Daniel Le Bars (A 71) est récompensé pour ses travaux sur la douleur animale - La Semaine Vétérinaire n° 1354 du 03/04/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1354 du 03/04/2009

Recherche

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Valentine Chamard

L'institut de France a remis un prix à notre confrère pour ses avancées sur la douleur et son soulagement.

La Semaine Vétérinaire : Dans quelles circonstances faut-il préconiser l'administration épidurale de morphiniques chez l'animal ? Faut-il l'associer à des anti-inflammatoires par voie systémique ?

Daniel Le Bars : Le principal intérêt de l'épidurale de morphine est sa durée d'action, proche de vingt-quatre heures. Elle permet la prise en charge de la douleur périopératoire abdominale ou issue des membres postérieurs en une seule injection, au moins pour sa phase la plus douloureuse. L'utilisation conjointe d'anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) par voie systémique est probablement à conseiller, car elle peut améliorer l'analgésie en agissant sur des cibles différentes.

S. V. : L'arsenal thérapeutique vétérinaire dédié à la douleur animale s'étoffe. Quelles sont les molécules qui manquent encore à sa prise en charge satisfaisante ? Quelles sont les techniques ou molécules d'avenir ?

D. Le B. : L'Organisation mondiale de la santé a défini trois paliers de douleur et les traitements correspondants (voir encadré en page 36). Bien qu'originellement dédiée aux douleurs cancéreuses, cette classification est utile dans d'autres contextes, notamment postopératoires.

Des morphiniques forts sont indispensables pour prendre en charge la douleur intense (chirurgicale, par exemple). Les molécules de référence (morphine, fentanyl) ne sont pas disponibles sur le marché des médicaments vétérinaires, mais accessibles uniquement via le marché humain. Je dirais volontiers que la morphine est la molécule de référence pour les vétérinaires, et j'espère qu'elle leur restera accessible… D'autres produits ont récemment été commercialisés sur le marché vétérinaire et sont bien adaptés pour des douleurs de palier 2, lors d'actes plutôt courts (butorphanol) ou de suivi postopératoire (buprénorphine). Il convient de s'en réjouir et de promouvoir leur large utilisation. Il reste que, dans l'arsenal thérapeutique des vétérinaires, il manque des anesthésiques locaux à longue durée d'action comme la bupivacaïne ou la ropivacaïne.

S. V. : Vos travaux sur la tolérance montrent que l'accoutumance à la morphine est rare d'un point de vue clinique, mais fréquente chez les modèles expérimentaux. Comment l'expliquer ?

D. Le B. : L'étude électromyographique d'un réflexe aux fibres C chez un animal anesthésié nous renseigne sur la transmission spinale des messages nociceptifs. Son intérêt majeur réside dans la possibilité de quantifier des réponses évoquées par un large spectre d'intensité de stimulation. Il est ainsi possible de montrer, chez le rat, que la morphine provoque un double effet sur la courbe stimulus-réponse : déplacement du seuil et abaissement de la pente. Chez un animal rendu tolérant à la morphine, la molécule ne déplace plus le seuil de la courbe stimulus-réponse, mais abaisse toujours sa pente, quoique dans une moindre mesure. Cette observation permet de réconcilier le point de vue des fondamentalistes et des cliniciens. Les premiers, qui enregistrent le plus souvent chez l'animal un seuil nociceptif, mettent facilement en évidence la tolérance à la morphine, alors que les seconds ne l'observent que de façon exceptionnelle. Les antalgiques opiacés ne sont prescrits que pour soulager des douleurs intenses.

S. V. : Vos études sur la douleur utilisent des méthodes non invasives. Quelles sont-elles et quels sont leurs avantages ?

D. Le B. : En collaboration avec l'équipe du professeur Léon Plaghki (université catholique de Louvain, Belgique), nous avons développé une méthode originale d'évaluation de la douleur fondée sur l'analyse conjointe du stimulus et de la réponse, lors d'applications sur la peau de rampes thermiques de pentes variées. Une caméra infrarouge permet de suivre la variation de température cutanée évoquée par un laser CO2, la stimulation étant arrêtée par le sujet dès qu'il l'estime douloureuse (chez l'homme) ou lorsqu'il effectue un mouvement de retrait (chez l'animal). Cette méthode permet de mesurer des variables latentes, inaccessibles par les méthodes conventionnelles : vrai seuil, latence psychophysique, vitesse de conduction et nature (fibres Ad ou C) des fibres périphériques qui déclenchent la réaction, latence décisionnelle. Cette approche est prometteuse dans la mesure où, d'une part, les méthodes psychophysiques usuelles ne permettent de mesurer qu'un “seuil de douleur” sans déterminer lequel des deux systèmes afférents (Aδou C) en est la cause et sans mesurer de latence et, d'autre part, il est impossible d'explorer de façon non invasive les fibres Aδ et C, notamment leurs vitesses de conduction, par les méthodes conventionnelles de l'électrophysiologie clinique. Le fait de pouvoir l'utiliser chez l'animal et chez l'homme la rend potentiellement riche de développements. En outre, le dispositif est complété par un système de sécurité qui permet d'éviter tout risque de brûlure.

S. V. : Vous êtes à l'origine de la découverte des contrôles inhibiteurs diffus nociceptifs (CIDN). En quoi consistent-ils ? Quelles en sont les applications cliniques ?

D. Le B. : Les neurones de la corne dorsale de la moelle renseignent continuellement notre cerveau sur l'état de notre corps au travers de leurs réponses aux stimuli mécaniques et thermiques procurés par la vie quotidienne. Cette activité globale constitue un “bruit somesthésique” qui, de concert avec la proprioception et l'équilibration, joue probablement un rôle important dans l'élaboration du schéma corporel. Lors d'un processus douloureux, ce “bruit” est profondément perturbé. Une partie de ces neurones est activée, c'est le message nociceptif envoyé au cerveau. Le reste de la population neuronale est inhibé par les CIDN. En inhibant l'activité des neurones non directement concernés par la stimulation, les CIDN améliorent le rapport signal/bruit du système de transmission vers le cerveau et, par conséquent, la fonction de signal d'alarme de la douleur. C'est un peu comme dans une salle de spectacle ou un amphithéâtre où les spectateurs se taisent pour entendre l'orateur.

Ce mécanisme de base génère des phénomènes interactifs entre des messages nociceptifs issus de territoires corporels éloignés et, partant, d'interactions entre douleurs d'origine topographique distincte. C'est ainsi que s'explique le fait, à première vue mystérieux, qu'une douleur peut en masquer une autre, observation déjà rapportée par Hippocrate : « De deux souffrances survenant en même temps, mais sur des points différents, la plus forte fait taire la plus faible. » C'est sur la base de cette observation qu'ont été développées, dans les médecines populaires et en marge de la “médecine officielle”, de nombreuses méthodes thérapeutiques à visée antalgique qui peuvent être regroupées sous le terme anglo-saxon de “contre-stimulation”. Ainsi, en Kabylie, les douleurs rhumatismales sont soulagées en rapprochant de l'abdomen du patient une faux portée au rouge, qui vibre selon une fréquence rapide (environ 3 Hz) pour créer un train de douleurs aiguës. De même, il existe de nombreuses autres pratiques, anciennes (décharge de poisson électrique, scarification, moxibustion, révulsifs, pointes de feu, certaines formes d'acupuncture, etc.) ou plus “modernes” (hyperstimulation, transcutaneous electrical nerve stimulation intense à basse fréquence, électro-acupuncture, etc.). Nos “anciens”, vétérinaires de campagne, utilisaient le tord-nez ou la pince “mouchette” pour effectuer certaines opérations comme les castrations. Par ailleurs, les cas sont nombreux, notamment en cancérologie, où de multiples foyers potentiellement douloureux s'influencent les uns les autres. Ces observations cliniques s'expliquent aujourd'hui par l'existence des CIDN. De la même façon que certaines illusions visuelles sont les témoins des phénomènes neuronaux d'inhibition latérale, le masquage d'une douleur par une autre témoigne de l'existence des CIDN.

Finalement, je dirais que les applications thérapeutiques des CIDN appartiennent au passé… En revanche, leurs applications cliniques sont d'actualité, mais ressortent plutôt du domaine de la prédiction de l'évolution d'une douleur aiguë vers une douleur chronique, comme en témoignent des travaux israéliens récents concernant les thoracotomies.

S. V. : Un message pour les praticiens ?

D. Le B. : Il découle de ce qui précède. Il me semble que chaque vétérinaire devrait disposer d'antalgiques de palier 3, notamment lorsqu'il réalise des interventions chirurgicales, même s'ils ne sont pas disponibles en tant que médicaments vétérinaires. Je suis plutôt surpris de constater que le monde vétérinaire ne s'est pas mobilisé sur ce point. Il faut ici rendre hommage au petit groupe qui milite en ce sens (les vétérinaires de l'association 4AVet). La réussite d'un traitement antalgique repose sur l'association des produits et des techniques (analgésie multimodale), la quantification du niveau de la douleur et l'adaptation du traitement au résultat obtenu. A cet égard, il convient de se méfier des molécules fortement sédatives (α2-agonistes, par exemple) qui donnent souvent l'illusion que la douleur a disparu.

  • (1) La Fondation Unité-Guerra-Paul-Beaudoin-Lambrecht-Maïano, créée en 2006 à l'Institut de France, a pour objet principal de soutenir la lutte contre la douleur en aidant la recherche scientifique et médicale, en apportant son soutien à des équipes médicales qui cherchent à améliorer les soins, en développant la mise en place de soins palliatifs pour les malades.

  • Source : OMS.

Parcours de Daniel Le Bars

Notre confrère est directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), membre de la Société française d'étude et de traitement de la douleur (SFETD) et de l'International Association for the Study of Pain (IASP). Il a reçu un prix pour ses travaux de recherche sur la douleur, le 3 février dernier, d'un montant de 15 000 €, décerné par la Fondation Unité-Guerra-Paul-Beaudoin-Lambrecht-Maïano(1).

« C'est le souci permanent de faire dialoguer sciences fondamentales et sciences cliniques qui constitue le fil conducteur des travaux de Daniel Le Bars, centrés sur l'amélioration des connaissances concernant la douleur et son soulagement », indique l'Institut de France.

Il fut notamment l'un des premiers chercheurs à s'intéresser aux effets de la morphine sur la moelle épinière. « Ces résultats, originaux à l'époque, mais accueillis avec un certain scepticisme, ont été ultérieurement confirmés par de nombreuses équipes et ont suscité un regain d'intérêt lorsque de nombreux récepteurs opioïdes et de terminaisons riches en enképhaline ont été décrits dans les couches les plus superficielles de la corne dorsale de la moelle épinière », poursuit l'Institut de France. De ces travaux découlent des applications cliniques comme l'administration épidurale ou intrathécale de morphiniques, qui permet d'atteindre des concentrations locales importantes en minimisant les effets secondaires. Elle est notamment utilisée en médecine humaine pour soulager les patients cancéreux.

Valentine Chamard

Trois paliers de douleur

• Palier 1 : douleurs légères à modérées soulagées par le paracétamol, l'aspirine ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Certains calment exclusivement la douleur, ce sont les antalgiques purs.

• Palier 2 : douleurs modérées à sévères soulagées par les morphiniques faibles (codéine, dextropropoxyphène). Ils peuvent être utilisés seuls ou associés aux antalgiques de palier 1.

• Palier 3 : douleurs intenses soulagées par les morphiniques. La morphine est l'antalgique central de référence.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr