LE BIOTERRORISME N’EST PAS UNE MENACE SANS RÉPONSE - La Semaine Vétérinaire n° 1253 du 20/01/2007
La Semaine Vétérinaire n° 1253 du 20/01/2007

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Auteur(s) : Nathalie Devos

80 % des agents pathogènes susceptibles d’être utilisés à des fins de bioterrorisme à visée humaine sont zoonotiques, d’où l’importance, partout dans le monde, de la surveillance des maladies animales. Les vétérinaires sont donc des acteurs de première ligne. Toutefois, leur sensibilisation au bioterrorisme n’est pas optimale. Certains experts préconisent par ailleurs une plus ample communication sur ce type de risque lié à des agents biologiques.

Même si l’éventualité d’une guerre biologique répugne depuis longtemps la conscience de l’humanité, des êtres humains fabriquent et utilisent des armes biologiques depuis près de trois mille ans. Au début, la guerre biologique consistait surtout à lancer des carcasses d’animaux à l’intérieur des fortifications ennemies, à contaminer les puits et à utiliser des armes empoisonnées. Au cours du siècle dernier, des progrès considérables ont été enregistrés en ce qui concerne la mise au point d’armes biologiques et la conception de vecteurs efficaces. Durant les dernières années, plusieurs groupes terroristes et individus ont employé – ou tenté d’utiliser – des armes biologiques. Par exemple, en 1984, des membres de la secte religieuse Rajneesh, établie en Oregon, ont infecté les buffets de salades de plusieurs restaurants à l’aide de Salmonella Typhimurium, intoxiquant et rendant malades sept cent cinquante et une personnes. Entre 1990 et 1995, la secte japonaise Aum Shinrikyo a essayé vainement, à plusieurs reprises, de répandre des agents biologiques sous forme d’aérosols. Plus récemment, à la fin de l’année 2001 aux Etats-Unis, des terroristes ont délibérément propagé la maladie du charbon au moyen de lettres contaminées, tuant cinq personnes et incitant les médecins à prescrire une antibiothérapie à trente mille individus.

Le bioterrorisme peut aussi toucher le règne animal

Il est important de rappeler que 80 % des agents pathogènes susceptibles d’être utilisés à des fins de bioterrorisme à visée humaine sont zoonotiques, d’où l’importance de la surveillance et du contrôle des maladies animales partout dans le monde (voir encadré en page 32). Il peut s’agir, par exemple, de la brucellose ou de la tularémie. Le bioterrorisme peut également frapper le règne animal. Celui-ci est en effet exposé au risque d’infection intentionnelle par des agents biologiques (peste porcine classique, fièvre aphteuse, charbon, etc.). Une fois encore, dans le passé, des exemples comme l’inoculation du bacille de la morve aux chevaux des troupes alliées par les Allemands lors de la Première Guerre mondiale, ainsi que l’empoisonnement de bovins par le bacille du charbon, également par les Allemands, l’ont illustré.

Une attaque biologique à visée uniquement animale lancée contre le secteur agricole d’un pays peut aussi avoir d’énormes conséquences économiques et perturber gravement son approvisionnement alimentaire. L’épidémie de fièvre aphteuse qui a touché l’Europe en 2001, bien que non intentionnelle, a rappelé l’impact considérable de la propagation de cette maladie chez les animaux. Ainsi, les coûts directs et indirects de cette épizootie en Grande-Bretagne ont été estimés à environ 9 204 millions de dollars. Ceux induits par l’épizootie de peste porcine classique de 1997/1998 aux Pays-Bas ont atteint 2 340 millions de dollars. Ces coûts sont dus à des épizooties “accidentelles” ; ceux d’épizooties intentionnelles pourraient se révéler bien plus élevés.

Le risque bioterroriste est pris en compte depuis le Protocole de Genève, adopté en 1925

Après avoir été confronté aux horreurs des armes conventionnelles et chimiques durant la Première Guerre mondiale, le monde a eu un avant-goût des effets catastrophiques d’une “attaque” de type biologique avec la pandémie du virus grippal survenue au printemps 1918 (dont les causes étaient toutefois non intentionnelles). Baptisée « grippe espagnole », l’épidémie a fait plus de vingt millions de victimes dans le monde durant cette seule année. Par comparaison, la guerre avait tué de dix à treize millions de soldats et environ huit millions de civils. La puissance potentielle d’une guerre bactériologique révélée par l’impact du virus grippal a tellement impressionné les populations et les leaders politiques de l’époque que les dispositions concernant l’interdiction des armes chimiques, adoptées dans le Protocole de Genève en 1925, ont été étendues aux agents biologiques. Toutefois, le Protocole n’a pas interdit la mise au point ou le déploiement des armes bactériologiques. De plus, de nombreux signataires, notamment le Canada, ont alors émis des réserves, affirmant qu’ils conserveraient le droit d’utiliser des armes biologiques si de tels moyens étaient mis en œuvre contre eux (le Canada a retiré officiellement cette réserve du Protocole de Genève en 1991). En avril 1972, quatre-vingts Etats (dont le Canada) ont signé la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou des armes à toxines non destinées à des fins prophylactiques de protection ou à d’autres fins pacifiques, également appelée Convention sur les armes biologiques et à toxines (CABT). A l’heure actuelle, cent quarante-cinq Etats sont signataires de cette Convention, qui est entrée en vigueur en 1975. Au niveau international, « l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) s’est engagée à prendre une part active à la lutte contre le bioterrorisme dans la mesure où son activité relève des objectifs de la Convention sur les armes biologiques et toxiques dans le domaine de la prévention et du contrôle d’événements zoosanitaires, qu’ils soient d’origine naturelle ou intentionnelle », a indiqué Gideon Bruckner, chef du service scientifique et technique de l’OIE, lors de la 6e conférence de la Convention qui s’est tenue à Genève du 20 novembre au 8 décembre dernier.

La sensibilisation et la formation au bioterrorisme ne sont pas encore optimales

Pourtant, cette apparente prise de conscience du risque bioterroriste ne semble pas encore optimale, même chez les principaux acteurs de sa prévention. Ainsi, une thèse vétérinaire(1) présentant les résultats d’une enquête menée auprès d’un échantillon représentatif de trois cent soixante-dix responsables de la profession vétérinaire en 2003 révèle que « si la sensibilisation de celle-ci est qualifiée de satisfaisante (58 % se sont documentés depuis les récents attentats bioterroristes), elle reste encore trop superficielle ». L’auteur souligne « qu’une extension du mandat sanitaire à la prise en compte du risque biologique tant accidentel qu’intentionnel est jugée souhaitable par les sondés, avec un score de 77 sur 100 » (voir aussi graphique en page 31). La sensibilisation et la formation des médecins au risque bioterroriste avait également été soulevée par Pierre Lang, alors député UMP de Moselle, auteur d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale sur le bioterrorisme en 2003(2). « En l’absence de sensibilisation au bioterrorisme, le premier diagnostic pourrait amener un médecin généraliste à assimiler un cas de variole à une varicelle grave. » Pierre Lang préconisait par ailleurs une véritable communication de « précrise » au lieu d’une culture du secret. « Une population bien informée et une communication adaptée lors d’un attentat bioterroriste ne sauraient être efficaces sans cette politique de communication de précrise, insistait-il. Le silence des responsables politiques ou la minimisation du risque ne manquerait pas de contribuer à l’affolement des populations en faisant le jeu des terroristes. » « Le public doit être tenu informé des risques de catastrophes biologiques d’origine animale et de la nécessité de contrer ces menaces par une réponse appropriée », déclare aussi notre confrère Bernard Vallat, directeur général de l’OIE, dans la préface d’un récent ouvrage consacré à ce sujet(3). « Il est impossible d’organiser la prévention d’un danger sans le penser ou l’imaginer. » Et notre confrère d’ajouter : « Face à des situations de crise liées à des foyers de maladie, nous ne pouvons nous permettre aucune défaillance technique. C’est pourquoi, afin de lutter contre le bioterrorisme, il est primordial d’insister sur la conformité aux normes de l’OIE et sur le renforcement des capacités, parallèlement à l’amélioration de la qualité des services vétérinaires partout dans le monde. » En effet, durant les dernières années, l’OIE a mis l’accent sur l’importance des services vétérinaires et s’est engagé pour qu’ils soient reconnus comme « bien public international ».

  • (1) Maxime Thill : « Risque biologique provoqué, santé animale et santé publique vétérinaire : synthèse bibliographique et enquête sur la sensibilisation et l’implication de la profession vétérinaire », thèse de doctorat vétérinaire, soutenue le 9/10/2003.

  • (2) www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i1097.asp.

  • (3) « Biological disasters of animal origine. The role and preparedness of veterinary and public health services », Revue scientifique et technique de l’OIE, 2006, vol. 25, n° 1.

Surveillance mondiale des maladies animales

A l’heure de la mondialisation, le contrôle efficace des foyers de maladies animales, sources d’agents zoonotiques à visée bioterroriste éventuelle, nécessite des outils puissants de gestion des crises. Pendant les années 1990, des progiciels destinés à divers secteurs de l’administration et de l’agriculture ont commencé à voir le jour. Outre les systèmes de surveillance nationaux, l’Union européenne a mis en œuvre, en 2004, une application spéciale pour suivre le déplacement des animaux et de leurs produits, le Trade Control and Expert System (TRACES : système de contrôle du commerce et de l’expertise), sur la base de son prédécesseur, le projet Animal Movement (ANIMO).

Au niveau mondial, l’OIE a récemment élaboré le système Wahis, une application qui permet à ses pays membres de traiter leurs données concernant les maladies animales directement via l’Internet plutôt que d’utiliser des formulaires papier, ce qui permet d’avoir un accès aux informations en temps réel. De son côté, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dispose d’un logiciel d’information sur les maladies transfrontalières des animaux (le TADinfo). OIE et FAO collaborent étroitement. Elles ont développé des programmes communs de surveillance des maladies animales dans le monde entier comme le GF-TADs (Global Framework for Progressive Control of Transboundary Animal Diseases). En outre, les deux organisations travaillent également avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le volet des zoonoses. Cette collaboration a donné naissance à Glews, système mondial d’alerte rapide pour les maladies animales transmissibles à l’homme, lancé en juillet dernier.

N. D.
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