Le praticien guide progressivement le client vers l’alliance thérapeutique

Le chien réagit à l’étirement.

- Il a une douleur au niveau des hanches. Est-ce qu’il boite ?

- Non docteur, je ne crois pas.

Comme c’est une consultation de vaccination, allons-y délicatement.

- Comment il va en ce moment ?

- Bien, docteur. Il mange et dort bien.

Je continue mon auscultation, l’air de rien.

- Comment se passe la promenade ? Vous n’avez pas noté de changement ?

- Non, il joue toujours à la balle.

- Bien, bien. Et pour monter dans la voiture ?

- Je ne sais pas, il faut demander à mon mari.

Patience, on va y arriver…

- Quand j’y pense, docteur, effectivement, j’ai remarqué qu’après la promenade, il va maintenant tout de suite se coucher dans son panier, comme s’il était fatigué.

- Ah ?

Silence. Je compte en pensée jusqu’à dix, tout en restant attentif à ma cliente.

- Docteur, vous pensez qu’il a quelque chose ? »

Félicitons Aymeric d’avoir atteint son premier objectif (sensibiliser sa cliente) et d’avoir appliqué avec succès quelques principes de communication : l’écoute active (« bien, bien »), le questionnement, le respect des croyances de son client (« je ne crois pas »). Ainsi, plutôt que d’argumenter tout de suite sur l’arthrose, au risque de provoquer le déni, il a laissé sa cliente découvrir elle-même que son chien avait besoin de soins (« vous pensez qu’il a quelque chose ? »). Car, pour tout changement intentionnel de comportement (la cliente accepte de donner à son animal un anti-inflammatoire à vie alors qu’elle vient pour la vaccination), J.O. Prochaska et C.C. Di Clemente décrivent une progression, dont il faut respecter la chronologie et pour laquelle il existe des postures adaptées qui permettent de créer l’alliance thérapeutique pour, bien entendu, soigner l’animal. L’objectif est donc que le propriétaire évolue progressivement jusqu’au dernier stade, celui du changement effectif de comportement (le traitement). Cela concerne principalement les maladies chroniques (arthrose, insuffisance cardiaque ou diabète), mais aussi les cas où les enjeux financiers sont importants (intervention chirurgicale lourde).

Le client suit trois étapes successives avant le passage à l’action

Le premier stade est celui de l’indétermination (« je ne sais pas que je ne sais pas »). C’est le cas de notre cliente au début : « Il mange et dort bien. » Pour emmener le client vers l’étape suivante, le vétérinaire lui apportera de l’information, le sensibilisera et pourra même instiller un doute (« et pour monter dans la voiture ? »). Il est possible aussi de présenter sa conviction personnelle sous la forme d’un message non culpabilisant (« je pense que… »). Parfois, le client refuse de poursuivre : il répond évasivement et le praticien se sent intrusif. Il est alors judicieux de fournir une documentation de qualité, de la main à la main, et de la commenter, ce qui lui donne de la valeur.

Puis vient le stade de l’intention, ou contemplation, qui pourrait être traduit par « oui, je connais, mais… ». Le client prend conscience du problème, comme ici en fin de consultation (« effectivement, j’ai remarqué »). Mais il n’est pas encore certain que l’effort à fournir pour changer soit justifié. Pour qu’il évolue, le praticien peut lui proposer d’observer son animal (et de revenir avec le bilan) ou d’explorer avec lui les gains et les pertes de chaque solution (traiter ou non, les différents traitements).

Ensuite, le propriétaire est prêt à agir : c’est le stade de préparation. Il a confiance et sait qu’un changement doit se produire. Il dit : « Et alors, comment fait-on ? » A ce stade, il a besoin d’être aidé pour passer à l’action (« parmi ces solutions, laquelle vous convient le mieux ? ») et de préparer le plan d’action (traitement, plan de suivi, etc.). Lorsqu’un client amène un animal malade en consultation, il en est à ce stade.

Enfin, la quatrième étape arrive, celle de l’action : « Bon, j’essaie. » Cette phase, à laquelle il est pertinent d’apporter des encouragements (« c’est une bonne décision »), est le début d’une phase intermédiaire d’essai du nouveau comportement, qui précède son adoption définitive. Le client attend alors du vétérinaire un soutien sans faille et un suivi cohérent (visites, appels téléphoniques), portant sur l’efficacité, la sécurité et les conditions de mise en œuvre du traitement.

Il peut être suggéré à Aymeric de laisser son client décider du rythme de progression jusqu’au stade de l’action, ce qui lui épargnera l’image de “vendeur d’aspirateurs”. Il devra toutefois maintenir sa vigilance, pour ne pas rater les différentes phases et pour être efficace et apprécié.