Un éleveur mécontent peut mettre en cause la responsabilité du vétérinaire - La Semaine Vétérinaire n° 1310 du 11/04/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1310 du 11/04/2008

Contentieux

Gestion

LÉGISLATION

Auteur(s) : Céline Peccavy

Dans une affaire jugée par le tribunal de Muret (Haute-Garonne), un vétérinaire est poursuivi par son client pour la perte des deux tiers de la portée d’un cavalier king charles après une césarienne de confort.

La relation entre le vétérinaire et son client éleveur n’est assurément pas la même que celle qu’il entretient avec un particulier, propriétaire d’un animal de compagnie. La raison en est simple : les chiots ou les chatons à naître sont, pour l’éleveur, une source de revenus. La quantité d’animaux viables dans une portée prend alors une grande importance et peut conduire l’éleveur mécontent à mettre en cause la responsabilité du vétérinaire qu’il estime à l’origine de la perte. Une affaire de ce type a récemment été étudiée par le tribunal d’instance de Muret (Haute-Garonne).

Un éleveur, qui redoute la césarienne en urgence, en sollicite une de confort

Monsieur M. est éleveur professionnel depuis de nombreuses années. Dans son élevage, une chienne de race cavalier king charles est proche de la mise bas. Jusque-là, rien d’anormal. Mais comme cette chienne a déjà subi, par le passé, une première césarienne, une seconde semble s’imposer. Or, monsieur M. a été confronté, quelques mois auparavant, à un problème avec une autre chienne de son élevage chez laquelle une césarienne a dû être réalisée d’urgence en pleine nuit. Il souhaite avant tout éviter la répétition de ce scénario. C’est pourquoi il se rend dans une clinique proche de son domicile, mais qui n’est pas celle qui suit habituellement son élevage. Il indique que sa chienne est à terme et demande la réalisation d’une césarienne de confort. Des examens sont aussitôt réalisés. Ils mettent en évidence un taux de progestérone égal à 6,56 ng/ml et une baisse progressive de la température rectale.

Plusieurs propositions sont alors faites à l’éleveur : il peut attendre le début de la mise bas naturelle de sa chienne, ce qui peut conduire en cas de problème à effectuer une césarienne en urgence, peut-être de nuit, avec une équipe réduite à un vétérinaire ; il peut décider de reporter l’opération au lendemain, le temps de réaliser un nouveau contrôle du taux de progestérone ; il peut choisir de programmer la césarienne en fin de journée. L’éleveur, toujours dans le souci d’éviter le risque d’une intervention nocturne, opte pour la troisième solution.

L’intervention a donc lieu en fin d’après-midi. Au final, sur neuf chiots, cinq seront réanimés à la naissance et trois seulement survivront. Considérant que l’intervention vétérinaire est directement à l’origine de la perte des chiots, l’éleveur saisit la justice et demande plusieurs indemnisations :

- le remboursement des frais de saillie ;

- le remboursement de la facture vétérinaire correspondant à la césarienne ;

- une indemnité pour la perte des six chiots mort-nés.

Ses demandes sont fondées sur les articles 1 382 et 1 383 du Code civil.

Dans le cadre du contrat de soins, un lien juridique existe entre vétérinaire et client

La jurisprudence est maintenant ancienne, puisqu’elle date de 1936. En effet, le 20 mai de cette année-là, la Cour de cassation juge qu’« il se forme entre le médecin et son patient un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’engagement de donner des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science ». Il ne faudra pas longtemps pour que ce principe soit applicable aux vétérinaires. C’est chose faite dès 1941.

En l’espèce, l’action de l’éleveur repose donc sur un mauvais fondement, puisque les articles 1 382 et 1 383 du Code civil sont relatifs à la responsabilité délictuelle (hors contrat). La demande n’est cependant pas jugée irrecevable, le tribunal ayant fait usage de son pouvoir de requalification. Il juge que, « en droit, en application des dispositions de l’article 12 du nouveau Code de procédure civile, le juge a l’obligation de trancher les litiges qui lui sont soumis conformément aux lois qui régissent la matière alors même que l’application de ces lois n’aurait pas été expressément requise par les parties : le juge doit donc donner aux faits qui lui sont soumis la qualification juridique qu’ils comportent et l’action du demandeur ne peut être déclarée irrecevable dans la mesure où le fondement juridique de l’action est erroné, ce qui est le cas en l’espèce dans la mesure où la responsabilité du vétérinaire doit être recherchée dans un cadre contractuel(1) ». Pour obtenir la condamnation du vétérinaire, l’éleveur devait apporter la preuve de trois éléments :

- une faute commise par le praticien et donc un manquement à l’engagement de donner des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science ;

- un dommage ;

- un lien de causalité entre les deux.

La classification des obligations légales en fait apparaître trois

Les obligations de moyens, de moyens renforcée et de résultat sont les trois obligations légales à distinguer. La première n’engage pas à un résultat. Le praticien doit tout mettre en œuvre pour guérir l’animal, mais le client ne peut le tenir pour responsable s’il n’y parvient pas. Dans le cas d’une telle obligation, c’est au client d’apporter la preuve d’une faute. Le contrat de soins entre dans cette catégorie. L’obligation de moyens renforcée n’oblige pas à un résultat, mais fait présumer la faute du praticien. Il lui reviendra de démontrer qu’il n’est pas fautif. L’obligation de résultat, enfin, ne permet au praticien de s’exonérer, si le résultat n’est pas atteint, qu’en situation de force majeure, de cas fortuit, de fait d’un tiers ou de participation de la victime au dommage.

En l’espèce, l’éleveur affirme que le fait de pratiquer la césarienne avant terme, et alors que le dernier taux de progestérone relevé n’est que de 6,56 ng/ml, constitue un manquement incontestable à l’obligation de moyens à laquelle est tenu le vétérinaire. Certain de ses affirmations, il ne sollicite donc pas de mesure d’expertise pour appuyer sa position.

Cette mesure est en revanche demandée par le vétérinaire et le tribunal y souscrit, estimant ne pas disposer d’éléments suffisants pour statuer.

Le vétérinaire expert désigné doit principalement dire si le praticien a donné des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science lors de cette intervention et, en particulier, déterminer si le fait de pratiquer une césarienne, dans les conditions existantes lors de l’intervention, est constitutif d’une erreur.

Selon les conclusions de l’expert, la césarienne est réalisée trop tôt

Sur le plan théorique, l’expert est catégorique : le jour où la césarienne est pratiquée, la chienne est à cinquante-sept jours de gestation. Le taux de progestérone plasmatique analysé ce jour-là (6,56 ng/ml) est le reflet de cet état. Or une mise bas proche (treize à trente-six heures environ) s’accompagne d’un taux inférieur ou égal à 2 ng/ml. Il est donc incontestable que, sur le plan théorique fondé sur les seuls critères numériques et de laboratoire intégrés aux données scientifiques actuelles, la césarienne est effectuée trop tôt.

Néanmoins, en se fondant sur le déroulement des événements cliniques et notamment sur le moment de la montée de lait, l’expert affirme aussi que si la césarienne est réalisée prématurément, ce n’est qu’avec moins de douze heures d’avance, bien que la chienne ne présente aucun signe comportemental avant-coureur de l’événement.

Continuant son examen des faits, l’expert relève deux éléments fondamentaux :

- aucun examen clinique ni prélèvement n’est réalisé chez les chiots morts permettant d’établir un diagnostic. Dans ces conditions, aucun élément objectif ne permet d’établir la ou les causes de la mort de certains chiots ;

- le taux de réussite de cette portée est certes faible, mais équivalent à celui des autres portées que cette chienne a eu auparavant. En outre, il est comparable au taux moyen par chienne dans l’élevage.

Le tribunal déboute l’éleveur de l’ensemble de ses demandes

Le 8 février dernier, le tribunal d’instance de Muret juge qu’« aucune faute ne peut être établie à l’encontre [du vétérinaire, lequel] a pratiqué la césarienne en cause avec moins de douze heures d’avance, à la demande expresse de monsieur M., alors que l’expert indique qu’il s’agissait d’un enjeu difficile pour [le vétérinaire], ce dont le demandeur ne pouvait qu’avoir conscience en raison de son expérience d’éleveur averti et de l’accouchement déjà difficile par le passé de sa chienne, ce à quoi il voulait remédier en sollicitant une césarienne préventive du vétérinaire pour tenter d’éviter de perdre un ou plusieurs chiots. Il doit donc être débouté de l’ensemble de ses demandes ». En conclusion, les trois éléments de preuve nécessaires à l’engagement de la responsabilité du vétérinaire n’ont pas été, en l’espèce, tous rapportés. Ainsi, alors même que la césarienne est effectuée trop tôt et que des chiots sont effectivement morts, le tribunal retient à juste titre qu’aucun élément ne vient établir le lien de causalité entre la césarienne pratiquée préventivement et la perte de certains chiots de la portée. L’éleveur, insatisfait de ce jugement, a fait appel de la décision. Une affaire à suivre…

  • (1) Voir Cass. Civ. 1, 31/1/1989.

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