Adaptation
Formation continue
FAUNE SAUVAGE ET NAC
Auteur(s) : Alain Zecchini
Le phénotype d’animaux déplacés dans un nouvel habitat peut se modifier rapidement, comme le montrent les lézards des ruines (Podarcis sicula). En 1971, cinq paires d’adultes sont délocalisées de l’îlot de Pod Kopiste à celui de Pod Mrcaru, au milieu de l’Adriatique, sous souveraineté de la Croatie. L’observation de leurs descendants, trente-six ans plus tard (soit trente générations), révèle que les changements morphologiques et éthologiques ont été extraordinairement rapides(1). Ils sont en outre devenus largement herbivores.
La tête est devenue plus longue, plus large et plus haute, ce qui traduit une force accrue des mâchoires, pour consommer efficacement une nourriture dure et fibreuse, les plantes. La végétation assure 34 à 61 % des prises alimentaires (le reste est constitué par des invertébrés), au lieu de 4 à 7 % pour la population ancestrale restée à Pod Kopiste. Cette végétation se caractérise par une forte proportion de cellulose, contenue dans les tiges et les feuilles. La tête s’est proportionnellement plus développée chez les femelles, ce qui montre que l’effort d’adaptation à la nouvelle nourriture a été plus important chez elles que chez les mâles, puisque ces derniers gardent une tête plus grosse. Ce changement morphologique externe s’accompagne d’une modification interne : l’apparition d’une valve cæcale. Cet appendice est destiné à ralentir le transit alimentaire, jouant le rôle de chambre de fermentation à l’intérieur de laquelle des micro-organismes, des nématodes, transforment la cellulose en acides gras volatils. Defait, des nématodes ont été retrouvés dans les intestins de tous les lézards examinés. La présence de cette valve chez les lézards constitue un phénomène rare, car seulement 1 % des squamates (lézards, serpents, amphisbènes) en possèdent une. Ces changements, tant externes qu’internes, ont certainement une base génétique, d’après les chercheurs. Ces derniers soulignent la nécessité d’études complémentaires sur le rôle de la plasticité phénotypique et les effets maternels. L’adoption d’une alimentation végétale a engendré des conséquences importantes dans la vie sociale des lézards des ruines. En raison de l’accès plus facile et de la quantité plus importante des plantes comparées aux animaux à chasser, les lézards ont proliféré. Leur densité est cinq fois plus élevée que celle des lézards de Pod Kopiste. Cet accroissement démographique a eu pour conséquence l’abandon de la pratique de défense d’un territoire.
En outre, le passage du comportement de chasseur à celui de brouteur, ainsi que les modifications sociales, peuvent expliquer pourquoi ces animaux sont devenus moins véloces et moins agiles, comme l’ont montré auparavant d’autres chercheurs.
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