Le déclin des requins en mer Méditerranée est spectaculaire

Les requins sont des poissons cartilagineux (chondrichtyens). Il en existe environ quatre-vingts espèces en Méditerranée, dont quarante-cinq proviennent de dix-sept familles différentes. Les requins, comme tous les poissons cartilagineux, ont une croissance lente et une maturation tardive. Leur fécondité et leur productivité sont faibles, les périodes de gestation sont particulièrement longues et la durée de vie est importante. Ces caractéristiques biologiques engendrent un potentiel de reproduction et une capacité d’accroissement de la population réduits. De telles particularités ont de sérieuses implications pour les chondrichtyens. Elles limitent leur tolérance à la pêche et leur capacité à se redresser après des périodes de déclin.

La population du requin marteau a diminué de plus de 99 % en deux cents ans

Une étude⁽¹⁾, financée par le Pew Institute for Ocean Science de l’université de Miami, le Lenfest Ocean Program, l’Oak Foundation et le Future of Marine Animal Populations Program of the Census of Marine Life, s’est intéressée aux tendances démographiques des grands requins en mer Méditerranée au cours des deux derniers siècles. L’équipe de quatre chercheurs, coordonnée par Francisco Ferretti (université de Dalhousie, Nouvelle-Ecosse, Canada) s’est penchée sur cinq espèces de requins “grands prédateurs” parmi les vingt présents en mer Méditerranée : le requin marteau (Sphyrna zygaena), le requin bleu (Prionace glauca), le requin renard (Alopias vulpinus) et deux espèces de requins taupes, le requin mako (Isurus oxyrinchu) et le requin taupe commun (Lamna nasus). Ils ont recoupé plusieurs sources d’indices d’abondance et de biomasse provenant à la fois de journaux de bord de pêcheurs industriels ou de loisir, d’études scientifiques ou encore d’observations. Les résultats de ces recherches sont préoccupants. Ils démontrent que, depuis cent cinquante à deux cents ans, ces espèces ont diminué de plus de 97 % en termes d’abondance, mais également en biomasse et en poids de prises au sein de la mer Méditerranée. La population du requin marteau a chuté de plus de 99 % au cours des deux derniers siècles. D’après ces chiffres, les espèces étudiées seraient en danger critique d’extinction selon les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Le taux de disparition s’est accéléré depuis les années 70, sous l’effet de la pêche directe et indirecte, mais également en raison des activités humaines en zone côtière. L’ampleur des prises accidentelles est souvent faiblement documentée, donc probablement sous-estimée. Une large proportion des prises accidentelles serait rejetée à la mer. Elles n’apparaissent donc pas dans les statistiques officielles. Ces pêches représentent une véritable menace pour les poissons.

Les populations de requins ont une faible capacité de récupération, due à leurs caractéristiques biologiques, comme une croissance lente doublée d’une maturité sexuelle tardive et d’un nombre réduit de petits.

Or ces prédateurs jouent un rôle essentiel dans l’équilibre des écosystèmes marins. Leur disparition pourrait y engendrer des changements imprévisibles. L’un des effets potentiels de cette diminution est la perturbation de la chaîne trophique et l’augmentation des prédateurs de milieu de chaîne, sur lesquels la pression de prédation serait considérablement allégée, soulignent les chercheurs.

Selon Margaret Bowman, directrice du Lenfest Ocean Program, « cette étude apporte une contribution majeure à la compréhension des multiples menaces qui pèsent sur les requins. Nous en savons si peu sur les conséquences de la disparition des grands prédateurs que nous ne pouvons nous permettre de prendre le déclin des requins à la légère ». Pourtant, il n’existe actuellement aucun quota de pêche pour les espèces de requins capturées à des fins commerciales en Méditerranée.

Les ailerons de requins sont un mets apprécié en Asie

Outre les prises accidentelles, de nombreux requins sont chassés pour leurs ailerons. Une étude parue en 2006 dans Ecology letters⁽²⁾ estime à plusieurs dizaines de millions le nombre de ces prédateurs dont les ailerons se retrouvent dans le commerce. Ils sont tellement recherchés qu’ils sont souvent sectionnés sur l’animal vivant, ensuite rejeté à la mer, l’aileron en moins. Les chercheurs s’inquiètent de l’engouement pour cet ingrédient qui pourrait faire peser sur les populations de requins une pression au-delà de leur capacité de régénération.

• (1) F. Ferretti, R.A. Myers, F. Serena et H.K. Lotze : « Loss of large predatory sharks from the Mediterranean Sea », Conservation Biology, 2008.

• (2) S.C. Clarke, M. McAllister, E.J. Milner-Gulland, G.P. Kirkwood, C.P. Michielsens, D.J. Agnew, E.K. Pikitch, H. Nakano, M.S. Shivji : « Global estimates of shark catches using trade records from commercial markets », Ecology Letters, 2006, n° 9, pp. 1115-1126. Pour en savoir plus : www.lenfestocean.org et www.sharkalliance.org