Les antibiotiques sont des ressources durables qu’il convient de préserver - La Semaine Vétérinaire n° 1265 du 07/04/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1265 du 07/04/2007

Médecine humaine

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

L’âge d’or de ces molécules aura duré trente ans, jusqu’en 1991. Depuis l’an 2000, les vraies alarmes, attribuées à l’évolution des résistances bactériennes, se font jour.

Jérusalem, 9 mars 2007 (AFP) – Une bactérie mortelle résistante aux antibiotiques a fait des dizaines de morts et contaminé des centaines de malades dans les hôpitaux israéliens, semant la peur dans le pays. Cinq cents personnes, hospitalisées dans une dizaine d’établissements, ont été contaminées par la bactérie klebsiella au cours des six derniers mois et 30 % d’entre elles en sont mortes… par Jennie Matthew. »

Cette dépêche d’alerte sanitaire, relayée dès le 13 mars par l’Institut national de veille sanitaire et l’Observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques (Onerba), rejoint la fiction qui sert d’introduction au rapport intitulé « Bad bugs, no drugs » de l’Infectious Disease Society of America (ISDA)(1) daté de juillet 2004. Elle pourrait être un verset de plus au requiem déclamé avec emphase par l’infectiologue(2) François Trémolières, du centre hospitalier François-Quesnoy de Mantes-la-Jolie (Yvelines). « Les antibiotiques vont-ils disparaître ? Pour beaucoup, le conférencier délire, mais je vous le dis, oui, les antibiotiques peuvent disparaître. Car, encore une fois, nous sommes dans l’incapacité de gérer un véritable bien durable, en partie à cause d’un système où le profit est le seul moteur de l’innovation, où l’économie est le mot d’ordre premier du payeur et où la commodité d’emploi remplace toute réflexion sur la nécessité d’usage et la protection du bien. »

Le 7 décembre dernier, lors de la 26e réunion interdisciplinaire de chimiothérapie anti-infectieuse (Ricai 2006), qui s’est tenue à Paris, François Trémolières a argumenté sur les faits et le contexte qui prédisposent à cette disparition des antibiotiques.

Le pipeline de l’innovation en matière d’antibiotiques s’est tari dès 1980

L’âge d’or de ces molécules aura duré trente ans, de 1961 à 1991. Dans les années 80, les scientifiques croient que, grâce aux nouveaux antibiotiques, il sera toujours possible de garder une longueur d’avance sur la résistance. Or la réalité vient prouver le contraire. Depuis 2000, les vraies alarmes, attribuées à l’évolution des résistances bactériennes, se font jour. En 2007, les maladies infectieuses sont plus vivantes que jamais.

De 1980 à 1993, vingt-huit spécialités nouvelles d’antibiotiques sont commercialisées, la moitié en réserve hospitalière et l’autre pour la médecine de ville. Elles ne sont plus que cinq entre 1994 et décembre 2001, quatre en réserve hospitalière et une pour la ville et l’hôpital. Bien que ces années aient vu la mise sur le marché de molécules d’intérêt encore majeur, il ne s’agit, pour l’orateur, que de l’aboutissement de l’histoire commencée en 1941, date du premier miracle. D’autre part, depuis quarante ans, les antibiotiques répondent toujours à quatre modes d’action. Avec l’arrivée de la daptomycine s’ajoute un nouveau mode, l’inhibition de la synthèse des acides gras bactériens. « Mais sommes-nous réellement en pleine innovation ? », s’interroge le médecin hospitalier.

Une vingtaine de molécules de la famille des quinolones ont vu le jour mais, selon l’orateur, nous assistons à un véritable krach. Leur développement a majoritairement eu lieu sur la niche respiratoire, en négligeant volontairement le reste. A la fin des années 80, la ciprofloxacine est présentée comme l’antibiotique qui soigne tous les germes respiratoires. Or, en dehors de quelques cas particuliers, 3 g d’amoxycilline soignent fort bien les pneumopathies ! Au total, une vingtaine de molécules ont fait l’objet de développement, deux sont commercialisées en Europe, cinq sont, après commercialisation, retirées ou sujettes à une restriction majeure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) et trois sont encore en ballottage défavorable. Quant aux deux molécules ayant fait l’objet d’un développement plus complet, elles sont touchées par les endocardites infectieuses rédhibitoires. « La perte pour l’industrie pharmaceutique est certainement supérieure à 5 milliards d’euros. Aujourd’hui, les quinolones sont accusées de tous les maux (à juste titre ?), en raison de leurs effets indésirables, mais aussi de leur rôle dans la résistance des Gram positif et, plus récemment, dans celle de Clostridium difficile. »

Les progrès de la méthodologie ont conduit à une impasse

François Trémolières dénonce l’effet pervers de l’essai de non-infériorité, induit par la pratique fondée sur les preuves(3). « Il y a longtemps que, dans les infections banales, les taux de guérison attendus sont supérieurs à 90 %. Aussi, démontrer une supériorité en termes d’efficacité relève de la mission impossible. Présenter à l’enregistrement une nouvelle molécule merveilleuse, qui est non inférieure à un comparateur de référence existant depuis quarante ans, est totalement dévalorisant. »

D’autre part, les développements sont réalisés selon des standards périmés, les complicated skin and subcutaneous skin infections (C SSSI), c’est-à-dire les impétigos, les furoncles, les abcès, etc., et les complicated intra andominal infections (C IAI), comme les appendicites, les cholécystites, les infections de parois, etc. Le médecin propose de limiter les essais cliniques dans des indications d’infections communautaires sans gravité, de réfléchir à des critères de substitution, de mieux cibler les critères d’inclusion. La démonstration d’efficacité est attendue pour les formes graves, les terrains fragiles ou à risque, les sujets âgés, les jeunes enfants, les bactéries à problème, en particulier résistantes, mais associées à des affections sévères.

Les lignes directrices et les exigences actuelles ont plus de quinze ans et sont en grande partie dépassées. Aucune proposition n’émane de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ni de l’European Medicines Agency. Seule l’Isda propose de rechercher de nouveaux items pour des essais cliniques, de nouveaux tests pour des diagnostics rapides, de reconsidérer la possibilité d’essais cliniques comportant un bras placebo, de trouver le moyen d’inclure des malades graves et d’actualiser les recommandations pour définir les essais cliniques pour chaque type d’infection.

Il ne faut pas dépendre de retours sur investissements rapides

Quel est le meilleur choix de prescription, un antibiotique à large spectre ou à spectre étroit ? Le choix du spectre étroit suppose une amélioration du diagnostic et pose des problèmes pour des traitements probabilistes, comme celui de l’urgence infectieuse. Si, dans ce cas, l’antibiotique au large spectre est préféré, il doit néanmoins prendre en compte la possibilité de bactérie multirésistante, « soit la prescription d’un traitement large et ciblé ! ». D’autre part, le prix est un puissant moteur de l’usage des médicaments. Les études réalisées en médecine humaine montrent une augmentation de la consommation d’un antibiotique lorsque son coût baisse, quel que soit le pays européen. Une hausse de la résistance bactérienne suit cette consommation accrue.

Limiter la prescription d’un nouvel antibiotique validé avec la cible particulière des germes résistants lorsque d’autres antibiotiques sont utilisables limite le retour sur investissement de ces nouveaux médicaments. Or le retour sur investissement des antibiotiques est déjà mauvais, comparé à celui des médicaments pour les maladies mentales ou du cœur, des traitements hormonaux substitutifs, du Viagra®. La menace économique pèse aussi sur les anciennes molécules. Au début des années 90, cent vingt dénominations communes internationales sont dénombrées, au lieu de quatre-vingt-douze en 2005. Actuellement, certains antibiotiques peu ou pas utilisés retrouvent des vertus thérapeutiques. Si l’innovation est essentielle, la réévaluation des anciens antibiotiques est également stratégique. Quels sont ceux qui sont indispensables ? Comment les définir ? « Nous ne le savons pas », répond François Trémolières.

La défaillance du système universitaire a été montrée du doigt lors de la tabler on de sur les « antibiotiques indispensables, quels enjeux stratégiques ? ». Les médecins ne sont pas formés aux indications de ces anciens médicaments, par exemple celle du Bactrim® dans les infections urinaires. Patrick Choutet, chef du service de médecine interne et des maladies infectieuses du CHU Bretonneau de Tours et président de l’Association pour l’organisation des réunions interdisciplinaires de chimiothérapie anti-infectieuse, le déplore : « L’enseignement a glissé vers les recommandations officielles, nous ne sommes pas assez indépendants ni critiques. »

« Nous avons pris des habitudes de prescription, il va falloir les modifier. Dans le doute, je m’abstiens, avec comme corollaire un diagnostic agressif et un contrôle qui coûtera certainement de l’argent, mais permettra d’économiser les antibiotiques. Auparavant, je ne m’abstenais pas », a conclu l’infectiologue François Trémolières.

  • (1) Téléchargeable sur le site web de l’ISDA, www.idsociety.org.

  • (2) L’infectiologie est spécialisée dans la prise en charge des maladies infectieuses et tropicales (voir www.infectiologie.com).

  • (3) Evidence based medicine : voir La Semaine Vétérinaire n° 1192 du 3/9/2005 en page 51.

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