Désormais, Les poulots peuvent dormir en paix - La Semaine Vétérinaire n° 1329 du 03/10/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1329 du 03/10/2008

À la une

Auteur(s) : Nicolas Fontenelle

En renforçant, ces dernières années, l’encadrement et la surveillance au cours des semaines d’accueil, les écoles vétérinaires évitent les dérapages. Globalement, la situation s’est améliorée depuis le vote de la loi Royal sur le bizutage, en 1998. Toutefois, certaines pratiques subsistent.

La période d’initiation durait un mois. En plus des brimades classiques que constituent les réveils nocturnes, les vidages de lit ou les vexations au moment des repas, comme manger sous la table, un certain nombre de séances nous étaient imposées, se souvient Jean, ancien élève d’une école vétérinaire dans les années 60. Pour la séance “d’infection”, on nous emmenait en salle d’autopsie, les yeux bandés. Nous nous cognions un peu partout, y compris dans des cadavres d’animaux suspendus à des crochets. Il fallait identifier des restes en état de décomposition plus ou moins avancée, tripoter toutes sortes d’organes posés sur des plateaux. On nous ôtait le bandeau pour nous présenter un cadavre de chat baignant dans un liquide blanc non identifié et, juste à côté, un récipient contenant une mixture de même apparence à avaler. L’un de mes camarades, qui avait pu échapper au bizutage, fut convoqué à part et on l’obligea à masturber un chien. »

“Poulots” et “poulottes” 2008, voici à quoi vous avez échappé. Autres temps, autres mœurs. Depuis plusieurs années déjà, le bizutage à l’ancienne n’est plus, dans les écoles vétérinaires. « Bonne nouvelle », diront les uns. « Dommage, les traditions ont du bon, et la cohésion alors ? », songeront quelques autres. Mais la cohésion ne s’opère-t-elle que dans l’adversité ? N’ouvrons pas le débat, il est désormais dépassé.

La lutte contre le bizutage a mis du temps à s’imposer en France

Partie en croisade en 1997, avec quelques associations comme le Comité de lutte contre le bizutage ou l’Association des usagers de l’administration (devenue SOS Bizutage), Ségolène Royal, alors ministre délégué à la Famille, a fini par imposer une loi antibizutage. Adoptée en 1998, elle menace les auteurs de violences, ou ceux qui poussent les étudiants à les subir, à six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende. De quoi faire réfléchir… sans pour autant stopper le bizutage. Il n’y a pas de statistiques globales et actualisées sur le sujet. D’après le ministère de la Justice, il y aurait eu vingt et une condamnations pour faits de bizutage entre 1998 et 2003. Le ministère de l’Education nationale recense, sur déclaration des chefs d’établissement, 339 « actes dégradants » entre 2005 et 2006 dans les lycées (+ 13 % par rapport à 2004-2005), sans précision sur les faits qu’ils recouvrent. Selon les associations, les actes de bizutage ont globalement diminué. Pourtant, les témoignages continuent d’arriver, plus ou moins nombreux selon les années. Pour la rentrée 2007, ce sont surtout les comportements au sein des écoles et des lycées militaires qui ont été dénoncés : pressions psychologiques intolérables (privation de sommeil, de nourriture, etc.) et tabassages en règle (coups de poing, de pieds, de polochons remplis de cadenas, etc.). Il suffit de surfer sur l’Internet pour découvrir les images et les films de séances de bizutage qui vont de la blague potache un peu lourde à la plus sordide des brimades. Certes, beaucoup de ces documents proviennent de pays européens, notamment de Belgique et des Pays-Bas, dans lesquels aucune législation spécifique n’existe. Mais quelques exemples bien français circulent.

En résumé, le bizutage n’est pas mort, loin s’en faut. Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur, a d’ailleurs réuni les recteurs d’académie, fin août dernier, pour leur rappeler les consignes de vigilance en termes de prévention et de sanction. « En cas d’infraction à la loi, nous serons intransigeants avec les auteurs comme avec les responsables d’établissement », a-t-elle précisé au journal Le Parisien. Elle n’a rien contre les rites d’intégration pour accueillir les nouveaux étudiants, « à condition qu’il n’y ait pas de violence physique et psychologique ». Et elle sait de quoi elle parle : « Quand j’étais en prépa HEC, j’ai été soumise à un bizutage particulièrement rude. A l’époque, ce n’était pas interdit. Je sais que cela peut briser des personnalités fragiles. »

L’accueil vétérinaire est encadré en amont et surveillé de près ensuite

Dans les écoles vétérinaires, le bizutage d’antan est remplacé, petit à petit, depuis le début des années 2000, par une semaine “d’accueil”. Le mot est moins effrayant, le contenu aussi. « Quand je suis arrivé, j’ai fait le cadavre, la marche en canard et compagnie, mais tout cela est bel et bien terminé, assure Guillaume Ruiz, représentant des étudiants de Maisons-Alfort, lui-même en T1 Pro. En 2004, le directeur a interdit l’accueil. Pour le maintenir, nous l’avons fait évoluer vers quelque chose de beaucoup plus léger. De toute façon, au-delà de cette volonté de la direction, les mentalités ont largement évolué et les pratiques des anciens ne sont plus justifiables aujourd’hui. Depuis 2005, nous organisons l’accueil en partenariat avec la direction. »

Le processus est sensiblement le même dans les quatre écoles. La direction ou les enseignants chargés du sujet disposent du programme de la semaine d’accueil ou du projet, dès le printemps précédent. Il est discuté, amendé parfois. « Dans l’avant-programme du mois de mars, nous repérons les activités qui pourraient dégénérer, relève Marc Gogny, directeur des études de l’école de Nantes. S’il y en a, nous demandons aux organisateurs de revoir leur copie. Nous nous retrouvons, généralement au mois de juin, pour finaliser le déroulement des événements dans le détail. Nous privilégions les activités en petits groupes pour éviter l’effet de masse qui peut favoriser les débordements. »

L’école de Lyon, avec sa charte antibizutage et son comité d’éthique composé d’étudiants et d’enseignants, va encore plus loin. « Nous faisons remplir aux organisateurs un dossier qui prévoit, quasiment heure par heure, le déroulement de la semaine, explique Jeanne-Marie Bonnet, adjointe au directeur, chargée de la vie étudiante. Nous voulons, par exemple, une description minutieuse de chaque activité, connaître les noms et les coordonnées des responsables de chaque événement ou les moyens de sécurité mis en place. » Encadrée en amont, la semaine d’accueil est également surveillée au cours de son déroulement : l’image des écoles est en jeu. « Les enseignants sont présents. Ils vérifient notamment qu’il n’y a pas de dérapages ou d’élèves inaptes à suivre l’accueil parce que trop somnolents. On insiste bien sur le fait que, même si un événement se déroule à l’extérieur de l’enceinte de l’école, comme le week-end d’intégration, les élèves engagent leur propre responsabilité, mais aussi celle de l’école et son image », assure Alain Milon, directeur de l’école de Toulouse. « Il m’est arrivé de faire plus de 200 km en pleine nuit pour vérifier à l’improviste le déroulement d’une soirée », raconte encore Marc Gogny. A Lyon, du personnel de sécurité veille la nuit. « Franchement, nous ne pouvons pas toujours vérifier ce qui se passe, admet pourtant Barbara Dufour, responsable de l’accueil et du comité d’éthique d’Alfort. Nous sommes présents dans la journée, mais les enseignants ont des cours à assurer et entre 2 h et 4 ou 5 h du matin, on ne sait pas vraiment ce qui se passe. Mais nous faisons confiance aux élèves. Depuis 2005, nous n’avons pas connu de dérapages. Tous les ans, je les préviens : je suis hostile à toutes brimades. C’est anormal et immoral et nous n’hésiterons pas à passer devant un tribunal. Cela dit, je crois que l’état d’esprit a vraiment changé, même s’il y a encore quelques scories venues des anciens. Je veux que l’accueil devienne une grande kermesse. »

La lutte contre l’abus d’alcool est le nouveau combat des écoles

Adieu brimades, insultes et cadavres divers, bonjour jeux, soirées chics, sports, déguisements, rallyes, découverte de l’école, de la ville, chansons paillardes et… alcool. La lutte contre l’abus de boissons alcoolisées en tout genre au cours de l’accueil, comme durant le reste de l’année, est le nouveau cheval de bataille des écoles vétérinaires. « Je ne veux plus voir, comme il y a deux ans, des images d’élèves vautrés dans leur vomi, commente Barbara Dufour. Ils doivent prendre conscience que l’alcool crée des situations dangereuses pour eux-mêmes et pour les autres. Lorsqu’on se réveille dans le lit de quelqu’un qu’on ne connaît pas, on n’est pas très fier de soi. Je ne veux pas interdire l’alcool, seulement rendre sa consommation raisonnable. J’ai proscrit l’open bar et j’ai obtenu cette année que les élèves trop imbibés ne soient pas acceptés aux soirées. » Comme Maisons-Alfort, l’école de Nantes monte au créneau auprès des laboratoires qui parrainent l’accueil. « Nous leur réclamons de la modération dans ce qu’ils offrent, témoigne Marc Gogny. Tout comme nous demandons aux élèves organisateurs de l’accueil une progressivité dans la mise à disposition de l’alcool pour éviter des montées d’alcoolémies trop rapides. » Lyon et Toulouse ont déjà programmé des actions de prévention, sous forme de conférences, au cours de l’année.

Depuis cinq ans environ, les écoles vétérinaires ne ménagent donc pas leur peine pour bannir le bizutage de leurs enceintes. Elles y sont parvenues, même s’il est toujours possible de « passer à côté de brimades déguisées », note un responsable. Pourtant, l’image des bizutages vétérinaires violents et dégradants perdure. « Nous voyons régulièrement des parents angoissés, venus inscrire leur enfant, nous demander comment va se passer le bizutage », déplore Marc Gogny. « Les élèves de première année ont besoin de l’accueil pour s’intégrer rapidement, estime Barbara Dufour. Il faut simplement le canaliser. Chacun est parrainé par un plus ancien, le sentiment d’appartenance est maintenu. Interdire purement et simplement laisserait de nouveau la place au pire. »

Les années passent et les élèves qui ont connu des accueils plus rudes ne seront bientôt plus là pour faire subir le même sort aux nouveaux. Doucement, le témoignage de Jean ne sera plus qu’un lointain et mauvais souvenir.

Définition juridique

Le bizutage est « une série de manifestations où les élèves anciens, usant et abusant de leur supériorité née de la connaissance du milieu, du prestige de l’expérience et d’une volonté affirmée de supériorité, vont imposer aux nouveaux arrivants, déjà en état de faiblesse, des épreuves de toute nature auxquelles, dans les faits, ils ne pourront se soustraire sous l’emprise de la pression du groupe, du conditionnement et de ce que l’on peut appeler des sanctions en cas de refus, comme l’interdiction d’accès à divers avantages de l’école, l’association des anciens élèves, etc. ».

Nicolas Fontenelle

Deux associations à l’écoute

L’association SOS Bizutage et le Comité national contre le bizutage (CNCB) ont renouvelé leurs mises en garde à l’occasion des “week-ends d’intégration” de la rentrée 2008. Ils s’engagent à intervenir auprès des établissements, dans le respect de l’anonymat des personnes qui auraient signalé un bizutage, au numéro 06 07 45 26 11 pour le CNCB (http://contrelebizutage.free.fr) et au 06 60 29 43 76 pour SOS Bizutage (www.sos-bizutage.com).

N. F.

Ce que dit la loi du 17 juin 1998

• Article 225-16-1 : « Hors les cas de violences, de menaces ou d’atteintes sexuelles, le fait pour une personne d’amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. »

• Article 225-16-2 : « L’infraction définie à l’article 225-16-1 est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsqu’elle est commise sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur. »

• Article 225-16-3 : « Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions commises lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif prévues par les articles 225-16-1 et 225-16-2. »

N. F.

Une pratique plus que centenaire

Selon le psychiatre Samuel Lepastier, « le mot bizut, qui serait issu de l’espagnol bisogno (jeune recrue), apparaît en France dans le premier tiers du XIXe siècle. Il semble que c’est à Saint-Cyr, puis à Polytechnique, écoles militaires donc, que se sont d’abord instituées des pratiques de bizutage, pour se répandre ensuite dans les autres grandes écoles ».

N. F.

Premiers dérapages de la rentrée 2008

• Le 17 septembre, le procureur de la République de La Rochelle a ouvert une enquête préliminaire pour déterminer dans quelles conditions s’est déroulée la soirée d’intégration des étudiants d’une école d’ingénieurs de la ville. Un article paru dans Sud-Ouest a déclenché l’inquiétude du magistrat. Il décrit une soirée d’intégration sur une plage de Charente-Maritime. Le procureur a pris sa décision notamment à la vue d’une photographie publiée par le quotidien « montrant des jeunes gens, certains torse nu, s’apprêtant à descendre dans une fosse remplie d’un liquide noir avec différents objets flottant à la surface : on peut tout imaginer ». « Je ne laisserai pas passer des faits qui, sous l’appellation douce d’intégration, peuvent constituer du bizutage », a-t-il affirmé, rappelant que le délit de bizutage, puni par une loi de 1998, peut être constitué « même si les étudiants participent de leur plein gré à la manifestation ». L’enquête doit permettre de « vérifier exactement ce qui s’est passé et si les actes commis peuvent être considérés comme humiliants ou dégradants, et ensuite de rechercher des éventuelles responsabilités ».

• Le 26 septembre, RTL a diffusé un reportage sur la faculté de médecine d’Amiens. Selon plusieurs étudiants, chaque matin dans l’amphithéâtre, les “carrés” choisissent une fille de première année et lui font faire une danse à caractère sexuel sur le bureau du professeur avant son arrivée. L’élection d’une miss PO (pute officielle) est également prévue. La PO doit subir des humiliations tout au long de l’année. Intervenant en direct sur les ondes, la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a annoncé qu’elle allait demander au recteur de diligenter une enquête. « Nous condamnons fermement toutes les pratiques de bizutage, qui sont interdites par la loi, a-t-elle insisté. Il faut avoir un regard lucide sur ces pratiques : ce sont des formes de violences psychologiques très graves. » « J’ai été informé qu’on aurait fait état d’un soi-disant bizutage. D’après ce qui m’a été redit, il n’y a rien de tel, a déclaré de son côté Bernard Nemitz, le doyen de la faculté, interrogé par l’Agence France Presse. Cela fait longtemps que des mesures strictes sont prises pour interdire le bizutage et elles sont rappelées aux étudiants à chaque début d’année. »

N. F.
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