MENACES SUR LA DIVERSITÉ GÉNÉTIQUE DES RACES D’ÉLEVAGE - La Semaine Vétérinaire n° 1337 du 28/11/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1337 du 28/11/2008

À la une

Auteur(s) : Nathalie Devos

20 % des races d’élevage sont classées à risque d’extinction selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). L’extension des systèmes intensifs qui utilisent un nombre restreint de races, les épizooties ou encore le développement des biocarburants menacent la diversité des animaux d’élevage. Pourtant, cette dernière est nécessaire pour faire face au réchauffement climatique, par exemple, ou en termes de résistance aux maladies.

La gestion raisonnée de la biodiversité animale est une nécessité qui, fort heureusement, commence à être aujourd’hui sérieusement prise en compte. Outre la faune sauvage, le secteur de l’élevage doit retenir également l’attention. Il sera en effet amené à subir de vastes changements dans les décennies à venir. D’une part, la demande internationale en protéines animales devrait doubler d’ici à une quarantaine d’années. La production mondiale de viande pourrait ainsi atteindre 465 millions de tonnes, tandis que celle du lait devrait passer de 580 à 1 043 millions de tonnes. Les raisons de cet accroissement sont la hausse prévue de 50 % de la population mondiale par rapport au début du siècle, soit 9 milliards de personnes en 2050, une urbanisation globale qui devrait passer de 50 % (en 2007) à 80 % en 2050, surtout dans les pays en voie de développement, et un pouvoir d’achat en hausse, notamment en Asie et au Proche-Orient. D’autre part, le réchauffement climatique et l’émergence de maladies animales qu’il entraîne renforcent le besoin de maintenir une capacité d’adaptation et de développement des systèmes agricoles actuels, lesquels nécessitent une grande panoplie de ressources zoogénétiques.

L’élevage peut constituer 4 à 5 % du PIB, voire 30 % dans les pays en voie de développement

En outre, au-delà de l’importance de la contribution du secteur de l’élevage à la sécurité alimentaire mondiale et aux économies nationales – qui peut aller de 4 à 5 % du PIB à 30 % dans les pays en voie de développement –, la diversité génétique des espèces d’élevage est un élément intégral des écosystèmes et des paysages à travers le monde. Dans certaines sociétés, cette diversité de l’élevage s’inscrit également dans une fonction culturelle (de loisir, de tradition ou d’alimentation de “terroir”), mais aussi touristique, et participe à l’entretien du paysage (souvent grâce à des races locales).

Malheureusement, aujourd’hui, la diversité génétique des principales espèces d’élevage est menacée. C’est ce qu’ont constaté les auteurs d’un rapport sur l’évaluation globale de l’état des ressources zoogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, réalisé pour le compte de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à l’aide de cent soixante-neuf rapports nationaux. Il n’est, bien entendu, pas souhaitable que la conservation des ressources zoogénétiques soit, en tant que telle, prioritaire par rapport à des objectifs comme la sécurité alimentaire, l’action humanitaire en réponse aux catastrophes naturelles ou le contrôle de graves maladies animales, soulignent les rapporteurs. « Cependant, l’utilisation efficace des ressources zoogénétiques existantes complète les objectifs généraux de développement du secteur de l’élevage », expliquent-ils.

Le plus grand nombre de races disparues est recensé chez les porcs et les bovins

Actuellement, sur près de 7 600 races d’élevage enregistrées dans la base de données globale de la FAO sur les ressources zoogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, près de 1 500, soit 20 %, sont classées comme « à risque » d’extinction(1). Le nombre réel serait même plus élevé selon les auteurs, en raison du manque de données pour 36 % des races de la base de données (voir graphique en page 28).

Globalement, au niveau mondial, une comparaison entre les espèces montre que les chevaux (23 %), suivis des lapins (20 %), des porcs (18 %) et des bovins (16 %), sont les espèces de mammifères qui comptent la plus grande proportion de races à risque.

Parmi les espèces aviaires, 34 % des races de dindes, 33 % de poules, 31 % d’oies et 24 % de canards sont classées à risque (voir graphique en page 28). Par ailleurs, le plus grand nombre de races disparues est rapporté chez les bovins et les porcs. « Nous n’avons sans doute pas une image complète des extinctions de races, il est vraisemblable que beaucoup ont disparu sans avoir été documentées », soulignent les rapporteurs. « Il est encore plus inquiétant de constater que les ressources génétiques non enregistrées sont perdues avant même que leurs caractéristiques aient été étudiées », ajoutent-ils.

Soixante-deux races locales ont disparu ces quinze dernières années

Les régions du monde dans lesquelles les proportions des races classées à risque sont les plus élevées sont l’Europe plus le Caucase (28 % des races de mammifères et 49 % des races aviaires) et l’Amérique du Nord (20 % des races de mammifères et 79 % des races aviaires). Il manque toutefois des données pour d’autres régions du monde. En Amérique du Sud, plus les Caraïbes, 68 % des races de mammifères et 81 % des races aviaires ont un état de danger inconnu. L’Afrique compte 59 % de races de mammifères et 60 % de races de volailles à risque.

Par ailleurs, le problème est particulièrement significatif pour certaines espèces au niveau mondial : 72 % des races de lapins, 66 % des races de cervidés, 59 % des races d’ânes et 58 % des races de dromadaires ne disposent pas de données démographiques.

En ce qui concerne l’évaluation de l’érosion génétique et de l’état de danger, une analyse montre que soixante-deux extinctions de races locales ont été enregistrées entre décembre 1990 et janvier 2006, dont presque une race par mois ces six dernières années. Par ailleurs, les états de danger, qui reposent sur les données démographiques, peuvent ne pas refléter totalement l’étendue réelle de l’érosion génétique. Ils ne montrent pas non plus la consanguinité qui peut s’opérer à l’intérieur d’une même race, à la suite de l’utilisation d’un nombre limité d’animaux reproducteurs.

17 % de la population aviaire domestique a été détruite au Vietnam en 2003 et 2004

Un certain nombre de menaces contre la diversité génétique des animaux d’élevage sont identifiées. La plus importante est probablement, selon les auteurs du rapport, la marginalisation des systèmes de production traditionnels et des races locales associées, engendrée principalement par l’extension rapide des élevages intensifs (essentiellement dans les pays développés), et qui utilisent un nombre restreint de races à haute production (voir encadré).

Des menaces aiguës, comme des maladies épizootiques et des catastrophes en tout genre (sécheresses, inondations, conflits armés, etc.), sont également préoccupantes, en particulier pour les petites populations raciales localisées. Lors d’épizootie, un grand nombre d’animaux peuvent succomber. A cela s’ajoutent les pertes dues aux mesures d’abattage imposées pour contrôler la maladie. Par exemple, environ 43 millions de volailles ont été détruites au Vietnam en 2003 et 2004 lorsque l’épizootie d’influenza aviaire de sous-type H5N1 HP battait son plein, soit l’équivalent d’environ 17 % de la population aviaire domestique du pays. Cela montre l’importance de la lutte contre les maladies animales, mais aussi des programmes de réintroduction des races locales rares, qui peuvent avoir disparu à la suite de l’application de mesures d’urgence (abattages).

Les simulations d’adaptation des cheptels au changement climatique font défaut

Le réchauffement climatique est un argument de plus en faveur de la conservation des ressources zoogénétiques des animaux d’élevage. Selon le Groupe intergouvernemental des experts sur l’évolution du climat (Giec), faute de nouvelles mesures pour limiter les gaz à effet de serre, la Terre se réchauffera en moyenne de 1,8 °C à 4 °C d’ici à 2100, par rapport à la période 1980-2000 (et même jusqu’à 6,4 °C selon les estimations les plus pessimistes). Les impacts du réchauffement climatique sur la biodiversité des animaux d’élevage sont à prendre en considération. Le stress engendré par la chaleur altère les capacités de reproduction et de production des animaux, et la demande en eau va s’accroître, ainsi que sa disponibilité. Mais les scientifiques déplorent des lacunes importantes en termes de simulation et d’expérimentation concernant l’adaptation des cheptels actuels (notamment dans les régions tempérées) au changement climatique. Des races adaptées à des températures élevées et capables de survivre en milieu hostile existent. En Afrique par exemple, 56 % du cheptel total est adapté aux terres arides, 42 % en Asie et 19 % en Amérique du Sud. Pourtant, certains font parfois le choix d’importer des races plus “productives” que les locales. C’est ainsi qu’en Ouganda, la race holstein frisonne supplante les vaches locales ankole, aux immenses cornes. Lors d’une récente sécheresse, le bétail traditionnel a été capable de parcourir de longues distances jusqu’à des points d’eau éloignés, tandis que les éleveurs qui avaient fait le choix de races importées ont perdu leur troupeau. Le réchauffement climatique est également à l’origine du déplacement des vecteurs de certaines maladies (blue tongue, fièvre de la vallée du Rift, West Nile, etc.) vers de plus hautes latitudes, ce qui accroît le risque d’épizootie et d’éradication de populations d’animaux.

En outre, si la tendance actuelle du développement des biocarburants s’accentue et prend de l’ampleur, elle aura aussi une influence sur le secteur de l’élevage. Ce dernier utilise au niveau mondial 30 % de la surface du globe (dont 33 % de terres allouées à l’alimentation animale). Le développement des biocarburants empiétera donc sur l’espace actuellement occupé par les activités d’élevage, ce qui pourrait favoriser, selon les scientifiques, le recours à des races “commerciales” d’élevage intensif au détriment des races locales élevées en plein air.

Pour toutes ces raisons, il est crucial de mettre en œuvre des programmes de conservation des races d’élevage menacées, concluent les rapporteurs (voir article ci-dessous).

  • (1) Une race est considérée à risque d’extinction si le nombre total de femelles reproductrices est inférieur ou égal à 1 000 ou si le nombre total de mâles reproducteurs est inférieur ou égal à 20 ou encore si l’effectif total de la population est inférieur ou égal à 1 200.

Des origines à nos jours

Les différentes espèces d’élevage sont le fruit d’une longue histoire de domestication et de développement.

La sélection naturelle, celle contrôlée par l’homme et les croisements entre races ont donné naissance à une grande diversité génétique. Des milliers d’années de migrations humaines, le commerce, les conquêtes militaires et les colonisations ont en effet contribué au mouvement des animaux d’élevage depuis leur habitat originel vers de nouvelles zones agro-écologiques. Au début du XIXe siècle, des races européennes se sont ainsi établies dans les zones tempérées de l’hémisphère Sud et dans une partie des tropiques secs. Des races “composées” issues du matériel génétique de bovins d’Asie méridionale se sont implantées au sud des Etats-Unis et en Australie. D’autres races composées ont fortement contribué à la production animale en Afrique et ailleurs (par exemple, le mouton dorper, les chèvres boer et les bovins bonsmara).

A la fin du XXe siècle, la demande et la commercialisation accrue des produits de l’élevage, ainsi que les biotechnologies ont conduit à un transfert international de matériels génétiques à grande échelle. Or ces derniers sont limités à un nombre restreint de races. Ainsi, la race bovine la plus répandue aujourd’hui est la holstein frisonne. Elle est présente dans 128 pays au moins. Les porcs large white le sont dans 117 pays, les chèvres saanen dans 81 pays et les moutons suffolk dans 40 pays. Selon les spécialistes, l’intensification de ces transferts génétiques peut conduire à un rétrécissement de la base zoogénétique utilisée en productions animales dans le monde.

N. D.
Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr