DES SACRIFICES RITUELS AU RESPECT DU BIEN-ÊTRE ANIMAL - La Semaine Vétérinaire n° 1345 du 30/01/2009
La Semaine Vétérinaire n° 1345 du 30/01/2009

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Auteur(s) : Agnès Faessel

La culture judéo-chrétienne n’est pas sans influence sur notre approche des animaux. La compassion éprouvée vis-à-vis d’eux est l’expression d’une morale, dont les fondements peuvent se trouver dans certains principes religieux. Le respect de la vie et des besoins des animaux a néanmoins été contemporain d’une violence à leur encontre, à travers les sacrifices rituels.

Le rôle, voire le devoir des vétérinaires en matière d’amélioration du bien-être animal ont été évoqués lors de la deuxième conférence mondiale sur la bientraitance animale, initiée par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Elle s’est tenue au Caire (Egypte) du 20 au 22 octobre dernier(1) sur le thème de l’application des standards de l’OIE à travers le monde, notamment dans les pays en voie de développement (normes de transport, d’abattage, etc.).

Cette sollicitude envers les animaux n’est pas nouvelle, mais a subi quelques soubresauts au cours de l’histoire. Son fondement peut être trouvé dans la culture judéo-chrétienne. Anne-Laure Michon, qui a étudié le sujet dans le cadre de sa thèse d’exercice, constate que dans les récits de la Création, l’homme reçoit de Dieu la mission de gérer l’univers, notamment le monde animal, dont il apparaît responsable (sans en être le propriétaire). Il est néanmoins autorisé à tuer pour vivre : « Tout ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture » (Genèse I, 11).

Pour sa part, Jean-Bruno Goupy explique dans sa thèse le changement important des rapports de l’homme avec les animaux, opéré à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Il cite l’intégration intime de l’animal à la cellule familiale, aboutissant à une certaine reconnaissance de sa personnalité. Les mouvements de protection animale sont nés. La législation change, punissant par exemple les actes de cruauté envers les animaux à partir de 1963 en France. Mais notre confrère retrace surtout l’origine de cette compassion pour l’animal, la recherchant dans les principes religieux et leur évolution.

L’animal est d’abord l’objet de sacrifices rituels

L’étude des religions montre un lien violent à l’animal, particulièrement à travers les sacrifices rituels, observés de manière universelle. Dès la Préhistoire, la chasse est associée à des rites. Mais les véritables sacrifices d’animaux apparaissent avec l’élevage, durant l’Antiquité. En effet, les animaux appartiennent aux dieux. Les rites à caractère alimentaire visent alors à se faire pardonner de les tuer et de les consommer. L’animal est sacrifié puis partagé avec les divinités.

D’autres rites sanglants présentent une fonction purificatrice, expiatoire ou conjuratoire. Ils sont associés à des événements familiaux (mariage, naissance, mort, etc.) ou à des phénomènes interprétés comme l’expression de colères divines (les fléaux comme la famine ou la guerre, les maladies, etc.), dans un objectif d’apaisement.

Les sacrifices d’animaux revêtent ainsi un caractère sacré. Mais d’un point de vue sociétal, ils ont sans doute d’autres finalités, par exemple renforcer la cohésion des groupes ou affranchir la communauté de ses fautes. Le bouc émissaire des Hébreux, chargé des méfaits communs puis chassé dans le désert, en est l’illustration. L’immolation peut aussi être considérée comme un meurtre collectif, dont l’une des fonctions est de contenir la violence latente des individus. Les pulsions criminelles sont ainsi dirigées vers une victime désignée comme émissaire.

Peu à peu, l’animal devient un symbole moral

Mais les fondements de la protection animale se trouvent aussi dans les religions. Le judaïsme antique appelle ainsi à respecter la vie des animaux : en dehors des sacrifices et de l’abattage rituels, leur mise à mort est interdite. Des passages de l’Ancien testament incitent à préserver leur bien-être, à respecter leurs besoins : « Le Juste connaît les besoins de son bétail » (Proverbes XII, 10), « six jours durant tu feras tes travaux, mais au septième jour tu chômeras, afin que se reposent ton bœuf et ton âne » (Exode XXIII, 12). « Tu ne muselleras pas le bœuf pendant qu’il foule le grain » (Deuteronome XXV, 4) peut-on également y lire, ce qui signifie que l’animal doit pouvoir manger pendant qu’il travaille.

Progressivement, les sacrifices d’animaux sont abandonnés, au profit d’autres formes d’expiation. Face aux “fautes”, la responsabilité collective et les sacrifices purificateurs font place à la responsabilité individuelle et à une purification morale, obtenue notamment par la dévotion et les prières. L’évolution du judaïsme montre la régression régulière du système sacrificiel, avec la seule conservation de l’abattage rituel. Dans le christianisme, ce système est totalement aboli. En parallèle, l’animal est exclu de la pensée religieuse : il est presque absent des Evangiles. D’après Anne-Laure Michon, les textes appellent néanmoins à une réconciliation entre l’homme et le monde animal. Et les grands saints sont traditionnellement accompagnés d’animaux, dans une relation pacifique, bienveillante. L’animal n’est plus une victime ; il est devenu un symbole moral.

De l’animal machine à l’entrée dans le cercle familial

Au cours des derniers siècles, l’approche des animaux a suivi l’évolution de la philosophie, dans une France chrétienne puis laïque, pour aboutir à la conception moderne de l’animal. Le classicisme au XVIIe siècle met en avant la grandeur de l’homme, seul à posséder une âme. Pour Nicolas Malebranche, par exemple, les animaux sont dépourvus d’intelligence et comparés à des machines : « Lorsqu’ils [les animaux] agissent d’une façon qui semble indiquer de l’intelligence, c’est parce que Dieu les a créés pour les maintenir en vie et qu’il a formé leur corps de telle façon que, machinalement et sans crainte, ils évitent tout ce qui pourrait amener leur perte. » En revanche, le XVIIIe siècle est marqué par l’intérêt porté aux « mystères de la nature » et l’émergence d’une sensibilité vis-à-vis d’elle. Pour Jean-Jacques Rousseau, les animaux sont doués de sensibilité et capables de souffrir. Il ne faut pas leur infliger de mal.

Plus tard, le XIXe siècle est celui de l’avènement de la science, qui s’affranchit des religions et attribue définitivement à l’animal des facultés mentales : une intelligence, une capacité à raisonner… et à souffrir. A l’époque du romantisme s’opère un fort rapprochement entre l’homme et l’animal. Les textes de la littérature lui prêtent des sentiments humains, voire une certaine grandeur morale (dignité face à la souffrance et la mort, dévouement, courage, amour, etc.).

Mais dès la moitié du XIXe siècle, l’intelligence de l’homme est distinguée de l’instinct des animaux. A cette époque, la recherche en biologie utilise d’ailleurs davantage les études sur le vivant. Face à l’intérêt scientifique des expérimentations animales, la sensibilité des bêtes passe au second plan. Ces pratiques sont rapidement dénoncées, participant à l’évolution de l’opinion publique en faveur du respect de la sensibilité animale. Celle-ci redouble avec la Seconde Guerre mondiale, après laquelle le refus de la douleur, de la maladie et de la mort est exacerbé.

En parallèle, la société change en accordant une place grandissante au plaisir et au loisir. Dans la population citadine au moins, l’animal entre dans le cercle familial. La compassion pour l’animal de compagnie s’étend aux animaux de rente. Et le bien-être animal général devient un sujet de préoccupation, auquel répond progressivement la législation.

  • (1) La première édition avait eu lieu à Paris en 2004.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Anne-Laure Michon : « La place des animaux dans la culture judéo-chrétienne, ou comment parler de l’animal revient à parler de l’homme », thèse de doctorat vétérinaire, Toulouse, 2002.

• Jean-Bruno Goupy : « La religion à l’origine de nos rapports avec les animaux : de la violence à la protection animale », thèse de doctorat vétérinaire, Lyon, 1985.

• Laëtitia Liébert : « Les animaux dans le Coran : statut, lois alimentaires et symbolisme en Islam », thèse de doctorat vétérinaire, Alfort, 2000.

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