Le processus de cicatrisation cornéenne est un phénomène lent chez le cheval - La Semaine Vétérinaire n° 1307 du 21/03/2008
La Semaine Vétérinaire n° 1307 du 21/03/2008

Ulcères et ophtalmologie

Formation continue

ÉQUIDÉS

Auteur(s) : Isabelle Desjardins

Le globe oculaire proéminent du cheval le prédispose aux traumatismes de la cornée. La sensibilité cornéenne et les signes cliniques de kératite ulcérative diffèrent selon la classe d’âge.

Les ulcères cornéens sont fréquents chez le cheval. Leur sévérité est variable, allant de simples abrasions à une perforation cornéenne complète avec un prolapsus de l’iris. Si la cornée d’un cheval adulte est particulièrement sensible par rapport à celle d’autres espèces, il a été montré que le seuil de sensibilité cornéenne est diminué chez les poulains malades hospitalisés, comparé à celui de poulains sains ou d’adultes. D’ailleurs, l’incidence des maladies cornéennes est plus élevée chez les nouveau-nés malades que chez les poulains du même âge en bonne santé.

L’auteur d’une étude(1) souligne que l’expression clinique d’une kératite ulcérative est différente chez le nouveau-né et chez l’adulte. En effet, en raison de la sensibilité cornéenne diminuée chez les nouveau-nés, les signes cliniques caractéristiques (épiphora, blépharospasme, photophobie, conjonctivite, etc.) ne sont pas toujours présents. Sans recours au test de la fluorescéine, ces lésions peuvent ainsi passer inaperçues.

La phase finale de la cicatrisation d’un ulcère est lente

L’épaisseur de la cornée chez le cheval est de 1 à 1,5 mm au centre de l’œil et est plus mince en périphérie (0,8 mm). L’épithélium cornéen normal contient huit à dix couches cellulaires. Lésé, il s’épaissit jusqu’à dix à quinze couches cellulaires. Même si un ulcère est complètement recouvert par de l’épithélium cornéen, plus de six semaines sont nécessaires à l’épithélium de la membrane basale pour se régénérer après une effraction cornéenne. Un ulcère superficiel, non infecté, même de grand diamètre, cicatrise rapidement pendant cinq à sept jours, mais la phase finale de cicatrisation est lente, avec une progression moyenne de 0,6 mm par jour. Bien entendu, de nombreux facteurs peuvent ralentir la cicatrisation cornéenne comme une lésion profonde, infectée, une atteinte des deux yeux. En effet, la cicatrisation des ulcères du deuxième œil peut être ralentie en raison de l’augmentation de l’activité protéinase des larmes.

Les protéinases du film lacrymal permettent de détecter et d’éliminer les cellules lésées ou le collagène lors d’effraction cornéenne. Ces protéinases coexistent avec des inhibiteurs, afin de prévenir une dégradation excessive du tissu normal. Lors d’inflammation, les neutrophiles contenus dans les larmes libèrent des cytokines inflammatoires (à action protéinase) qui dégradent parfois, de façon excessive, le stroma cornéen. Dans le cas de ce “traumatisme cornéen secondaire”, la liquéfaction stromale se traduit par une apparence gélatineuse et grisâtre du stroma à la marge de l’ulcère.

La réponse cicatricielle cornéenne chez les équidés possède une particularité par rapport aux autres espèces, car la fibrose cornéenne et la néovascularisation sont prononcées.

Les ulcères cornéens sont, pour la plupart, infectés

La conjonctive oculaire et la cornée du cheval sont constamment exposées à des bactéries et à des champignons environnementaux. L’épithélium cornéen constitue une barrière efficace contre l’invasion et la colonisation par ces agents pathogènes, présents à la surface cornéenne. Lorsqu’il est légèrement lésé, les bactéries et les champignons adhèrent à la cornée et une infection s’établit. Dès lors qu’un ulcère cornéen est détecté, une infection doit donc être considérée comme inévitable. Les bactéries les plus communément isolées lors d’ulcération cornéenne sont Staphylococcus spp, Streptococcus spp et Pseudomonas spp. Aspergillus spp et Fusarium spp sont des agents pathogènes fongiques fréquents. Une infection fongique est à suspecter lors d’une anamnèse de traumatisme cornéen par du matériel végétal, ou en cas de traitement long et infructueux par des antibiotiques et/ou des corticostéroïdes locaux. Certains agents pathogènes (bactéries ou champignons) produisent des enzymes à activité protéinase et collagénase qui liquéfient le stroma cornéen.

La démarche diagnostique utile inclut le test au rose bengal

Tous les chevaux qui présentent une douleur oculaire doivent subir un test à la fluorescéine et au rose bengal. Un test positif à la fluorescéine indique une micro-érosion ou une lésion partielle de la couche épithéliale, car la fluorescéine s’infiltre entre les jonctions des cellules épithéliales inflammatoires. Un test positif au rose bengal révèle un défaut de la couche de mucine dans le film lacrymal. Ce test est particulièrement utile, car les stades précoces d’une infection fongique ulcérative ne retiennent pas la fluorescéine, mais seulement le rose bengal. L’aspect de la coloration cornéenne est alors de type multifocal, comme lors de kératite virale.

Un examen microbiologique cornéen est particulièrement indiqué lors d’ulcérations cornéennes profondes, ainsi que pour les ulcères à évolution rapide. Il s’effectue avant le raclage cornéen, sous anesthésie locale pour l’examen cytologique, car l’agent anesthésique est bactériostatique. L’examen cytologique permet de mettre en évidence rapidement des bactéries et des hyphes fongiques.

Les complications des ulcères chez les chevaux sont fréquentes

Une uvéite antérieure fait communément suite à une kératite ulcérative chez le cheval. Dans ce cas, un myosis, un hypopyon, un hyphéma et/ou un dépôt de fibrine dans la chambre antérieure de l’œil sont présents. L’amincissement du stroma cornéen par les cytokines inflammatoires (cercle vicieux), les bactéries ou les champignons peut conduire à la formation d’un desmetocoele et, parfois, à une perforation oculaire. Le desmetocoele correspond à une lésion en cratère, coloré par la fluorescéine à sa périphérie, mais non en son centre.

Des ulcères cornéens superficiels qui perdurent peuvent se recouvrir d’une membrane hyaline et devenir des ulcères indolents.

Le traitement médical doit être intensif et réévalué régulièrement selon son efficacité

La nature du traitement institué dépend du degré d’opacité cornéenne, de la taille et de la profondeur de l’ulcère, du degré de néovascularisation cornéenne, de la quantité de larmes produite, de la taille pupillaire, et de la présence de signes d’uvéite antérieure, ainsi que des résultats des examens cyto-microbiologiques.

Le mode de traitement doit être adapté au tempérament du cheval et à sa tolérance aux interventions répétées (système de lavage naso-lacrymal ou sous-palpébral). Les auto-traumatismes oculaires doivent être prévenus par la mise en place de protections.

Quel que soit le traitement, son efficacité est à apprécier constamment par la réévaluation des signes cliniques (blépharospasme, opacité cornéenne, épiphora, néovascularisation cornéenne, persistance d’un myosis).

Généralement, les collyres antibiotiques interfèrent moins avec le processus de cicatrisation cornéen que les crèmes, mais leur application doit être plus fréquente. Les antibiotiques topiques couramment utilisés sont une association de bacitracine-néomycine-polymyxine B, de la tobramycine, de la ciprofloxacine, ou de lagentamycine. Cette dernière est réservée aux ulcères liquéfiés. Ces antibiotiques sont à administrer toutes les deux à huit heures, selon la sévérité de l’affection. Lorsqu’un streptocoque β-hémolytique est isolé, il est généralement sensible à la céphalothine, à la bacitracine ou à la carbénicilline. Quand un Pseudomonas résistant à la gentamycine est isolé, il est généralement sensible à la ciprofloxacine, à l’amikacine ou à la polymyxine B.

Globalement, les champignons sont sensibles, dans l’ordre décroissant, au miconazole, à l’itraconazole, au kétoconazole et au fluconazole. Ces molécules sont administrées toutes les deux à huit heures.

Prévenir la collagénolyse et traiter l’uvéite

L’inflammation cornéenne sévère, secondaire à une infection bactérienne et/ou fongique, peut se transformer en liquéfaction cornéenne et en perforation. Dans ce cas, le recours à un sérum autologue contenant des antiprotéinases réduit la production de larmes et diminue l’activité protéinase excessive de la cornée. Le sérum est appliqué aussi souvent que possible et doit être renouvelé tous les huit jours. L’instillation d’acétyl-cystéine (5 à 10 %) ou d’acide éthylène-diamine-tétraacétique (EDTA) chaque heure permet d’arrêter la liquéfaction du stroma. Dans les cas sévères, une combinaison de sérum, d’EDTA et d’acétyl-cystéine est administrée.

Le sulfate d’atropine (1 %) topique stabilise la barrière hémato-oculaire, réduit la perte vasculaire de protéines, diminue la douleur reliée au spasme des muscles ciliaires et dilate la pupille, abaissant ainsi les risques de formation de synéchies. Elle est utilisée toutes les quatre à six heures, puis sa fréquence d’administration est réduite lorsqu’une mydriase apparaît. En effet, l’atropine topique prolonge le transit intestinal, et augmente la probabilité de coliques chez les chevaux traités.

L’administration parentérale d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), comme la phénylbutazone et la flunixine, réduisent l’exsudation de l’uvée et soulagent la douleur du cheval. Des AINS locaux (profénol, flurbiprofène, acide diclofénamique) contribuent aussi à abaisser le degré d’uvéite. L’application locale de corticostéroïdes encourage le développement des agents pathogènes opportunistes, bactériens ou fongiques, en interférant avec les réactions inflammatoires non spécifiques et l’immunité à médiation cellulaire. Ils sont donc contre-indiqués lors d’ulcération cornéenne.

Plusieurs solutions chirurgicales peuvent être envisagées pour améliorer la guérison

Le débridement des lésions cornéennes, avec une kératectomie partielle, permet d’enlever le tissu nécrotique et de minimiser la cicatrice. Cette procédure est particulièrement indiquée pour les ulcères indolents.

La mise en place de lambeaux (flaps) de la membrane nictitante est utilisée pour le traitement des lésions cornéennes superficielles. La mise en place de lambeaux conjonctivaux est indiquée pour les ulcères profonds ou liquéfiés, les desmetocoeles et les ulcères perforés (sans prolapse irien). Une kératoplastie pénétrante, combinée à une greffe conjonctivale, est choisie lors de prolapse de l’iris.

La survenue d’une panophtalmite, consécutive à une perforation ou à un abcès stromal, donne un pronostic de guérison faible et est extrêmement douloureuse. Il s’ensuit généralement un phtisis bulbi. Dans ce cas, l’énucléation est une solution.

  • (1) D.E. Brooks : « Corneal ulcers in horses : pathophysiology and treatment », conférence présentée au congrès de l’Avef à Deauville, en octobre 2007.

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