Les agrocarburants seront un élément majeur de rupture des équilibres des marchés agricoles - La Semaine Vétérinaire n° 1291 du 23/11/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1291 du 23/11/2007

Economie

Formation continue

FILIÈRES

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

Pour répondre aux besoins alimentaires et énergétiques mondiaux en 2015, il est nécessaire d’augmenter les ressources en céréales de 17 %, en huile de 24 % et en tourteaux de soja de 17 %.

Port de Rouen, septembre 2007. Le cours du blé fob (voir lexique) atteint 280 €/t, alors que durant la campagne 2005-2006, il a difficilement passé la barre des 100 €(1). Cette flambée du prix du blé tire à la hausse les cours des autres matières premières. Pour le maïs, l’indice de prix dépasse les 200 par rapport au début de l’année 2006, pour le tourteau de soja, il est à plus de 150 (voir graphique 1).

Pour la période 2006-2007, les besoins de l’Union européenne à vingt-cinq sont évalués à 170 millions de tonnes de céréales et à 52 millions de tonnes de tourteaux. L’alimentation animale est le premier secteur d’utilisation de ces produits. « Elle absorbe à elle seule plus de 60 % des débouchés des céréales, ce qui est considérable », a indiqué Yves Dronne, chercheur à l’unité de recherche d’économie du centre Inra de Rennes, lors de l’édition 2007 du Space. Le ratio tourteau de soja/blé est aujourd’hui presque égal à 1. Cette forte baisse du prix relatif du tourteau bouleverse les standards existants de la formulation des aliments du bétail, centrée autour du triptyque blé-maïs-soja.

Les stocks ne constituent plus un outil de régulation

Les sept dernières années ont été marquées par une consommation mondiale qui a dépassé la production et n’a pu être satisfaite que par une diminution drastique des stocks internationaux. Ce phénomène a débuté avant le développement massif des agrocarburants. La demande américaine de maïs pour le bioéthanol a joué, mais moins, en tonnage, que l’accroissement des demandes pour l’alimentation humaine et animale. Au sein d’une Union européenne peu exportatrice de blé et déficitaire en maïs, la tension sur les prix est plus forte. Actuellement, « il n’existe donc plus de marge de manœuvre sur les stocks », ils sont égaux à zéro. Concernant les huiles végétales, « le développement du biodiesel, limité à l’Union, a eu un rôle significatif, mais moins important que l’augmentation de la demande mondiale pour l’alimentation humaine », explique Yves Dronne.

La hausse actuelle du cours du blé réside dans le cumul de cinq facteurs : les aléas climatiques australiens, ukrainiens et européens ; la hausse de la consommation mondiale ; la baisse des stocks ; la spéculation ; l’essor des agrocarburants. Au cours des dernières années, la production mondiale d’agrocarburants s’est développée de façon extrêmement rapide, notamment aux Etats-Unis et dans l’Union européenne, sous l’impulsion de politiques incitatives et d’un prix du pétrole particulièrement élevé. En Europe, ils devront représenter 5,75 % de la consommation d’essence en 2015, 10 % en 2020.

Quelles surfaces seront nécessaires pour produire les céréales et les graines oléagineuses nécessaires à l’alimentation humaine, à l’alimentation animale et à la production d’agrocarburants ? Quel impact aura la production de ces derniers sur l’agriculture européenne à l’horizon 2015 ?

56 millions d’hectares supplémentaires sont nécessaires

A cette date, la population mondiale devrait avoir augmenté de 720 millions d’habitants pour atteindre un total de 7,2 milliards. La production mondiale de viande sera probablement passée de 250 à 300 millions de tonnes (+ 20 %) et permettra une consommation de 39 à 42 kg/tête/an, soit une augmentation de 8 %. Pour un taux d’incorporation de 3,96 % d’agrocarburants, les besoins des Etats-Unis sont évalués à 33 millions de tonnes de bioéthanol de maïs et à 3 millions de tonnes de biodiesel, soit 70 millions de tonnes de maïs et 2,8 millions de tonnes d’huile végétale. Au sein de l’Union, le taux d’incorporation, fixé à 5,75 %, se traduit par un besoin de 11 millions de tonnes de biodiesel et de 10 millions de tonnes de bioéthanol de céréales, soit 32 millions de tonnes de céréales et 7,5 millions de tonnes d’huile. L’addition des besoins de l’alimentation humaine, de l’alimentation animale et de la production des agrocarburants se traduit donc par une demande supplémentaire de 350 millions de tonnes de céréales, 28 millions de tonnes d’huile et 36 millions de tonnes de tourteaux. Pour répondre à ces besoins, il est nécessaire d’augmenter les ressources en céréales de 17 %, en huile de 24 % et en tourteaux de 17 %. La hausse des rendements et la mise en culture des jachères potentielles ne suffiront pas à assurer de telles productions. Des hectares supplémentaires, à hauteur de 38 millions pour les céréales, 15 millions pour les oléagineux et 3 millions pour le palme, doivent être trouvés. « Est-il possible de les trouver et de les mobiliser ? », s’interroge Yves Dronne. En 2005, la surface consacrée aux grandes cultures atteignait 890 millions d’hectares, 674 de céréales et 217 d’oléagineux.

Les zones de progression sont en Amérique du Sud, en Indonésie et en Malaisie

L’analyse des hectares cultivés dans le monde indique, pour les vingt dernières années, une tendance au ralentissement de la croissance des surfaces. 20 millions d’hectares supplémentaires ont été cultivés entre 1985 et 1995, de même qu’entre 1995 et 2005, alors qu’entre 1965 et 1975, 63 millions supplémentaires ont été mis en culture et 34 millions entre 1975 et 1985. Les principales zones de progression possibles se trouvent en Amérique du Sud pour les oléagineux et les céréales, en Indonésie et en Malaisie pour le palme. Au sein de l’Union, aux Etats-Unis et en Afrique subsaharienne, les perspectives sont limitées. Elles sont faibles en Chine et en Inde. « Au détriment de quoi seront-elles cultivées ? Et quelles seront les conséquences environnementales ? », demande Yves Dronne.

Des ajustements futurs seront sans doute requis

Il est évident qu’une telle situation créera une forte tension au niveau de la demande. Mais des ajustements sont-ils à envisager ? Une baisse de la consommation par tête des céréales est possible, en raison de l’augmentation de la consommation de viande ou de la hausse du prix des céréales. Par ailleurs, l’accroissement mondial de la demande de viande peut être inférieur aux prévisions. En outre, ces dernières ne tiennent pas compte d’une utilisation optimale des coproduits des agrocarburants, valorisables par les animaux. En effet, selon le scénario présenté, la production d’agrocarburant produirait également un supplément de 10 millions de tonnes de drèches de blé au sein de l’Union et de 20 millions de tonnes de drèches sèches de distillerie avec solubles aux Etats-Unis. « Les agrocarburants apparaissent donc comme un élément de rupture majeur dans les équilibres des marchés entre produits végétaux et produits animaux, ainsi que dans les productions et les échanges mondiaux », conclut Yves Dronne.

L’automne 2007 restera marqué par le haro sur les agrocarburants de première génération, « l’essence de la faim », « les nécrocarburants », « l’essence des riches contre le pain des pauvres ». Alors qu’ils ne font plus l’unanimité, l’envolée des prix des matières premières pose la question de la pertinence des aides aux producteurs, belle aubaine pour ceux qui souhaitent accélérer la libéralisation de la politique agricole commune (PAC) et des marchés agricoles. Garderont-ils à l’esprit que « l’offre des produits agricoles est conditionnée par les semis, les plantations ou l’entrée d’animaux en atelier d’engraissement » ? « Elle s’adapte avec retard aux modifications brutales de la demande, provoquées par les aléas climatiques et, le cas échéant, les alertes sanitaires. Il en résulte une instabilité propre aux marchés agricoles, que les pouvoirs publics se sont efforcés de corriger tôt. »(2)

  • (1) Le prix d’intervention est fixé à 101 €/t.

  • (2) Les marchés agricoles en 2006 : envolée des prix, Insee Première, n° 1 141, disponible en ligne.

POUR EN SAVOIR PLUS

• L’agriculture, nouveaux défis, collection Insee-Références, 2007.

• Nourrir l’humanité, Bruno Parmentier, éditions La découverte, 2007, préface d’Edgar Pisani.

• La faim, la bagnole, le blé et nous, une dénonciation des biocarburants, Fabrice Nicolino, éditions Fayard, 2007.

• Les biocarburants, états des lieux, perspectives et enjeux de développement, Daniel Ballerini, éditions Technip, 2006.

• L’essence de la faim, Guillaume Duval, alternatives économiques, n° 259 juin 2007.

• Le point sur les biocarburants en Europe, le point sur les biocarburants dans le monde, www.ifp.fr

LEXIQUE

• Fob : abréviation de free on board, c’est-à-dire le prix avec la prise en charge par le vendeur des frais de transport de la marchandise jusque sur le bateau. Le contrat “fob Rouen” est le prix de référence européen. En effet, Rouen est le principal port d’exportation en Europe.

• Prix rendu : prix de la marchandise arrivée à destination, les frais d'acheminement étant pris en charge par le vendeur.

• Agrocarburants de première génération : ils résultent principalement de deux filières, celle de l’huile (colza, palme ou tournesol) et celle de l’alcool. Les agrodiesels ou biodiesels (Diester® est une marque déposée) sont obtenus par la transformation chimique d’huiles végétales (colza dans l’Union et soja aux Etats-Unis) ou animales, l’éthanol à partir de la fermentation de sucre de betterave, de blé, de maïs ou de canne à sucre. La voie agrodiesel est privilégiée en Europe où les deux tiers des véhicules roulent au gasoil. La voie éthanol est la préférée des Américains qui roulent à l’essence.

• Agrocarburants de deuxième génération : produits à partir de la biomasse ligno-cellulosique (paille, tiges de maïs, bois).

• Les indices de prix à la production (IPP) pour le marché français mesurent l’évolution des coûts de transaction, hors TVA, de produits vendus sur le marché français. La base 100 est retenue en 2000.

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