vétérinaire depuis l’arrêté du 7 février 2007, relatif à l’ouverture de la réserve hospitalière. Il est utilisé depuis toujours, cependant aucune étude globale de l’effet du fentanyl sur la prise en charge de la douleur chez les carnivores domestiques n’a encore été menée.

La buprénorphine, agoniste partiel, connue pour son effet plafond en dose, est surtout intéressante pour sa durée d’action. Elle est également disponible grâce à l’ouverture de la réserve hospitalière. Une forme vétérinaire existe déjà chez nos confrères anglo-saxons depuis plusieurs années (et depuis quelques mois en France).

Le butorphanol était, jusqu’à récemment, le seul morphinique avec une autorisation de mise sur le marché pour les petits animaux. La littérature est tout de même relativement vague. La tendance est de dire qu’il serait plus efficace pour les douleurs viscérales que somatiques, mais aucune étude ne permet de l’affirmer. Le tramadol a fait l’objet de quelques travaux, mais son utilisation reste empirique. Les doses utilisées sont celles qui semblent “raisonnables” : 1 à 5 mg/kg chez le chien, avec une durée d’action d’environ quatre à six heures.

Les AINS ont une activité périphérique antiinflammatoire qui limite l’hypersensibilisation périphérique et une activité centrale par inhibition des prostaglandines ( impliquées dans l’auto-aggravation des phénomènes douloureux) au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière. Leur efficacité et le bénéfice de leur utilisation ne sont plus à prouver. Ils sont prescrits seuls ou en association dans le cadre d’une analgésie multimodale.

De nombreux traitements adjuvants existent

Outre leur action sédative, les α2agonistes possèdent des propriétés analgésiques. Ils sont de plus en plus utilisés en perfusion continue (médétomidine à raison de 0,5 à 1,5 µg/kg/h, dexmédétomidine à la dose de 0,5 à 3 µg/kg/h) afin de prolonger l’effet d’une administration unique. Les anesthésies locales ont donné des résultats intéressants dans la prise en charge de la douleur en phase peropératoire. Elles peuvent s’appliquer à presque tous les gestes chirurgicaux pratiqués en médecine vétérinaire, mais sont trop peu souvent mises en œuvre.

La lidocaïne a trouvé une bonne indication en perfusion intraveineuse pour ses effets analgésiques, anesthésiques et prokinétiques. Les antagonistes des récepteurs NMDA ont un rôle évident dans la diminution de l’hyperalgésie : la kétamine est administrée soit en bolus à la posologie de 0,1 à 0,5 mg/kg, soit en perfusion continue à la dose de 0,6 à 7 mg/kg/h selon les publications, avec un effet analgésique préventif probable.

L’amantadine, un antiparkinsonien, est de plus en plus utilisée par les Anglo-Saxons, mais ne fait l’objet d’aucune publication pour le moment. De même, la gabapentine (un anticonvulsivant majoritairement employé en médecine humaine pour la gestion de douleurs invalidantes, neuropathiques, répondant mal aux morphiniques) ne bénéficie d’aucune étude en médecine vétérinaire. Son utilisation semble malgré tout intéressante. Les antidépresseurs tricycliques pourraient être une alternative aux traitements de douleurs compliquées. En outre , il convient de penser aux tranquillisants, aux antispasmodiques, aux myorelaxants, aux corticoïdes, etc.

La littérature vétérinaire, en termes d’analgésie et de gestion de la douleur, est vraiment indigente et manque cruellement de méta-analyses. Il n’est pas forcément réaliste de vouloir extrapoler les résultats obtenus en médecine humaine. Le consensus actuel s’oriente vers une analgésie qui devrait être multimodale, adaptée et précoce. Côté traitement, l’arsenal thérapeutique a tendance à s’élargir, mais son utilisation reste souvent empirique.

CONFÉRENCIÈRE

Delphine Holopherne, maître de conférences en anesthésie-réanimation à l'ENV de Nantes.

Article tiré de la conférence « Prise en charge de la douleur : état des preuves », présentée lors du congrès de l'Afvac 2008, organisé à Strasbourg.

A LIRE DANS Le Point Vétérinaire

• Roxane Steux : « Gestion médicamenteuse de la douleur cancéreuse », PV n° 266, juin 2006

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr