80 % des problèmes d’élevage sont résolus grâce à des connaissances détenues par l’éleveur - La Semaine Vétérinaire n° 1262 du 24/03/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1262 du 24/03/2007

Ecopathologie

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

Le vétérinaire rural sera le catalyseur de la prévention s’il apprend à questionner, écouter, reformuler, cadrer et adapter sa relation de conseil au stade de développement personnel de l’éleveur.

En 2004, un éleveur d’Illeville-sur-Montfort (Eure), Thomas Levasseur, est sur le point d’arrêter la production de lait, malgré le coût élevé des travaux de mise aux normes consentis récemment. La mise en service de la stabulation libre et de la salle de traite (une “TPA” 2 x 6 postes) remonte à juillet 2001. « Dans l’ancien bâtiment, avec la vieille machine, je soignais peu de mammites, mais les cellules étaient élevées (environ 300 000 par millilitre de lait), se souvient cet éleveur. Dans le nouveau bâtiment, la situation s’est dégradée tout doucement, les cellules sont montées à 400 000 par ml de lait » (voir graphique 1). L’année 2004 accuse ainsi un total de 125 traitements et une moyenne de 2,5 par vache (Mastijet®, 25 boîtes de 20 injecteurs). « Je traitais une vingtaine de mammites par mois. J’avais peur d’aller traire », précise l’éleveur, qui enregistre méticuleusement les mammites cliniques.

Il veut obtenir des résultats relatifs à la qualité du lait à la hauteur de l’effort financier réalisé.

Réglages de la machine à traire, conseil d’élevage et de traite, visite de traite, démarche GTV Partenaire, analyses bactériologiques du lait mammiteux, Xavier Quentin, praticien à Bourgtheroulde (Eure), passe tout en revue. Tenace, il martèle la nécessité d’insister davantage sur l’hygiène des lavettes, de l’aire d’attente, de l’aire paillée, de l’aire d’exercice, sur le dépoussiérage du bardage et sur la pratique d’un vide sanitaire de la stabulation l’été. Tous les conseils sont donnés, mais non appliqués, pas même les plus basiques. Son rôle de conseil directif reste sans effet.

« Quand nous fournissons des conseils, 15 % seulement sont suivis, reconnaît Eric Méens, vétérinaire de l’Association régionale des groupements de défense sanitaire (ARGDS) de Haute-Normandie, lors de la Journée bovine nantaise 2006. En revanche, si la solution vient de la personne en face de vous, il y a toutes les chances pour qu’elle la mette en application. »

Il faut redonner du pouvoir à l’éleveur, car il connaît les solutions

De juillet à décembre 2006, les numérations cellulaires du lait de tank sont égales à 144 000 cellules/ml en moyenne, avec un maximum à 195 000 et un minimum à 105 000. Sur l’année entière, seules 10 boîtes de 5 traitements de Mastijet® sont nécessaires, au lieu de 15 en 2005 et 25 en 2004 (voir graphique 2).

Depuis janvier 2007, 40 vaches laitières suffisent à la production du quota (au lieu des 50 à 60 en 2004), le lait de tank est en moyenne à 150 000 cellules/ml, l’éleveur ne soigne plus que 3 à 4 mammites par mois. « Il a mis en place des choses simples, à portée de main, précise Marie-Line, sa compagne. Il prend plaisir à aller travailler. Maintenant, il a moins de travail et rentre plus tôt. Le soir, lorsqu’il y a des vaches sur le point de vêler, il va les voir plus souvent. »

Entre les deux situations, Thomas Levasseur et nos confrères Eric Méens et Xavier Quentin ont expérimenté une intervention en trois temps, de type “entretien de coaching”. Ce protocole d’intervention quitte ponctuellement le domaine technique pour le domaine relationnel (voir encadré). Eric Méens est le coach, Thomas Levasseur le “coaché” et Xavier Quentin le référent sanitaire de l’élevage. « J’ai été surpris par la conduite de l’entretien, explique l’éleveur, la façon dont cela était dit : “qu’est-ce que tu vas faire demain ?”. D’un seul coup, des solutions se sont imposées. » Des questions clés ont présidé à l’entretien :

- En tant qu’éleveur, que faites-vous de bien vis-à-vis de la lutte contre les mammites ?

- Que pourriez-vous améliorer ?

- En quoi est-ce un problème pour vous ?

- Quelles seront les conséquences pour vous si vous ne résolvez pas votre problème ?

- En voyez-vous d’autres ?

- Qu’aimeriez-vous à la place ?

- Qu’est-ce qui, selon vous, est à l’origine du problème ?

- Trouvez cinq solutions vous permettant de commencer à résoudre ce problème maintenant.

- Parmi ces cinq solutions, laquelle vous paraît la plus facile à mettre en place et sur laquelle allez-vous vous engager maintenant ?

- Par quoi allez-vous commencer, quand et comment allez-vous le faire ?

Cette conduite d’entretien offre au coaché la prise de recul essentielle pour sortir du fonctionnement mental automatique. « 80 à 90 % de nos décisions sont prises de façon inconsciente. Dans un deuxième temps, elles sont justifiées sous forme consciente », explique Eric Méens. La première question place l’entretien sous un signe positif, constructif, et non sous l’angle de la sanction. Les traitements des mammites par Thomas Levasseur sont précoces, « dès que le quartier reste un peu dur après la traite ». D’autre part, son expérience l’a amené à privilégier les produits de trempage aux références sérieuses. Ce positionnement redonne du pouvoir à l’éleveur, qui est ainsi amené à produire ses propres solutions. « 80 % des problèmes sont résolus grâce à des connaissances basiques détenues par l’éleveur », estime notre confrère.

Il faut accorder la relation de conseil à la situation de l’éleveur

En tant qu’expert technique, donner de l’efficacité à sa relation de conseil requiert de s’appuyer sur les frustrations(1), le potentiel de compétences de l’éleveur et non uniquement sur des connaissances cliniques et épidémiologiques. Le conseiller, le coach, découvre ainsi ce qui fait sens pour l’éleveur, ses valeurs, ses objectifs, ses priorités. Les entendre nécessite d’entrer dans le point de vue de l’autre, de quitter donc momentanément son costume d’expert technique et scientifique. Le soir, Thomas Levasseur a ainsi horreur de ressortir et préfère rester auprès de sa famille. De ce fait, les solutions efficaces au regard des facteurs de risque identifiés et qui exigent qu’il retourne à la stabulation après son travail ne sont pas mises en œuvre ou pérennisées. C’est là son choix d’organisation de travail et de vie. « Dès le lendemain de la première visite, je suis allé acheter du fil électrique pour empêcher les vaches d’aller se coucher après la traite, explique l’éleveur. Pendant trois à cinq jours, j’ai mis le fil matin et soir. Mais c’était trop dur de ressortir le soir, je me suis vite lassé. Je ne le mets que le matin. » Auparavant, l’aire d’exercice était raclée une fois par jour, mais jamais le samedi soir et le dimanche. « J’ai raclé l’aire d’exercice deux fois parjouraulieud’unefois, y compris le dimanche, lavé les quais de traite et le parc d’attente tous les soirs au jet, poursuit Thomas Levasseur. J’ai également changé la façon de nettoyer les lavettes. Auparavant, elles étaient lavées à froid, elles le sont maintenant à 90 °C. Depuis la deuxième visite, j’utilise deux seaux, l’un est réservé aux lavettes propres, l’autre aux sales. Autrefois, j’en utilisais un seul, commun aux lavettes propres et souillées. Jamais je n’avais remarqué qu’il était sale. J’ai également décidé de curer l’aire paillée plus régulièrement, toutes les trois semaines à un mois. Avant, j’attendais un mois et demi, je n’avais jamais le temps. »

A la question « comment avez-vous trouvé le temps ? », l’éleveur répond : « C’est une obligation que je me suis donnée. » De plus, un vide sanitaire est réalisé tous les étés après le curage de l’aire paillée. Outre la production du quota laitier, l’éleveur cultive seul 140 ha. Son épouse l’aide aux cultures et sa mère s’occupe de la traite un week-end sur deux.

Les changements sont une coproduction de l’éleveur et du vétérinaire

« Eric a suggéré, il a fait parler Thomas, il lui a fait dire les choses. “Et si vous faisiez ça, qu’est-ce que cela entraînerait ?”, précise Marie-Line. Thomas a repris beaucoup d’idées émises par Xavier. » Amener l’éleveur à poser son diagnostic, ses solutions, ses priorités, exige du conseiller en élevage de « donner du temps, d’être à l’écoute de l’autre. Il ne faut pas craindre de laisser du blanc, explique Eric Méens. J’utilise la reformulation, les questions ouvertes. Il faut développer l’empathie. Ainsi, les corrections raisonnées sont une coproduction de l’éleveur et du vétérinaire partenaire. » L’empathie est une écoute qui tente de comprendre l’autre dans son cadre de références. Il s’agit de pénétrer dans l’univers de l’autre pour voir le monde à travers ses yeux(2). « Il faut accepter que ce que l’éleveur met en place soit différent de ce que j’ai proposé. » Depuis, Thomas Levasseur a allégé ses pratiques. L’aire d’exercice n’est rabotée qu’une fois par jour, y compris le dimanche soir. Si les numérations cellulaires du lait de tank montent, alors il recommence à raboter deux fois par jour.

Donner de l’efficacité au conseil nécessite de changer sa posture d’expert, son angle de vue, et de développer un mode de communication centré sur le client. Eric Méens préconise de l’accorder au stade de développement personnel de l’éleveur. Dans ce cas de figure, la relation de conseil est celle d’un accompagnement(3), qui a pleinement participé à la mise en place d’une stratégie d’objectifs. « Je veux produire du lait à moins de 200 000 cellules/ml et soigner au maximum 20 mammites dans l’année », a précisé Thomas Levasseur lors de la première intervention. Partir des solutions qu’il a lui-même proposées a permis de dynamiser la motivation de l’éleveur et a rendu efficace l’application des principes basiques de la prévention.

Respectivement 31 et 19 plans mammites, en 2004 et 2005, ont fait l’objet d’un accompagnement selon la méthode et les techniques de communication décrites (voir tableau). Leur évaluation globale, échecs inclus, met en évidence d’une part une diminution des numérations cellulaires du lait de tank nettement supérieure à celle enregistrée en Haute-Normandie, et d’autre part une amélioration qui s’inscrit durablement dans le temps.

  • (1) Désigne un état mental caractérisé par un déséquilibre entre un désir ou une attente et sa réalisation.

  • (2) Recueil des Journées nationales GTV 2005 à Nantes, page 119.

  • (3) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1261 du 17/3/2007, pp. 46-48.

Protocole d’intervention

Le protocole d’intervention de type coaching, mis en œuvre et financé par l’ARGDS Haute-Normandie lors de problème sanitaire récurrent en élevage bovin laitier, se déroule en plusieurs étapes.

La première intervention, d’une durée de deux heures et demie, se compose d’une visite de l’exploitation et d’un entretien. Elle permet d’enquêter, de recontextualiser, de lister les états indésirables, de motiver, de recadrer, d’engager les réponses correctives. Les solutions seront construites, choisies et hiérarchisées par l’éleveur.

Elle permet également de reformuler les problèmes sanitaires et la construction de solutions par ce dernier. Quelles que soient les solutions, les plus faciles ou les plus pertinentes, le choix en revient à l’éleveur. Elles seront hiérarchisées dans un second temps. Il s’engage quant à leur mise en œuvre, puis les trois partenaires signent un contrat.

La deuxième et la troisième interventions s’inscrivent dans le processus d’amélioration continue(4). Le point est alors fait sur ce qui a été corrigé. Il sera alors possible d’aller plus loin dans le changement, en accord avec le rythme de l’éleveur. L’enchaînement logique des faits à l’origine de l’affection multifactorielle est travaillé via la démarche TQM (total quality management). Lors de la troisième intervention, si l’éleveur est allé au bout de l’amélioration continue, il sera alors possible d’envisager des solutions plus radicales qui touchent à la structure de l’exploitation (modification du bâtiment, organisation des ressources humaines, formation continue, etc.).

C. B. -C

(4) Recueil des Journées des GTV 2005 à Nantes, page 120.

Source : Eric Méens.

EN SAVOIR PLUS

• La gestion des situations dégradées, arbre décisionnel pour l’éleveur, cas référés et conviction de l’éleveur, E. Méens et F. Decante, Journées nationales des GTV, Nantes 2005.

• La Relation de conseil en élevage laitier, E. Méens, Journée bovine nantaise, 4 octobre 2006.

• Le coaching, P. Angel et P. Amar, Que sais-je, Ed. Puf.

• Coaching, outils et pratiques, M. Moral et P. Angel, collection 128, éd. Armand Colin.

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