Le recadrage est un outil de “trans-formation” de notre perception de la réalité

Rien de plus irritant pour un praticien satisfait du diagnostic multifactoriel qu’il vient d’établir que de s’entendre dire par l’éleveur concerné : « C’est la faute de l’aliment » ! Entre dépit et incompréhension, le vétérinaire se retrouve, non pas à court d’arguments, mais à court de savoir-faire. Que faire dans cette situation ? « Je fais un recadrage », répond notre confrère Eric Méens, vétérinaire à l’Association régionale des groupements de défense sanitaire (ARGDS) de Haute-Normandie. Lors de l’édition 2006 de la Journée bovine nantaise⁽¹⁾, les questions se sont arrêtées là. Mais en cherchant à en savoir plus, d’autres surgissent : qu’est-ce qu’un recadrage ? Comment pratiquer ? Comment se former ? Ces questions nous amènent dans le champ de la psychologie et de la communication. Richard Bandler et John Grinder, docteurs en psychologie et auteurs de l’ouvrage Le Recadrage⁽²⁾, proposent la définition suivante : le recadrage est une intervention qui a pour but de changer la réponse interne d’une personne devant un comportement ou une situation, en modifiant le sens qu’elle lui accorde. En effet, le sens que nous donnons à un événement dépend essentiellement du contexte et de la façon dont nous le percevons, dont nous l’avons vécu.

La dimension temps du conseil n’est pas la dimension temps du curatif

« Un éleveur qui vit et travaille avec un troupeau qui souffre de mammites est dans une situation inconfortable. Naturellement, il va éviter d’en parler et faire diversion. Aussi, plutôt que d’aborder le sujet, il pourra préférer parler du prix du litre de lait », explique Eric Méens.

Pour sortir de cette situation fermée, notre confrère recadrera le problème sanitaire en s’appuyant sur la préoccupation financière de l’éleveur (autrement dit il se “synchronise”) : « Je comprends que le prix du litre de lait puisse paraître insatisfaisant. En même temps, est-ce que vous ne croyez pas que nous pouvons améliorer la rentabilité de votre élevage en travaillant sur le problème des mammites ? Qu’en pensez-vous ? ». Le confort d’une meilleure rentabilité se substitue à l’inconfort des pénalités de la rémunération du lait. Le vétérinaire conseil propose alors à l’éleveur de changer la signification du problème sanitaire.

« Lorsque l’éleveur me dit “la traite est devenue insupportable”, il sous-entend qu’il ne veut plus traire dans ces conditions. » Notre confrère lui répond : « Oui, je comprends, c’est tout à fait normal de vouloir traire dans de meilleures conditions. Voulez-vous que nous construisions ensemble quelque chose pour sortir de cette situation ? » La plainte devient ainsi un point de départ à partir duquel il devient possible d’échafauder des solutions, de sortir de la frustration, « du petit vélo qui tourne dans la tête, afin de s’échapper du quotidien qui se répète et s’auto-alimente ». Dans ce deuxième cas, le vétérinaire conseil change le contexte de la plainte. Ainsi, amener un client à concevoir une situation sous un autre angle, ou à prendre d’autres facteurs en considération, revient à recadrer les événements pour qu’il y réponde autrement.

La dimension temps du conseil n’est pas la dimension temps de la visite curative. De la même façon, l’effet du recadrage n’est pas immédiat. Plusieurs jours, quelques semaines sont nécessaires pour « sortir des schémas inscrits dans les circuits neuronaux qui ont tendance à s’auto-alimenter ». L’éleveur traduira cette prise de conscience par le choix, la construction de ses propres solutions. « Nous ne les forçons pas à faire quelque chose quand nous élargissons leur vision à travers le recadrage. Ils le feront seulement si la nouvelle vision a plus de sens que la précédente et qu’il s’agit d’une façon indéniablement valable de percevoir le monde », écrivent Richard Bandler et John Grinder, qui notent également qu’une façon d’interrompre le schéma répétitif d’un client est de faire quelque chose de totalement inattendu.

Quelle est la difficulté de la pratique du recadrage ? « Il faut prendre le temps de comprendre l’autre, la vision de l’autre, dans son cadre de référence. » Pour Eric Méens, l’harmonie de la relation est importante. Celle-ci se crée, entre autres, par une synchronisation avec l’éleveur. Une relation de qualité est celle où l’empathie est présente. Il ne s’agit pas de sympathie, mais d’une écoute qui a pour objectif de comprendre l’autre dans sa représentation du monde.

Avez vous déjà pratiqué le recadrage d’événements ? Que s’est-il passé ? A quelles difficultés avez vous été confronté ? Quel mode de formation proposeriez-vous pour développer cette pratique ? Deux vétérinaires praticiens ruraux ont accepté de répondre à ces questions (voir entretiens).

• (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1261 du 17/3/2007 en pp. 46-48 et n° 1262 du 24/3/2007 en pp. 42-44.

• (2) R. Bandler et J. Grinder, Le Recadrage, Dunod-InterEditions, 2005. Première édition, 1982.