LE DEVENIR DES AGENCES CRÉE DE L’EFFERVESCENCE - La Semaine Vétérinaire n° 1283 du 21/09/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1283 du 21/09/2007

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Auteur(s) : Nathalie Devos

« Un manque de pilotage par l’Etat » doublé d’une « dispersion des moyens et des compétences », le bilan du recours aux agences sanitaires françaises dressé par la sénatrice Nicole Bricq n’est pas flatteur. Toutefois, elle ne remet pas en cause le fait que leur création a contribué à améliorer la veille et la sécurité sanitaires. L’élue de Seine-et-Marne préconise une mise en réseau de toutes ces agences et leur réunion au sein d’un Haut conseil de santé publique.

Sida, sang contaminé, “vache folle”, hormone de croissance, etc. Depuis le début des années 80, les crises sanitaires se succèdent. Lors des derniers épisodes, les pouvoirs publics ont pu sembler désemparés et les insuffisances du système de veille et d’alerte ont été soulignées. En réaction, souvent sous la pression de l’opinion publique et au nom du “principe de précaution”, un véritable dispositif de sécurité sanitaire s’est progressivement constitué. C’est ainsi que dans les années 90, le recours aux agences en la matière s’est fortement développé.

La mission de “sécurité sanitaire” française en compte sept (voir encadré en page 32), pour la plupart mises en place en réaction à des crises graves (voir tableau en page 33).

Ces agences ont pour objectif la séparation des missions d’expertise et de gestion du risque, cette dernière continuant à relever de la responsabilité des administrations en France. Conçues comme des formes alternatives aux administrations traditionnelles, elles sont supposées être un gage de plus grande efficacité, d’indépendance et de transparence pour le citoyen.

A la veille du dixième anniversaire de la loi du 1er juillet 1998(1) qui a fondé quatre de ces organismes – l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Etablissement français du sang (EFS) –, Nicole Bricq, sénatrice socialiste de Seine-et-Marne, a rendu un rapport d’information réalisé au nom de la commission des finances du Sénat, le 5 juillet dernier. Son objectif n’était pas d’apprécier l’efficacité scientifique du dispositif, mais d’en évaluer le fonctionnement. Force est de constater que son bilan n’est pas flatteur.

Des agences qui ne répondent pas à la notion de « bonne administration »

Pour la rapporteure spéciale de la mission “sécurité sanitaire”, le schéma des agences manque de lisibilité et elles peinent à trouver leur place au sein des autres structures administratives. Si leur création a conduit à une nette amélioration de la veille et de la sécurité sanitaires, elle ne répond pas à « la notion de bonne administration ni à celle d’efficience économique », en raison « d’un “manque de pilotage” doublé d’une “dispersion des moyens et des compétences” », résume-t-elle. Dans un premier temps, Nicole Bricq explique pourquoi le dispositif des agences sanitaires ne répond pas à la notion de « bonne administration ». Cette dernière consiste « à vérifier que le dispositif met à la disposition du décideur politique des rouages institutionnels efficaces permettant une prise de décision pertinente et qu’il responsabilise le gestionnaire en mettant à sa disposition l’ensemble des moyens nécessaires au pilotage de la politique dont il est comptable ». Pour la sénatrice, ces conditions ne sont pas remplies. Cela est dû tant au nombre élevé d’acteurs concernés (agences et administrations de tutelle, voir schéma en page 32 et tableau ci-dessous) qu’à leur hétérogénéité (voir encadré en page 33) et à l’imbrication de leurs domaines de compétences. En effet, le dispositif français dénombre quatre agences de sécurité sanitaire stricto sensu : l’Afssa, l’Afssaps, l’InVS et l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset). Mais d’autres structures participent également à cette politique, sans en avoir la compétence première, comme la Haute autorité de santé (HAS), l’Institut national de prévention et d’éducation de la santé (INPES), l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), etc. Viennent encore s’y greffer les différents comités et commissions ad hoc mis en place au sein des ministères pour traiter certains aspects de cette politique…

Une coopération entre les agences trop inégale et informelle

« Conséquence de leur foisonnement et de l’urgence dans laquelle elles ont été créées, les risques de chevauchement de compétences entre agences sanitaires et entre agences et administration centrale tendent à accentuer la complexité du schéma initial », note le rapport. Par exemple, l’Afssa est compétente en matière d’eau de boisson et l’Afsset en matière d’eaux pour d’autres usages ; les contaminants relèvent de l’Afssa pour la voie alimentaire, mais de l’Afsset pour les contaminations par d’autres éléments de l’environnement. Quant à la santé au travail, l’Afsset, l’InVS, l’Ineris et l’INRS sont susceptibles d’intervenir.

Du côté de la coopération entre les agences (réalisation d’études communes, coopération ponctuelle en tant de crise, etc.), quand elle existe, elle reste inégale et informelle, constate la sénatrice : « Le système français s’apparente plus à une “collection d’agences” qu’à un “système d’agences” ». En outre, « la montée en puissance » des structures communautaires (Agence européenne du médicament, Autorité européenne de sécurité des aliments, Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies, Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, Agence européenne de l’environnement, Agence européenne des produits chimiques) « ne laisse pas penser que l’on s’achemine vers une clarification du schéma actuel, au contraire. Si cela traduit une prise en compte transnationale des risques sanitaires, la mise en place de telles agences semble reproduire, à l’échelon européen, l’émiettement des structures nationales ». Pour Nicole Bricq, « une clarification des compétences entre le niveau national et communautaire s’impose ».

Un pilotage multiministériel et des financements mal optimisés

La rapporteure du Sénat dénonce par ailleurs « une interministérialité (enjeu essentiel en matière de sécurité sanitaire) largement insuffisante ». Certes, une coopération opérationnelle entre les services et les agences existe et des instances de concertation sont en place. Mais cette contribution « ne correspond pas à ce que l’on doit attendre d’un réel travail interministériel, à savoir la fixation d’orientations stratégiques claires et hiérarchisées à partir d’une consultation de tous les acteurs concernés ». Pour la sénatrice, le pilotage multiministériel des agences « ne facilite pas la définition d’une politique d’ensemble de sécurité sanitaire qui a besoin d’un Etat sachant travailler en réseau plutôt qu’en territoires ». L’absence de ministère “chef de file” contribue, selon elle, au mauvais pilotage des agences.

« Des moyens financiers sous-optimisés » constituent le deuxième point mis en exergue dans le rapport du Sénat. Globalement, les crédits versés aux agences de la mission “sécurité sanitaire” ont été multipliés par 2,3 depuis leur création. Pour les quatre agences principales (InVS, Afssa, Afssaps et Afsset), ils s’établissent aujourd’hui à environ 130 millions d’euros, au lieu de 54 millions en 1999, et les effectifs ont augmenté de 36 %.

Cette montée en puissance a certes contribué au renforcement du dispositif de veille et de sécurité sanitaires, « en permettant le développement de missions que l’Etat n’exerçait pas ou mal jusqu’alors ». Mais, pour Nicole Bricq, « elle est intervenue d’une part en l’absence d’encadrement des tutelles, puisque sur cette période seuls l’InVS, l’Etablissement français des greffes (EFG) et l’EFS avaient signé un contrat d’objectifs et de moyens, et d’autre part en l’absence de contrôle du Parlement, les emplois financés par les opérateurs n’étant pas inclus dans le plafond d’emplois voté par celui-ci ».

Le statut et le périmètre d’action des opérateurs de la mission “sécurité sanitaire” soulèvent également des interrogations quant à leurs marges de manœuvre réelles : « Comment peuvent-ils pleinement exercer leur rôle quand certains opérateurs voient leur financement dispersé entre plusieurs programmes ministériels ou tendent à s’autofinancer ? », s’interroge la rapporteure.

Réunir les agences au sein d’un Haut conseil de santé publique est évoqué

Face à ces constats, Nicole Bricq propose un certain nombre de réformes. Tout d’abord, plutôt qu’une refonte globale du système actuel, elle préconise dans un premier temps une stabilisation. En effet, « redécouper les compétences des agences sanitaires, comme cela avait été proposé par Jean-François Girard (ancien directeur général de la santé de 1986 à 1997) en août 2006(2), à un moment où celles-ci parviennent seulement à maturité, risquerait d’entraîner des pertes de synergie et d’entraver la réactivité globale du dispositif », estime-t-elle. En outre, « il est nécessaire, préalablement à toute réforme d’envergure, de s’interroger sur sa faisabilité et sur sa capacité d’absorption par les agences ».

Cette stabilisation du dispositif passerait par la mise en réseau de toutes ces agences (via des systèmes d’information compatibles, une articulation des programmes de travail des agences et la clarification de la répartition de leurs compétences) et par leur réunion au sein d’un Haut conseil de santé publique.

Nicole Bricq appelle les pouvoirs publics à clarifier les champs de compétences des différentes structures. Elle estime que « l’Etat doit se fixer une vision stratégique de long terme, qui pilote plus qu’il ne contrôle de façon tatillonne ses agences ». En outre, elle propose la réalisation systématique d’études d’impact avant la création de toute nouvelle structure, la mise en place d’une instance interministérielle placée sous l’autorité du Premier ministre et regroupant l’ensemble des acteurs de la politique de sécurité sanitaire, ainsi que la redéfinition de la notion de tutelle et de ses modalités d’action.

  • (1) Loi n° 98-535 du 1/7/1998 relative au renforcement de la veille et du contrôle sanitaires.

  • (2) “Remodelage” selon trois pôles : la surveillance et la veille, la police sanitaire des produits et aliments destinés au consommateur ou au malade, et l’évaluation des risques des milieux. Source : rapport d’information n° 355, « Les agences de sécurité sanitaire : de la réactivité à la stratégie », Nicole Bricq, juillet 2007, consultable sur le site Internet http://www.senat.fr/noticerap/2006/r06-355-notice.html

Les sept agences de la mission “sécurité sanitaire”

• L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) : sa mission principale est d’évaluer les risques nutritionnels et sanitaires de toutes les catégories d’aliments destinés à l’homme ou à l’animal, de la production à la consommation. Elle a également une mission de recherche et d’appui scientifique, notamment en matière de santé animale et de maladies d’origine animale.

• L’Institut de veille sanitaire (InVS) : sa mission générale est de surveiller l’état de santé de la population et son évolution (évaluation des risques). Il est chargé d’alerter les pouvoirs publics en cas de crise sanitaire pour l’homme.

• L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) : elle est chargée de contrôler et d’évaluer les médicaments, les réactifs de laboratoire, les produits cosmétiques, les dispositifs médicaux et les produits biologiques destinés à l’homme.

• L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) : elle a pour principale mission d’évaluer les risques sanitaires liés à l’environnement en général et à l’environnement professionnel en particulier.

• L’Agence de la biomédecine (ABM) : sa mission est de veiller au respect de la sécurité et de la qualité, de l’éthique et de la transparence vis-à-vis des greffes d’organes, de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaine.

• L’Etablissement français du sang (EFS) : sa mission première est d’assurer la satisfaction des besoins en produits sanguins labiles sur l’ensemble du territoire national et de veiller à la qualité de toutes les activités de transfusion sanguine.

• L’Institut national de la transfusion sanguine (INTS) : ses missions relèvent de l’analyse, de la maîtrise et de la prévention des risques transfusionnels.

N. D.

Hétérogénéité des agences

La multiplication des agences s’accompagne d’une grande hétérogénéité.

• Taille : en 2006, les effectifs des agences sanitaires vont de 84 emplois équivalents temps plein (ETP), comme pour l’Afsset, à 8 193 ETP moyens annuels (EFS).

• Budget : en 2006, il variait de 20 millions d’euros pour l’Afsset à 100 millions pour l’Afssa.

• Statut juridique : l’InVS, l’Afssa, l’Afssaps, l’Afsset, l’ABM sont des établissements publics administratifs, l’INTS est un groupement d’intérêt public.

• Mode de conception : alors que l’Afssa, l’Afssaps ou l’InVS disposent de moyens d’expertise interne, l’Afsset est une “agence de coordination” destinée à mobiliser l’expertise d’institutions externes.

Pour Nicole Bricq, « si cette diversité n’est pas en soi préjudiciable dans la mesure où elle peut refléter les spécificités d’intervention des différentes agences, elle l’est cependant du point de vue du pilotage ou de la coordination, car une forte hétérogénéité est source de blocages ».

N. D.

Eprus, la dernière née des Agences

L’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) est la dernière-née des agences sanitaires. Elle a réuni son premier conseil d’administration le 10 septembre dernier. Fondée pour préparer des réponses aux crises sanitaires majeures (pandémie grippale, terrorisme, etc.), elle opère dans le champ des missions de la Direction générale de la santé (DGS). Elle prend en charge la logistique de la gestion des stocks des produits de santé, ainsi que l’organisation des personnels avec le corps de réserve sanitaire. Eprus travaillera en lien étroit avec la DGS, mais aussi avec le Service de santé des armées et la Direction de la sécurité civile.

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