LE CHIEN DANGEREUX, UN ACTEUR DE LA “DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE” - La Semaine Vétérinaire n° 1255 du 03/02/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1255 du 03/02/2007

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Auteur(s) : Marine Neveux

Le phénomène des “chiens dangereux” provoque des remous dans la presse, l’opinion publique et le monde politique. Il a été abordé lors du dernier séminaire de la Société francophone de cynotechnie.

Avant de prendre des mesures, il est important d’apprécier le problème. » Notre consœur Geneviève Gaillard, députée PS, résume ainsi l’opinion de nombre d’intervenants lors du séminaire sur les chiens dangereux et agressifs organisé les 26 et 27 janvier derniers à Maisons-Alfort (Val-de-Marne) par la Société francophone de cynotechnie (SFC). Evoquer le problème des chiens dits « dangereux » ou des morsures nécessiterait en effet de disposer de données chiffrées. D’autres types d’outils seraient également nécessaires : « Nous pourrions ainsi imaginer l’existence d’une délégation interministérielle dédiée aux animaux, dotée d’une commission de veille en éthologie », suggère notre consœur.

Une meilleure prise en compte de l’avis des professionnels est également mise en avant par de nombreux acteurs du débat. « Nous ne retrouvons aucune de nos propositions dans les textes qui sont actuellement discutés [au Sénat] », déplore ainsi Anne-Marie Le Roueil, présidente du Syndicat national des professionnels du chien et du chat (SNPCC). « Les suggestions émises par le groupe de travail [composé de professionnels du chien] sont peu reprises », renchérit Geneviève Gaillard. Emmanuel Tasse, président du Club français des amateurs de bull terriers, d’american staffordshire terriers et de staffordshire bull terriers (CFABAS), s’étonne aussi que les parlementaires n’aient pas été les destinataires des conclusions formulées par ce groupe de travail sur les chiens dangereux. « Un outil est mis en place et les conclusions émises ne sont pas transmises [aux bons interlocuteurs] ! », regrette-t-il.

Toutefois, le séminaire de la SFC a été l’occasion de souligner les quelques avancées enregistrées sur le volet “chiens dangereux” du projet de loi sur la prévention de la délinquance entre la lecture faite à l’Assemblée et celle réalisée au Sénat. Ces avancées sont notamment issues des amendements formulés par notre confrère René Beaumont, sénateur UMP. La nécessité d’une évaluation comportementale réalisée par des praticiens comportementalistes et par tous les vétérinaires sanitaires qui suivraient une formation dédiée est notamment l’un des éléments qui ressort des débats. Notre confrère Claude Laugier, vice-président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), explique en effet l’impossibilité de s’exonérer d’une démarche diagnostique. « Il s’agit d’un diagnostic médico-légal », souligne-t-il.

Le rôle du praticien s’inscrit dans un examen clinique complet

Notre confrère insiste par ailleurs sur la difficulté à définir la dangerosité canine. Selon lui, plusieurs définitions existent : celle des textes législatifs (elle est a priori fondée sur la morphologie de l’animal), une définition plus comportementale (s’appuyant sur l’agressivité de l’individu), une autre sociétale (elle s’intéresserait aux chiens représentant un danger pour la personne) et une dernière liée aux morsures observées.

« En droit, le terme “dangerosité” est subjectif », souligne en outre Thibaut Lanchais, juriste de l’Institut scientifique et technique de l’animal en ville (Istav). La dangerosité est par ailleurs plus relative qu’absolue. Dans ce contexte, « le rôle du vétérinaire s’inscrit dans le cadre d’un examen clinique complet », explique Claude Laugier. L’intérêt est de prévenir les accidents et d’éviter le recours excessif aux euthanasies.

« Lors des visites “chiens mordeurs”, nous nous trouvons en face d’animaux qui ne sont pas forcément dangereux. Il faut alors que nous trouvions les raisons pour lesquelles l’animal a mordu (par exemple par irritation). » Il existe en effet des “dangerosités ponctuelles” susceptibles de survenir dans certaines circonstances uniquement. Le relais avec les éducateurs canins pour la rééducation et le suivi d’une thérapie est également utile dans ce cadre.

En 1998, 60 % des interventions menées à Paris et dans la petite couronne par le groupe de notre confrère Dominique Grandjean, colonel des sapeurs-pompiers, concernaient les chiens. Aujourd’hui, il estime que ce taux est tombé à 36 %. En revanche, il remarque une accentuation des morsures et des griffures générées par les chats et par les nouveaux animaux de compagnie (NAC), sans doute moins connues du grand public. « Le problème des chiens dangereux n’est-il pas un problème de communication ? », s’interroge-t-il alors.

« La loi de janvier 1999 [relative aux animaux dangereux et errants] me donnait l’impression de ne s’intéresser qu’aux chiens et pas assez à la problématique humaine », ajoute notre confrère Thierry Bedossa, praticien dans les Hauts-de-Seine et président de la SFC. « Avec le projet actuel de loi sur la prévention de la délinquance, nous sommes passés à une gradation supérieure par rapport à la loi de 1999, estime, pour sa part, Emmanuel Tasse. Posséder un chien de seconde catégorie constitue un poids au quotidien. Cela soulève des problèmes de voisinage. Nous sommes dans l’obligation de communiquer. »

Le chien dangereux est-il l’arbre qui cache la forêt ?

Jean-Luc Vuillemenot, secrétaire général de l’Association française d’information et de recherche sur l’animal de compagnie (Afirac), est régulièrement confronté à la presse et aux décideurs « qui ont souvent une vision négative de la présence animale ». « Je ne vois donc que la partie émergée de l’iceberg », témoigne-t-il, soulignant que cette vision négative influe sur les décisions qui peuvent être prises. « Tant que des mots comme mordant, ring ou encore attaque seront véhiculés, cette vision persistera. Si la cynotechnie veut communiquer intelligemment, il faut qu’elle parvienne à substituer ces termes par d’autres dans l’esprit du grand public », estime notre confrère Dominique Grandjean.

« Le chien dit dangereux est un vrai phénomène d’opinion, estime Jean-Luc Vuillemenot. Mais n’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? » En effet, la focalisation observée autour de ces chiens depuis une dizaine d’années masque d’autres enjeux de société. Il convient aujourd’hui de s’interroger plus largement sur la possession d’un chien, sur sa place au sein de la cellule familiale, voire de la société. Car le chien « fait société », selon l’expression du vice-président de la communauté urbaine de Lyon. Il est aussi prétexte à des débats qui déchaînent les passions, où les liens se nouent et les oppositions se révèlent. « Il s’inscrit dans le processus de la démocratie participative », explique Jean-Luc Vuillemenot, notamment dans le cadre de la mise en place des PLU (plans locaux d’urbanisme). Ces derniers nécessitent en effet que chaque élu réfléchisse, avec ses concitoyens, à l’aménagement de la vie en espace urbain, donc à la présence animale. Aujourd’hui, les chiens sont donc souvent au cœur des discussions lors des séances municipales, mais aussi au centre des relations de voisinage. Il peut créer des liens, mais aussi attiser les haines.

L’absence de données chiffrées constitue aujourd’hui un écueil majeur

L’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les intervenants est l’absence de données chiffrées concernant les morsures et les chiens dits dangereux au niveau national, pourtant nécessaires pour étayer les discussions.

Les décideurs, dont certains font en outre preuve d’une incapacité à anticiper, manquent donc d’éléments tangibles sur lesquels s’appuyer.

A cela s’ajoute un phénomène d’image. « Il existe un problème entre la communication et l’information », estime le secrétaire général de l’Afirac. L’information relative aux morsures telle qu’elle est transmise par les médias n’est ni construite ni hiérarchisée. « Le jour où se produit un accident, nous sommes au courant minute par minute de ce que chacun dit. Mais il s’agit toujours de la même information ressassée sans cesse, sans commentaires ni analyses ! » Pourtant, il conviendrait que chacun s’arrête un moment pour réfléchir, car « le chien est révélateur de nombreux malaises de notre société », souligne Jean-Luc Vuillemenot.

Toutes les personnes évoluant dans l’environnement de l’animal de compagnie mettent donc en avant la nécessité d’une communication positive, d’une valorisation des bonnes conduites pour contrebalancer l’effet négatif de ce phénomène qui « s’est inscrit dans l’attente sécuritaire [des citoyens] ». En effet, le projecteur braqué sur ces animaux « a incontestablement augmenté la visibilité des marginaux ».

L’image prévaut dans la fabrication de l’opinion

Aujourd’hui, la première attente des usagers de la ville est la propreté (dont fait partie la gestion des défections canines), devant la sécurité. Le risque est donc que les nuisances et les contraintes engendrées par l’animal soient vues à travers le prisme grossissant de l’opinion, conduisant les politiques à adopter des positions trop tranchées, notamment lorsque « se profilent à l’horizon quelques échéances électorales ! », souligne Jean-Luc Vuillemenot. Certains élus se sont toutefois volontairement détachés de cette vision pour adopter une véritable démarche d’intégration de l’animal dans la cité (à Grenoble par exemple) en mettant en place une communication et des outils destinés aux propriétaires de chiens et aux non-propriétaires, afin que tous puissent vivre en bonne intelligence.

Sans cette démarche volontaire, le phénomène d’opinion sur les chiens dits dangereux que nous observons actuellement pourrait nuir « à l’image globale du chien dans notre société », estime Luc Vuillemenot, car il « empêche de relativiser, de pondérer les informations et de voir clair ». « Il a masqué la présence positive des chiens et la responsabilité de certains propriétaires », ajoute le secrétaire général de l’Afirac. Résultat : le chien dangereux fait aujourd’hui partie de tous les mouvements de “démocratie d’opinion”, à l’origine de la montée des haines et du « y a qu’à, faut qu’on » !

Au-delà du chien, le propriétaire

« Durant toute ma carrière, j’ai vu deux chiens pour lesquels j’ai demandé l’euthanasie, témoigne notre consœur Monique Bourdin (ci-dessous), chargée de consultation de comportement à l’école vétérinaire d’Alfort. Il s’agissait d’animaux qui avaient été éduqués clandestinement au mordant. L’éducation s’est arrêtée et l’accident s’est produit. » A l’occasion du séminaire de la SFC, notre consœur a par ailleurs souligné que la dangerosité des chiens au sein d’une famille dépend des personnes qui s’en occupent. « Il convient donc d’effectuer un examen sémiologique extrêmement rigoureux. » En outre, un chien particulièrement peureux (ce qui s’observe notamment chez les animaux issus de trafics) peut devenir dangereux. « Cela peut donner lieu aux morsures les plus violentes », souligne Monique Bourdin, qui évoque également les animaux qui instrumentalisent la morsure. La problématique n’est donc pas le chien en lui-même, mais la gestion qui peut en être faite par ses propriétaires ou ceux qui en ont la garde. Valérie Dramard, vétérinaire comportementaliste, souligne également la nécessité d’une approche systémique de l’animal, certaines maladies pouvant majorer l’agressivité.

M. N.
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