Délictuelle, contractuelle, civile professionnelle : le praticien croule sous les responsabilités - La Semaine Vétérinaire n° 1334 du 07/11/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1334 du 07/11/2008

Droit

Gestion

LÉGISLATION

Auteur(s) : Marine Neveux

Si la responsabilité du praticien est encadrée par des principes juridiques clairement établis, elle a tendance à s’étendre de plus en plus.

Vous êtes vétérinaire, cerné d’un côté par les droits de l’animal, de l’autre par ceux de votre statut de professionnel. » Me Chain a positionné clairement le débat en préambule de son intervention durant la journée de formation de l’Institut de droit équin, organisée dans le cadre du congrès de l’Association vétérinaire équine française (Avef), le 8 octobre dernier à Reims (Marne).

Quel que soit son type d’exercice, le praticien a en effet une responsabilité encadrée par des principes juridiques, qui a toutefois tendance à s’étendre. Pour la mettre en jeu, « il faut qu’un préjudice, un lien de causalité et une faute soient rassemblés », a insisté l’avocat. Or, lors d’un litige, la plupart des individus non initiés ne retiennent souvent que le premier élément, oubliant les deux autres. La faute peut être délictuelle ou contractuelle. Pour sa part, le préjudice doit être clair et direct. « Il est parfois difficile à apprécier, car il nécessite de manier la notion de perte de chance, a expliqué Me Chain. L’appréciation des dommages est large. Il faut parfois ramener les intervenants à la raison ! » Quant au lien de causalité entre la faute et le préjudice, il n’est pas toujours simple à démontrer.

Les pièces du dossier doivent permettre d’estimer le taux de perte de chance

La responsabilité délictuelle peut être engagée quand la victime et le responsable ne sont pas liés par un contrat. Tel est le cas lors de dommages causés à des tiers. Le préjudice présent est alors constitué par les conséquences directes du dommage. Un préjudice futur peut aussi être indemnisé dans le cadre de la perte de chance, par exemple lorsqu’un animal ne peut pas prendre le départ d’une compétition, son propriétaire arguant que cela a de fait empêché sa victoire. La difficulté est alors de calculer le montant total du préjudice. Dans l’exemple cité, « les pièces du dossier doivent permettre aux magistrats d’établir le pourcentage de chances que l’animal aurait eu de gagner », a expliqué Me Barety. Il revient ainsi aux avocats de fournir aux juges les éléments qui leur permettent d’appuyer leur décision.

L’engagement de la responsabilité délictuelle nécessite par ailleurs un lien de causalité. « Il est censé être direct, mais ce n’est pas toujours si évident ! Ainsi, est-il direct quand une personne confie les clés de sa voiture à une autre et que cette dernière, en état d’ivresse, a un accident ? Lors du procès, les magistrats ont alors à rechercher qui est capable d’indemniser la victime ! », a souligné Me Barety. Lorsque la responsabilité délictuelle est engagée, le principe est celui de la réparation intégrale : tous les préjudices doivent être indemnisés sans limite. « La seule limite, c’est la preuve. »

La responsabilité contractuelle se divise en trois parties

La responsabilité contractuelle ne peut être engagée que si la victime et le responsable sont liés par un contrat. « Le principe est celui de la réparation du dommage prévisible : la victime sollicite les dommages et intérêts prévus dans le contrat. »

Cette responsabilité se divise en plusieurs sous-parties, dont la première est l’obligation de moyens. Cela signifie que le détenteur de cette obligation s’engage à tout mettre en œuvre pour tenter d’arriver à un résultat donné. Celui qui s’estime lésé doit donc prouver la faute. La deuxième composante de la responsabilité contractuelle est l’obligation de résultat, par laquelle le détenteur s’engage sur un résultat. La simple inexécution donne lieu à des dommages et intérêts contractuels.

Entre moyens et résultat figure l’obligation de moyens renforcés. Elle existe « essentiellement dans le cadre des contrats de dépôt », a expliqué Me Barety, ce qui, pour le vétérinaire, est le cas à partir du moment où l’animal pénètre dans sa clinique. Ainsi, si un chien ou un chat dont il a la garde est victime d’un dommage, le propriétaire engagera la responsabilité du praticien. De la même manière, « si un chien mord au moment où il est installé sur la table de consultation, le vétérinaire est responsable », a insisté notre confrère Michel Martin-Sisteron, du Conseil supérieur de l’Ordre. Lorsqu’un praticien demande à un moniteur de tenir un cheval pendant qu’il pratique une injection, dans ce cas, sa responsabilité est de type délictuelle. Si un accident survenait, le vétérinaire pourrait être considéré comme le gardien de l’animal.

Le niveau d’obligation est parfois délicat à apprécier en pratique

« Le diagnostic constitue une obligation de moyens, pas véritablement renforcée, mais poussée ! », a souligné Me Chain, qui a également illustré la difficulté d’appréciation du niveau d’obligation en détaillant deux arrêts relatifs à la période postopératoire. Le premier a été rendu par la cour d’appel de Douay. Dans un cas de coliques, un vétérinaire avait prescrit 2 l de paraffine administrés par une sonde pendant deux jours. Or « il ne s’est pas assuré de l’absence de reflux gastrique par une méthode fiable. Dans ce cas, l’obligation de moyens n’est pas remplie », ont souligné les magistrats. Le second arrêt émane de la cour d’appel de Rouen. L’affaire concerne un cheval restitué à son propriétaire à l’issue d’une intervention chirurgicale. Ayant constaté des traces de diarrhée sur les murs du box, ce dernier l’a ramené à la clinique où l’animal, placé sous perfusion, est mort. La cour a considéré que le praticien n’était plus responsable du cheval retourné à l’écurie, mais elle lui a en revanche reproché de ne pas avoir remis au propriétaire un document précisant les modalités de surveillance…

Me Chain a renchéri sur ce devoir d’information et de conseil, « général et universel ». « Il n’est pas uniquement nécessaire à l’égard des profanes. Il l’est vis-à-vis de tous, y compris les éleveurs. » Dans un cas d’euthanasie due à une lacération consécutive à une fouille rectale, un arrêt d’une autre cour d’appel stipule ainsi que l’éleveur n’avait pas forcément connaissance des risques induits par l’acte.

Quant à l’obligation de résultat, « elle consiste, par exemple, à garantir l’innocuité du matériel utilisé et l’asepsie », a souligné Me Barety.

La mise en cause de la RCP change les règles du jeu

Lorsque la responsabilité civile professionnelle (RCP) est mise en cause, il faut d’abord assimiler les modifications de règles que cela entraîne dans la relation avec le client, selon nos confrères Eric Lévy et Franck Messialle. « Au départ, le principal changement concerne le dialogue. De direct à deux, il passe à indirect à plusieurs ». Il est ainsi déconseillé de se retrouver face à face avec le client : « Tout doit passer par l’avocat. »

Franck Messialle a insisté sur la nécessité d’intégrer tous les intervenants : assureur, avocat et conseil. « Le premier a la charge de la rémunération des deux autres. Face à la mise en cause de sa RCP, le praticien n’est plus seul, indépendant et responsable. L’assureur est également présent. »

Les échelles financière et de temps sont également modifiées. En effet, la procédure, lente, implique des coûts non négligeables. « Les vétérinaires doivent intégrer ces données », a insisté Eric Lévy.

Pour notre confrère, la stratégie à adopter lors de la mise en cause de la RCP est avant tout d’établir un dossier complet et de consigner par écrit, de façon détaillée, l’historique des faits. Les pièces (comptes rendus, ordonnances, clichés d’imagerie, etc.) doivent être archivées, les emplois du temps et le déroulement des événements sont à vérifier, etc. Pour sa part, Franck Messialle a insisté sur l’importance de la gestion de la communication : « Non seulement le contact direct avec le client est à bannir, mais en outre il ne faut pas reconnaître sa responsabilité », car cela engendre un refus d’entrée en garantie de la part de l’assureur.

Dans le trio formé par l’assureur, l’avocat et le conseil, les intérêts divergent parfois. Ainsi, le premier s’intéresse en premier lieu au coût final de l’opération. Quant à l’avocat, c’est avant tout celui de l’assureur. Le vétérinaire conseil, lui, a un but principal qui est de « maîtriser tous les aspects techniques de la mise en cause », a résumé Eric Lévy. Selon notre confrère, il constitue la pièce maîtresse dans la mesure où il a une reconnaissance du milieu professionnel et du métier. « Grâce à sa connaissance des procédures, il peut penser à obtenir des informations capitales pour le dossier. »

Malgré ces bouleversements, il faut raison garder. Ainsi, « la mise en cause ne relève pas du domaine public. C’est un événement professionnel, pas un drame ni une infamie. Il est important que le praticien en ait conscience pour la vivre le mieux possible », a recommandé Franck Messialle. Garder le moral est en effet essentiel, car « il faut toujours combattre, ne pas se positionner en victime, limiter systématiquement sa responsabilité à tous les niveaux ».

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