L’Angleterre préfère vacciner sa faune sauvage pour contrôler la tuberculose bovine - La Semaine Vétérinaire n° 1334 du 07/11/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1334 du 07/11/2008

Lutte contre Mycobacterium bovis

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Sandrine Lesellier

Le gouvernement anglais a finalement pris position pour une stratégie de contrôle de la maladie viable sur le long terme, excluant l’abattage qui aurait nécessité une destruction massive des blaireaux.

Un pas de plus est fait vers un possible contrôle de la tuberculose bovine (causée par Mycobacterium bovis) en Angleterre, une priorité sanitaire et économique (voir bibliographie 19(1)). Depuis 2002, soixante-dix à cent millions de livres sterling sont dépensés annuellement par le ministère anglais de l’Environnement, de la Surveillance sanitaire et de l’Agriculture (Defra) pour les tests diagnostiques, les compensations aux fermiers lors d’abattage de bovins positifs et pour la recherche. Cependant, l’incidence de la maladie a augmenté de façon régulière depuis les années 90 (2) pour atteindre, en 2007, le niveau inquiétant de 7,3 % des troupeaux testés au cours de l’année, versus 6,8 % en 2006 (20).

Les blaireaux constituent le réservoir sauvage reconnu

Deux causes majeures expliquant la forte incidence de la tuberculose chez les bovins anglais sont identifiées (22, 23). Il s’agit de la persistance de l’infection chez certains animaux faux négatifs à la tuberculination ou infectés entre deux cycles de tests, et de l’existence d’un réservoir sauvage, le blaireau européen (Meles meles). Cette espèce sauvage présente la plus forte prévalence de tuberculose en Angleterre, soit 4 %.En outre, l’infection chez 15,9 % des blaireaux abattus et autopsiés de 1972 à 1994 (21 731 animaux) et de 1998 à 2005 (6 432 animaux) a été confirmée par culture (26, 45, 27, 37).

Cette forte prévalence peut sans doute s’expliquer par les facteurs favorables à la transmission pulmonaire de M. bovis chez cette espèce, qui vit en groupes sociaux partageant des terriers souterrains. L’infection tuberculeuse est rapportée chez des blaireaux sur le continent, mais de façon anecdotique (5, 54). En France, elle n’a pas été détectée, y compris dans des colonies proches de cerfs et de sangliers fortement infectés (61).

La maladie est chronique chez les blaireaux infectés et ne produit de lésions macroscopiques que chez environ 40 % d’entre eux (10, 37). Dans certains cas, les lésions peuvent être sévères et l’excrétion de la bactérie dans l’environnement est alors souvent massive (29). Certains animaux sans lésions macroscopiques sont également potentiellement infectieux (46). La population anglaise de blaireaux est considérée comme la plus importante d’Europe (39), probablement en raison de facteurs environnementaux favorables (52), mais aussi grâce à son statut emblématique et strictement protégé depuis 1973 (48). Les blaireaux passent de nombreuses heures de la nuit sur les pâtures pour rechercher leur nourriture (en majorité constituée de lombrics et d’insectes) et à l’intérieur des étables pour consommer l’ensilage (30, 31, 57). La transmission de M. bovis des blaireaux aux bovins peut donc se produire à plus ou moins large échelle, de façon directe ou indirecte (41, 10, 21). Elle est confirmée par la superposition géographique des souches mycobactériennes dans les deux espèces (60).

Un abattage total des blaireaux n’est pas souhaitable

Le gouvernement anglais a pris position, en juillet dernier, pour une stratégie de contrôle de la tuberculose bovine viable sur le long terme et excluant l’abattage des blaireaux, jusqu’alors fortement évoqué (22, 17). Hillary Benn, ministre du Defra, a en effet annoncé une augmentation des fonds (vingt millions de livres pour les trois prochaines années) dirigés vers les activités de recherche en faveur de la vaccination (18). La justification de la décision ministérielle repose sur les conclusions du Groupe scientifique indépendant (ISG), publiées en 2007 (21) au terme d’une gigantesque étude, sur environ dix années et quelque 3 000 km2, au cours de laquelle 8 910 blaireaux ont été abattus et autopsiés.

Ses auteurs montrent que le contrôle de la tuberculose par la réduction des populations de blaireaux permet une diminution de la maladie dans les zones où les abattages sont mis en place de façon proactive et à large échelle (au moins 70 % des animaux). A la fin de l’étude, l’incidence de la tuberculose chez les bovins a diminué de 23,2 % par rapport aux zones de contrôle sans abattage (28). Cet effet est même amplifié deux années après la fin de l’étude, avec une baisse de l’incidence de 68 % par rapport à la zone de contrôle (38).

Ce résultat confirme le rôle important que peuvent jouer les blaireaux dans la persistance de la tuberculose au sein du cheptel bovin. Cependant, ces travaux ont révélé un point crucial : l’abattage de blaireaux doit être mené à large échelle pour avoir une influence positive. S’il est incomplet, les groupes de blaireaux survivants tendent à se disperser (50) et augmentent le risque d’infection chez les bovins. L’incidence bovine est en hausse dans les zones limitrophes de capture des blaireaux (+ 29 %,) ou près des zones où l’abattage des blaireaux n’est effectué qu’autour de fermes mises sous restriction (+ 25 %) (28).

La destruction massive des blaireaux, une option souhaitée en majorité par les associations agricoles, aurait des conséquences écologiques et sociales majeures (59), sans garantir un rapport coût/efficacité de cette stratégie suffisant à long terme. Le ministère ne rejette cependant pas l’abattage des blaireaux en association avec la vaccination (16). Des tests diagnostiques pour la tuberculose, spécifiques aux blaireaux, ont été développés par une agence exécutive du Defra, la Veterinary Laboratories Agency, à Weybridge (33, 13, 40, 15, 43, 53). Une vaccination ciblée de ces animaux est donc envisageable avec l’élimination d’individus infectés.

La voie intramusculaire de délivrance du BCG sera explorée chez le blaireau

La vaccination des blaireaux à grande échelle nécessite l’utilisation d’un produit avec une autorisation spécifique de mise sur le marché délivrée par le VMD (organisme responsable de la gestion des AMM en Angleterre). Des blaireaux captifs ont été vaccinés avec le bacille de Calmette et Guérin (BCG) en république d’Irlande et les résultats sont prometteurs (11, 42). Le Defra finance également, depuis 2005, plusieurs recherches dont l’objectif est de montrer, chez des blaireaux captifs et sur le terrain, l’innocuité (44) et l’efficacité d’un BCG commercialisé chez l’homme (souche danoise).

Deux voies de délivrance, complémentaires, sont à l’étude : la voie orale, originellement utilisée par Calmette et Guérin, encore d’actualité au Brésil (4, 12), et la voie injectable, souvent préférée parce qu’elle induit des réponses immunitaires mesurables plus fortes. Le BCG ne protège pas, en général de l’infection par M. bovis (ou M. tuberculosis), mais limite le développement de la maladie clinique (49, 32, 56, 7). Le BCG est traditionnellement délivré par la voie intradermique chez l’homme et sous-cutanée chez les animaux. Pour des raisons pratiques, le Defra a choisi d’explorer la voie intramusculaire de délivrance du BCG chez le blaireau. Le vaccin pourrait être injecté chez des animaux vigiles, alors que la voie sous-cutanée nécessiterait une anesthésie générale, plus compliquée et coûteuse à mettre en œuvre sur le terrain. La distribution du BCG par la voie orale dans des appâts reste, bien entendu, la forme de vaccination la plus prometteuse, mais qui nécessitera les phases de développement les plus importantes.

L’échéance pour la présentation des dossiers d’AMM au VMD est d’environ deux ans pour le BCG injectable et de sept ans pour le BCG oral. Dans le cadre d’une maladie chronique comme la tuberculose, qui prend plusieurs mois avant de se développer (du moins dans des conditions expérimentales) et qui nécessite des conditions de laboratoire de catégorie 3, ce délai est court. Le projet est réalisé en collaboration avec des équipes de recherche qui travaillent aussi sur le blaireau en république d’Irlande (34, 55, 35, 47) et sur le possum (Trichosorus vulpecula) en Nouvelle-Zélande (1, 58, 6, 7).

Les contraintes de mise au point du vaccin sont légion

Cette entreprise ambitieuse a l’avantage d’offrir une perspective de contrôle de la maladie à la fois économique et éthique sur le long terme, mais les contraintes sont nombreuses.

D’un point de vue scientifique, les mécanismes d’action du BCG sont complexes et mal connus. La corrélation entre un profil immunitaire et une protection induite par le BCG reste à déterminer, y compris chez l’homme. Le vaccin doit être délivré vivant et, pour une vaccination par voie orale, protégé de la dessiccation dans les appâts, et probablement de l’acidité gastrique une fois consommé.

Sur le plan écologique, les risques liés à la dispersion dans l’environnement d’un vaccin vivant à partir des appâts ou à la suite de l’excrétion par des blaireaux vaccinés doivent être mesurés. Un appât d’origine non animale, mais fortement appétent pour les blaireaux, doit être développé. Les paramètres temporels et géographiques de distribution optimale du vaccin sont à étudier sur le terrain et à modéliser. Les impératifs commerciaux sont de produire à grande échelle un vaccin peu coûteux, de qualité parfaite. Ils doivent s’harmoniser aux décisions politiques, elles-mêmes étudiées pour répondre rapidement à la forte pression des agriculteurs anglais.

Une telle approche multidisciplinaire est intéressante et nécessaire au contrôle d’une maladie qui a traversé les âges et revêt de nombreux visages épidémiologiques.

  • (1) Les chiffres en italique et entre parenthèses renvoient aux références bibliographiques, consultables en intégralité sur le site www.WK-Vet.fr rubrique “Semaine Vétérinaire”, puis “Complément d’article”.

EXTRAITS DE BIBLIOGRAPHIE

  • 6. B.M. Buddle, F.E. Aldwell, D.L. Keen, N.A. Parlane, K.L. Hamel et G.W. de Lisle : « Oral vaccination of brushtail possums with BCG : investigation into factors that may influence vaccine efficacy and determination of duration of protection », N.Z. Vet. J., 2006 ,vol. 54, pp. 224-230.
  • 7. B.M. Buddle, D.N. Wedlock et M. Denis : « Progress in the development of tuberculosis vaccines for cattle and wildlife », Vet. Microbiol., 2006, vol. 112, pp. 191-200.
  • 8. M.A. Chambers, T. Crawshaw, S. Waterhouse, R. Delahay, R.G. Hewinson, K.P. Lyashchenko : « Validation of the Brock® stat-pak assay for detection of tuberculosis in Eurasian badgers (Meles meles) and influence of disease severity on diagnostic accuracy », J. Clin. Microbiol., 2008, vol. 46, pp. 1 498-1 500.
  • 15. D.J. Dalley, P.J. Hogarth, S. Hughes, R.G. Hewinson, M.A. Chambers : « Cloning and sequencing of badger (Meles meles) interferon gamma and its detection in badger lymphocytes », Vet. Immunol. Immunopathol., 2004, vol. 101, pp. 19-30.
  • 26. R.J. Delahay, A.N. De Leeuw, A.M. Barlow, R.S. Clifton-Hadley, C.L. Cheeseman : « The status of Mycobacterium bovis infection in UK wild mammals : a review », Vet. J., 2002, vol. 164, pp. 90-105.
  • 28. C.A. Donnelly, R. Woodroffe, D.R. Cox, F.J. Bourne, C.L. Cheeseman, R.S. Clifton-Hadley, G. Wei, G. Gettinby, P. Gilks, H. Jenkins, W.T. Johnston, A.M. Le Fevre, J.P. McInerney, and W.I. Morrison : « Positive and negative effects of widespread badger culling on tuberculosis in cattle », Nature, 2006, vol. 439, pp. 843-846.
  • 30. B.T. Garnett, R.J. Delahay, T.J. Roper : « Use of cattle farm resources by badgers (Meles meles) and risk of bovine tuberculosis (Mycobacterium bovis) transmission to cattle », Proc. Biol. Sci., 2002, vol. 269, pp. 1 487-1 491.
  • 37. H.E. Jenkins, W.I. Morrison, D.R. Cox, C.A. Donnelly, W.T. Johnston, F.J. Bourne, R.S. Clifton-Hadley, G. Gettinby, J.P. McInerney, G.H. Watkins, R. Woodroffe : « The prevalence, distribution and severity of detectable pathological lesions in badgers naturally infected with Mycobacterium bovis », Epidemiol. Infect., 2008, vol. 136, pp. 1 350-1 361.
  • 43. S. Lesellier, L. Corner, E. Costello, P. Sleeman, K. Lyashchenko, R. Greenwald, J. Esfandiari, M. Singh, R.G. Hewinson, M. Chambers, E. Gormley : « Antigen specific immunological responses of badgers (Meles meles) experimentally infected with Mycobacterium bovis », Vet. Immunol. Immunopathol., 2008, vol. 122, pp. 35-45.
  • 44. S. Lesellier, S. Palmer, D.J. Dalley, D. Dave, L. Johnson, R.G. Hewinson, M.A. Chambers : « The safety and immunogenicity of Bacillus Calmette-Guerin (BCG) vaccine in European badgers (Meles meles) », Vet. Immunol. Immunopathol., 2006, vol. 112, pp. 24-37.
  • 57. A.I. Ward, B.A. Tolhurst, N.J. Walker, T.J. Roper, R.J. Delahay : « Survey of badger access to farm buildings and facilities in relation to contact with cattle », Vet. Rec., 2008, vol. 163, pp. 107-111.
  • 61. G. Zanella, B. Durand, J. Hars, F. Moutou, B. Garin-Bastuji, A. Duvauchelle, M. Ferme, C. Karoui, M.L. Boschiroli : « Mycobacterium bovis in wildlife in France », J. Wild Dis., 2008, vol. 44, pp. 99-108.
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