La gestion de l’épisclérokératite granulomateuse est aléatoire - La Semaine Vétérinaire n° 1312 du 25/04/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1312 du 25/04/2008

Cas clinique d’ophtalmologie

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Thomas Boillot

Fonctions : CES d’ophtalmologie, praticien à Saintes (Charente-Maritime)

Les immunomodulateurs et les immunosuppresseurs constituent le traitement de choix, mais leurs effets sont variables, voire décevants.

Une femelle saint-bernard âgée de deux ans, dont le poids est de 68 kg, est présentée à la consultation pour un changement d’aspect des yeux noté depuis plus d’un mois par le propriétaire. Il n’existe pas d’autre signe clinique hormis ce problème ophtalmologique. Aucun changement de comportement ou diminution de la qualité de la vision n’est signalé. L’animal est vermifugé et vacciné régulièrement. Un traitement par collyre (gentamycine et bétaméthasone), mis en place pendant une semaine, n’a donné aucun résultat.

Lors du premier contrôle, l’examen général ne révèle toujours pas de maladie associée au problème oculaire. L’examen ophtalmologique à distance ne décèle rien d’inhabituel. Les réflexes sont normaux. L’examen des paupières montre un ectropion inférieur modéré bilatéral, souvent rencontré chez cette race. La membrane nictitante a un aspect normal, ainsi que les conjonctives palpébrales. Les conjonctives bulbaires de chaque œil sont œdématiées et infiltrées. Du côté droit, une masse rose limbique latérale déforme le contour du globe et infiltre la cornée sur environ la moitié de sa surface. La cornée est œdématiée et vascularisée par des vaisseaux de petit calibre répartis sur toute son épaisseur. Du côté gauche, l’infiltration conjonctivale est plus diffuse et aucune masse n’est visible. Les mêmes lésions cornéennes qu’à droite sont retrouvées, associées à une dystrophie stromale. Aucune autre lésion oculaire n’est observée.

Un traitement à base de corticoïdes et d’immunomodulateurs est instauré

Le tableau clinique évoque une épisclérokératite granulomateuse. Cependant, le diagnostic différentiel inclut d’autres maladies non tumorales comme l’épisclérite ou l’épisclérokératite infectieuse, en particulier liée à la leishmaniose (voir bibliographie 1 en page 38), le papillome conjonctival et le granulome à corps étranger (voir bibliographie 2). Les affections néoplasiques, comme le lymphosarcome métaplasique, le carcinome à cellules squameuses ou le mélanome limbique non pigmenté, sont plus rares.

Le propriétaire ne souhaite pas réaliser d’examen complémentaire pour confirmer le diagnostic. Une injection sous-conjonctivale bilatérale de méthyl-prednisolone est effectuée et une pommade à 0,2 % de cyclosporine est prescrite pendant quinze jours. De l’azathioprine est administrée par voie générale, à la dose de 2 mg/kg, une fois par jour. Au contrôle quinze jours plus tard, les lésions n’évoluent plus, mais ne rétrocèdent pas. De la prednisolone à raison de 0,5 mg/kg/j est prescrite pendant dix jours par voie orale, sans résultat. Le traitement à l’azathioprine est poursuivi. Cinq mois plus tard, les lésions ont évolué sur l’œil droit, dont la cornée est infiltrée à 70 % (voir photos), malgré le traitement, observé de façon discontinue.

L’histologie confirme une épisclérokératite granulomateuse et lympho-plasmocytaire

La biopsie est finalement acceptée par le propriétaire. Elle est réalisée au bistouri, sous anesthésie générale, transversalement au limbe cornéen, le plus profondément possible. Le tissu prélevé est ferme et homogène.

La lésion est identifiée comme une épisclérokératite chronique stromale non ulcéreuse mononucléée granulomateuse et lympho-plasmocytaire modérée à marquée (voir photos). Le traitement, dont les résultats restent décevants, est arrêté par le propriétaire.

Deux ans plus tard, la maladie a évolué sur les deux yeux, des masses en relief de plus de 10 mm envahissent la totalité des cornées et la fermeture des paupières est impossible, à droite comme à gauche. Une décision d’euthanasie est prise. Le propriétaire ne souhaite pas réaliser d’examen post-portem.

Les maladies inflammatoires de la sclère et de l’épisclère sont encore mal connues

Les maladies inflammatoires primitives de la sclère et de l’épisclère (zone sclérale comprise entre le limbe cornéo-scléral et l’insertion des muscles oculomoteurs) sont mal connues. Elles peuvent être diffuses ou nodulaires. De multiples appellations font référence aux formes nodulaires, même si leur aspect est similaire : épisclérokératite nodulaire granulomateuse, fasciite nodulaire, histiocytome fibreux, kératoconjonctivite proliférative, pseudotumeur ou granulome du colley. Ces dénominations correspondent-elles à des maladies distinctes ? Chez un chien, une biopsie de tissu épiscléral a été interprétée comme un cas d’histiocytome fibreux, qui s’est révélé être, un an plus tard, une histiocytose systémique (voir bibliographie 3). En outre, le diagnostic histopathologique des lésions de ce type est-il fiable ?

L’épisclérokératite nodulaire granulomateuse est essentiellement décrite chez le colley, mais elle se rencontre aussi chez d’autres races comme le jack-russell terrier et le dalmatien (voir bibliographie 4). Elle est alors, comme chez le colley, considérée comme une maladie à prédisposition raciale. La lésion caractéristique est une masse non douloureuse, rose clair, proéminente, bien délimitée, située en région limbique et fréquemment accompagnée sur la cornée de dystrophie stromale. Chez le colley, la membrane nictitante semble toujours atteinte, avec parfois des lésions ulcératives des jonctions cutanéo-muqueuses de la paupière inférieure (voir bibliographie 5).

Une nomenclature variée, mais un même processus histopathologique

La définition histopathologique de l’épisclérokératite nodulaire granulomateuse donnée par M. Paulsen (voir bibliographie 7) est une lésion granulomateuse dans laquelle sont surtout observés des histiocytes et des cellules lympho-plasmocytaires. Des fibres de réticuline, des fibroblastes et des macrophages sont également présents en quantité moins importante.

Or les populations cellulaires au sein des lésions analysées sont variables. Cette variabilité explique les différentes appellations de la maladie. En effet, un nom semble avoir été donné selon le type cellulaire prédominant dans la lésion. Cette variabilité est également à l’origine d’une confusion concernant le diagnostic (voir bibliographie 6) et la nomenclature des lésions de ce type chez le chien.

Dans l’histiocytome fibreux, les fibroblastes et les histiocytes prédominent, et non les cellules lympho-plasmocytaires. Dans la fasciite nodulaire oculaire, les fibroblastes et les fibres de réticuline sont les plus nombreux, l’infiltrat lymphoplasmocytaire et surtout les histiocytes étant moins abondants.

L’ensemble de ces descriptions semble représenter, en réalité, les variations histologiques d’un même processus pathologique (voir bibliographies 2, 5 et 7) à médiation immune. Ce processus est sans doute commun à d’autres affections comme la conjonctivite ou la kératite nodulaire granulomateuse (voir bibliographie 8).

Une récente étude (voir bibliographie 9) immunohistochimique corrobore cette idée. Elle inclut cinq cas d’épisclérokératite nodulaire granulomateuse (uniquement chez des colleys ou des chiens de ce type) et dix-neuf cas d’épisclérite diffuse, unilatérale ou bilatérale (pour laquelle une prédisposition raciale est rapportée pour le cocker américain et le golden retriever). Il en résulte que les taux cellulaires, en particulier des lymphocytes CD18, CD79a et CD3, ne sont pas significativement différents dans les diverses biopsies étudiées, qu’elles proviennent ou non d’épisclérokératite nodulaire granulomateuse. En revanche, les lymphocytes B semblent représentés en nombre plus élevé dans les cas qui nécessitent un traitement permanent, tous types d’épisclérites confondus. Le contrôle des signes cliniques est obtenu dans tous les cas avec un traitement corticoïde local. Un cas d’épisclérokératite nodulaire granulomateuse est considéré comme guéri (pas de récidive au moins un an après l’arrêt du traitement).

La réponse au traitement est réputée hautement variable

La pathogénie de la maladie est encore mal comprise. Les données histologiques, l’impossibilité d’identifier un agent causal et les bons résultats thérapeutiques obtenus, dans la majorité des cas, avec des immunomodulateurs ou des immunosuppresseurs, orientent la suspicion vers un processus à médiation immune.

Le traitement médical le plus souvent rapporté fait appel aux corticoïdes. La réponse au traitement est toutefois réputée hautement variable. Les topiques à 1 % d’acétate de prednisolone ou à 0,1 % de dexaméthasone appliqués quatre fois par jour permettraient d’obtenir la résolution des signes cliniques en quatre à huit semaines. Les corticoïdes peuvent être utilisés par voie intralésionnelle et systémique. Des immunomodulateurs tels que la cyclosporine, le cyclophosphamide et surtout l’azathioprine (voir bibliographie 10), à des doses de 1,5 à 2 mg/kg/j, sont également employés. La doxycycline, associée à la niacinamide, a été utilisée avec succès dans un cas de conjonctivite nodulaire granulomateuse préalablement traité sans résultat par la corticothérapie.

La cryothérapie (voir bibliographie 11), la bêta-irradiation, l’exérèse combinée à des injections intralésionnelles de corticoïdes ou des greffes de membranes amniotiques (voir bibliographie 12) ont été tentées dans le traitement de cette affection, mais ne semblent pas donner de résultats supérieurs à ceux obtenus avec la thérapeutique médicale seule.

Une meilleure connaissance des mécanismes immunopathologiques impliqués dans cette affection permettra peut-être d’améliorer la précision du pronostic. En outre, la lésion se situant à la limite du processus néoplasique, une analyse du matériel génétique des cellules concernées pourrait constituer une autre voie de recherche.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1 - M.T. Pena, X. Roura, M.G. Davidson : « Ocular and periocular manifestation of leishmaniosis in dogs : 105 cases (1993-1998) », Veterinary Ophthalmology, 2000, vol. 3, n° 1, pp. 35-41.
  • 2 - B. Grahn, J. Wolfer : « Diagnostic ophthalmology [nodular granulomatous episclerokeratitis] », Canadian Veterinary Journal, 1993, vol. 34, n° 10, pp. 636-637.
  • 3 - A.R. Deykin, A. Guandalili, A. Ratto : « A retrospective histopathologic study of primary episccleral and scleral inflammatory disease in dogs », Veterinary and comparative ophthalmology, 1997, n° 7, pp. 245-248.
  • 4 - G. Chaudieu : « Affections oculaires héréditaires ou à prédisposition raciale chez le chien », éd. du Point Vétérinaire, 2004, 328 pages.
  • 5 - S.J. Dugan, K.L. Ketring, G.A. Severin, J.A. Render : « Variant nodular granulomatous episclerokeratitis in four dogs », JAAHA, 1993, vol. 29, n° 5, pp. 403-409.
  • 6 - P.H. Scherlie, S.L. Smedes, T. Feltz, S.A. Dougherty, R.C. Riis : « Ocular manifestation of systemic histiocytosis in a dog », JAVMA, 1992, vol. 201, n° 8, pp. 1229-1232.
  • 7 - M.E. Paulsen, J.D. Lavach, S.P. Snyder, G.A. Severin, J.D. Eichenbaum : « Nodular granulomatous episclerokeratitis in dogs : 19 cases (1973-1985) », JAVMA, 1987, vol. 190, n° 12, pp. 1581-1587.
  • 8 - S. Hurn, C. McCowan, A. Turner : « Oral doxycycline, niacinamide and prednisolone used to treat bilateral nodular granulomatous conjunctivitis of the third eyelid in an Australian Kelpie dog », Veterinary Ophthalmology, 2005, vol. 8, n° 5, pp. 349-352.
  • 9 - C.B. Breaux, L.S. Sandmeyer, B. Grahn : « Immunohistochemical investigation of canine episcleritis », Veterinary Ophthalmology, 2007, vol. 10, n° 3, pp. 168-172.
  • 10 - C.A Latimer, M. Wyman, C. Szymanski, S.M. Winston : « Azathioprine in the management of fibrous histiocytoma in two dogs », JAAHA, 1983, n° 19, pp. 155-158.
  • 11 - C.A.Wheeler, G.L. Blanchard, H. Davidson : « Cryosurgery for treatment of recurrent proliferative keratoconjunctivitis in five dogs », JAVMA, 1989, vol. 195, n° 3, pp. 354-357.
  • 12 - P.S.M. Barros, A.M.W. Safatle, C.A. Godoy, M.S.B Souza, L.F.M.D.E. Brooks : « Amniotic membrane transplantation for the reconstruction of the ocular surface in three cases », Veterinary Ophthalmology, 2005, vol. 8, n° 3, pp. 189-192.
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