Le laboratoire de neurobiologie de l’école d’Alfort est aussi au service de la santé humaine - La Semaine Vétérinaire n° 1310 du 11/04/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1310 du 11/04/2008

Travaux de recherche

Éclairage

VIE DES ÉCOLES

Auteur(s) : Michel Bertrou

Une unité de recherche propre à l’ENVA développe des stratégies de biothérapie prometteuses chez des chiens dystrophiques.

Les confrères qui effectuent des dons lors du Téléthon ignorent peut-être qu’ils contribuent à soutenir des programmes de recherche menés dans des écoles vétérinaires, par exemple au centre de Boisbonne à Nantes et au sein du laboratoire de neurobiologie à Alfort. Depuis un peu plus de dix ans, ce dernier exploite la pathologie neuromusculaire spontanée issue de l’activité clinique de l’école pour éclaircir sa pathogénie, soutenir la mise au point de tests génétiques et démontrer sa pertinence comme modèle spontané d’affections neuromusculaires dégénératives humaines. Le recours à ces modèles animaux permet en effet de valider des stratégies thérapeutiques prometteuses, qui pourront être appliquées par la suite en médecine, pour traiter des myopathies humaines comme celle de Duchenne de Boulogne.

L’Association française contre les myopathies (AFM), à l’origine du Téléthon, a compris tôt le potentiel du modèle canin dans l’étude des maladies héréditaires. Elle a ainsi contribué au développement de la myologie vétérinaire (étude de la physiologie et de la physiopathologie des myopathies animales spontanées) et soutient plusieurs travaux de recherche menés dans les ENV. Le laboratoire de neurobiologie d’Alfort conduit actuellement deux programmes phares : l’un en thérapie cellulaire sur les cellules souches (mésangioblastes), l’autre en thérapie génique, qui utilise chez le chien dystrophique la technique du saut d’exon thérapeutique.

Une unité propre au ministère de l’Agriculture financée par l’AFM

Le laboratoire de neurobiologie de l’ENVA a été créé en 1995. Il s’agit d’une unité de recherche labellisée par le ministère de l’Agriculture à la suite de la réforme de 1992, qui visait à rapatrier sur le site les activités de recherche auparavant effectuées à l’extérieur par les enseignants-chercheurs. L’autre objectif de cette unité est de contribuer à la recherche clinique au sein d’une école vétérinaire. Trois enseignants-chercheurs (Thierry Lefrançois, Pierre Moissonnier et Stéphane Blot) se regroupent alors autour d’une thématique (le traumatisme du système nerveux) afin de mutualiser leurs compétences. Les ressources allouées par le ministère de tutelle se révèlent cependant éloignées des ambitions initiales et, faute de soutien financier et de ressources humaines, la thématique commune est quelque peu délaissée. Stéphane Blot travaille depuis le début des années 90 sur les myopathies dégénératives canines. Ce secteur de recherche en essor reçoit le soutien de la communauté scientifique en raison d’un regain d’intérêt pour la pathologie spontanée comparée. L’AFM s’intéresse à ses travaux et signe une convention avec l’ENVA pour financer une unité qui développera la caractérisation phénotypique, l’exploration fonctionnelle et des essais précliniques sur les myopathies héréditaires. L’unité d’étude et de traitement des myopathies (UETM), inaugurée en 1999, dispose d’une animalerie dédiée qui héberge quatre colonies de myopathies héréditaires animales(1). Elle compte actuellement dix-sept personnes et bénéficie d’un budget annuel proche de 700 000 € (dont 400 000 € de salaires). Elle est essentiellement financée par l’AFM, l’Agence nationale de la recherche (ANR) et l’Europe.

Les activités de recherche se développent selon deux axes

Le premier axe est directement issu de l’activité clinique de l’ENVA (trente mille consultations annuelles de carnivores domestiques, dont mille six cents en neurologie). Il consiste à identifier et à caractériser des maladies spontanées héréditaires chez le chien et le chat, et d’en réaliser une étude comparée avec les maladies humaines connues. Parmi les quatre modèles exploités par le laboratoire, deux ont été caractérisés à l’école. Trois sont des modèles de myopathie dystrophique de Duchenne, le quatrième est un modèle de myopathie centronucléaire. Pour cette dernière affection, une étroite collaboration avec l’unité mixte de génétique moléculaire et cellulaire a permis l’identification de la mutation et l’élaboration de tests désormais accessibles aux confrères praticiens et aux éleveurs(2). Ce lien établi entre la description clinique et l’origine génétique de ces maladies permettra, à terme, d’éviter leur dissémination occulte.

Le second axe concerne les biothérapies. Dans ce domaine, le laboratoire pratique une recherche translationnelle. En proposant à des équipes scientifiques d’adapter au modèle canin (essentiellement le GRMD) une stratégie thérapeutique qui a fait ses preuves in vitro ou chez des rongeurs, il les amène aux portes de l’essai clinique humain en démontrant la faisabilité, l’efficacité clinique et l’absence de toxicité. L’expertise clinique vétérinaire est mise à contribution avec l’élaboration de nouvelles approches thérapeutiques, depuis la cellule souche jusqu’à la thérapie génique.

Deux programmes phares développés

L’un des projets stratégiques développés par le laboratoire est mené en partenariat avec une équipe italienne dans le domaine de la médecine régénératrice. Il consiste à tester le potentiel myogénique des mésangioblastes, cellules souches issues des petits vaisseaux qui ont la propriété de traverser les capillaires et d’aller fusionner avec les fibres musculaires pour les remplacer ou les soutenir. La preuve de principe a été réalisée par les Italiens sur un modèle murin. Les mêmes essais ont été conduits à l’ENVA sur deux lots de chiens dystrophiques. Les tentatives de greffes allogéniques (mésangioblastes d’un individu sain) sur un lot de chiens sous immunosuppresseurs (pour éviter le rejet) ont été encourageants et ont fait l’objet d’une publication dans la revue Nature. Les essais sur un second lot, avec des greffes autologues (cellules du même animal, corrigées ex vivo par thérapie génique, puis réinjectées), n’ont pas encore donné les résultats escomptés. Ils se poursuivent en modifiant la part du gène de la dystrophine à utiliser, car il s’agit de l’un des plus volumineux de l’organisme, impossible à vectoriser en entier. Le second programme, dit “du saut d’exon” (exon skipping), est mené en collaboration avec l’équipe de Luis Garcia, de l’Institut de myologie (important centre de recherche créé par l’AFM). Cette technique originale consiste à manipuler l’épissage du gène muté de la dystrophine en retirant l’exon pathologique sans que cela interfère sur la fonctionnalité de la protéine produite. Elle a été utilisée avec succès sur un modèle murin (la souris mdx). Le laboratoire de l’ENVA a appliqué au chien une stratégie avec un degré supérieur de complexité : il ne s’agit plus d’éliminer un seul exon, mais plusieurs. L’intérêt du “saut d’exons multiples” est de pouvoir traiter plusieurs dizaines de mutations différentes (comme c’est le cas dans la myopathie de Duchenne) avec un seul médicament (un virus adéno-associé). Cette preuve de principe a pu être démontrée chez le chien. Des injections intramusculaires ont entraîné des corrections significatives et les essais tentent maintenant de traiter le corps entier par voie systémique, avec de bons espoirs que le médicament irradiera suffisamment le tissu musculaire.

  • (1) Chiens GRMD (pour goldens retrievers atteints de dystrophie musculaire par déficit en dystrophine), LRMD (labradors retrievers atteints de dystrophie musculaire par déficit en dystrophine), CNM (labradors retrievers atteints de myopathie centronucléaire) et chats HFMD (chats atteints de dystrophie musculaire hypertrophique par déficit en dystrophine).

  • (2) Voir le site consacré à la myopathie centronucléaire du labrador (site en anglais réalisé par Laurent Tiret de l’ENVA) : http://www.labradorcnm.com

Le chien, un excellent modèle

Chez la souris, le chien ou l’homme, les fonctions clés des cellules sont contrôlées par les mêmes gènes. Concernant les maladies héréditaires, la situation pathologique humaine est souvent mieux reflétée par le chien que par la souris. Toutes les complications induites par une maladie génétique canine se retrouvent chez l’homme. Par ailleurs, la grande taille du modèle canin permet de mieux appréhender la mise en œuvre d’un traitement pour l’homme (distribution, dose, évaluation fonctionnelle). En outre, la médecine vétérinaire dispose de spécialistes dans toutes les disciplines (cardiologie, neurologie, dermatologie, chirurgie, etc.) et des outils aussi performants qu’en médecine humaine y ont été développés. La connaissance du génome canin reste cependant moins avancée que celle du génome murin et il existe aujourd’hui une forte pression de la part de la communauté scientifique pour la développer et l’approfondir. L’Institut américain de la santé en a d’ailleurs fait l’une de ses priorités.

M. B.

La tutelle du ministère de l’Agriculture et de la Pêche en question

Unité performante et propre au ministère de l’Agriculture et de la Pêche, le laboratoire de neurobiologie était l’une des étapes de la visite de Michel Barnier à l’ENVA, le 10 janvier dernier. Le lien entre santé animale et santé humaine, que Stéphane Blot a souligné dans sa présentation, a interpellé le ministre. Dans son discours aux étudiants, ce dernier n’a pourtant pas évoqué l’activité du vétérinaire au service des animaux de compagnie. « Je comprends que la priorité du ministre soit l’alimentation, avec les enjeux économiques et sanitaires que cela comporte, mais la société n’attend pas que cela », estime Stéphane Blot. « S’occuper de la santé des animaux de compagnie est une attente forte de la société française, aussi bien des propriétaires que de la recherche biomédicale. Tous les acteurs scientifiques sont convaincus de la nécessité de chercheurs pour étudier la pathologie spontanée et pouvoir l’exploiter. Les santés animale et humaine ne sont pas uniquement liées par le biais de l’alimentation ou des zoonoses. La médecine peut réellement profiter de la compréhension par les vétérinaires de la pathogénie des maladies spontanées et du recours aux biothérapies chez les animaux. »

Agenda de ministre oblige, la visite s’est faite au pas de course et Stéphane Blot n’a pas eu le temps de demander à Michel Barnier ce qu’il pensait de l’appartenance au ministère de l’Agriculture d’un laboratoire dont les travaux intéressent plus directement les thématiques des ministères de la Santé ou de la Recherche. Quelle reconnaissance attendre d’un ministère qui a d’autres préoccupations ? Pourquoi ne pas partager la tutelle ? Ces questions n’ont pas encore trouvé de réponses.

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