LE PRATICIEN EST COUVERT CONTRE L’ACCIDENT « HORS AMM » - La Semaine Vétérinaire n° 1250 du 23/12/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1250 du 23/12/2006

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Auteur(s) : Eric Vandaële

L’accident ou l’aléa thérapeutique est le premier risque lié au « hors AMM ». Dans ce cas, le vétérinaire peut être « présumé fautif ». Il lui revient donc d’apporter la preuve que cet usage respecte « les données actuelles de la science ». C’est le renversement de la charge de la preuve.

L’emploi d’un médicament « hors AMM » conduit à se poser trois types de questions différents : cet emploi est-il interdit par une loi ou un règlement ? ; représente-t-il un risque supplémentaire pour la santé animale, pour son utilisateur, voire pour la santé publique ? Et, si cet emploi représente un risque, dans quelle mesure peut-il être réduit, notamment dans les productions animales ? ; est-il éthiquement acceptable d’utiliser des médicaments « hors AMM » ? En d’autres termes, est-il bien ou mal de prescrire ce médicament « hors AMM » ?

Ces trois interrogations aboutissent à la mise en cause de trois responsabilités : la responsabilité pénale devant les lois et les règlements (Code de la santé publique et Code rural), la responsabilité civile professionnelle et la responsabilité éthique ou déontologique devant le Conseil supérieur ou les conseils régionaux de l’Ordre qui pourraient être saisis de telles affaires sur le plan éthique (voir tableau en page 28).

Seul l’usage « hors AMM » des anabolisants est sévèrement réprimé

Les réponses à ces trois questions peuvent être divergentes. Par exemple, l’usage du clenbutérol est autorisé chez les chevaux de sport comme bronchodilatateur (Ventipulmin®). De nombreuses données démontrent un bénéfice clinique évident lors de son emploi à des doses thérapeutiques chez le veau dyspnéique, pour un risque proche de zéro pour l’animal traité, comme pour l’utilisateur. Aucun autre médicament n’apporte un tel soulagement au veau. Néanmoins, les consommateurs, puis les politiques ont, de longue date, souhaité interdire l’usage des substances bêta-agonistes chez les animaux de rente, même chez les nouveau-nés. De peur que ces médicaments, particulièrement efficaces pour améliorer la croissance des animaux de boucherie, soient utilisés comme des anabolisants, ils en ont prohibé l’usage à deux exceptions près : chez les vaches comme tocolytique, ainsi que chez les chevaux exclus de la consommation humaine et les animaux de compagnie comme bronchodilatateur et tocolytique. Tous les autres usages sont interdits, même « sous la responsabilité du vétérinaire ». En outre, l’infraction, même si elle est difficilement décelable en l’absence de “traces” et d’ordonnance, est à la fois recherchée par les services d’inspection vétérinaire et sévèrement sanctionnée : jusqu’à 37 500 € d’amende et une peine de deux ans de prison, sans compter la fermeture éventuelle de l’établissement, l’interdiction d’exercice, etc.

Le bénéfice clinique évident de voir un veau dyspnéique sauvé par le clenbutérol n’est donc pas suffisant pour prendre le risque pénal, pour soi et pour l’éleveur, d’être aussi sévèrement sanctionné par les tribunaux et par l’opinion. Toutefois, les anabolisants au sens large, y compris les œstrogènes, les progestagènes, les androgènes, les bêta-agonistes, etc., sont les seules substances qui sont autant prohibées et font l’objet d’autant de recherches.

Le risque pénal par rapport au dispositif de la cascade est nul

Le dispositif dit de « la cascade » impose un ordre légal de prescription en choisissant « en priorité » le médicament vétérinaire « approprié et disponible » dont l’AMM valide à la fois l’espèce et l’indication, puis celui dont l’AMM valide soit l’espèce, soit l’indication. Le choix devrait théoriquement se porter ensuite sur un médicament avec une AMM vétérinaire, mais indiqué ni dans l’espèce ni dans l’indication. Le recours à une spécialité humaine est possible lorsque aucun médicament disposant d’une AMM vétérinaire n’est approprié. A ce stade, il est aussi théoriquement possible que le propriétaire des animaux bénéficie, en son nom propre, d’une autorisation d’importation d’un médicament vétérinaire autorisé en Europe.

C’est alors au vétérinaire d’introduire une telle demande auprès de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Afssa-ANMV). En dernier lieu, le recours à une préparation extemporanée sans AMM est envisageable.

Cette cascade « de prescription » correspond à une démarche éthique incontestable. Elle a fait couler beaucoup d’encre tant les interprétations peuvent diverger sur les notions de médicaments « appropriés » à utiliser « en priorité » – en particulier sur la prise en considération ou non du critère économique. En outre, les libellés d’AMM, trop flous et trop larges pour les médicaments anciens, excessivement prudents et restrictifs pour les médicaments nouveaux, ne correspondent pas toujours – parfois loin s’en faut – aux « données actuelles de la science » que le vétérinaire doit s’efforcer de respecter. D’ailleurs, en 2002, Jean Glavany et Bernard Kouchner, alors respectivement ministre de l’Agriculture et ministre de la Santé, avaient indiqué aux vétérinaires que ce dispositif devait être simplement considéré comme une « aide à la décision et à la justification du choix de la prescription ». Plus tard, en décembre 2003, le gouvernement a retiré les sanctions pénales lourdes (jusqu’à 30 000 € d’amende et deux ans prison) qui pesaient jusqu’alors sur les praticiens en cas d’infraction au dispositif “schizophrénique” de la cascade.

Ce dernier n’est donc désormais plus qu’une simple ligne directrice éthique dont chaque vétérinaire peut avoir sa propre interprétation, éventuellement divergente de celle de l’administration… sans risquer d’être sanctionné.

Une faute par ignorance, voire une faute inexcusable…

Néanmoins, la prescription « hors AMM » n’est pas sans risque. Non pour le vétérinaire, mais pour l’animal… Le premier risque est celui d’être, par une faute, à l’origine d’un dommage.

Par exemple, l’usage « hors AMM » de l’amoxicilline chez le lapin, qu’il soit de chair ou de compagnie, n’est pas interdit par la réglementation. Cet antibiotique risque d’être à l’origine d’entérocolite mortelle dans cette espèce. Un vétérinaire ne peut pas l’ignorer. S’il le prescrit chez le lapin, il commet donc une faute. Qu’il s’agisse d’une faute par imprudence, négligence ou ignorance, d’une faute lourde ou inexcusable, la responsabilité civile professionnelle du vétérinaire est alors engagée dans une telle affaire, et non sa responsabilité pénale. Le praticien ne risque aucune amende ou peine de prison. Il doit seulement réparer, c’est-à-dire rembourser le dommage qu’il a créé par sa faute, le lien de causalité entre l’un et l’autre pouvant, dans un tel cas, être facilement établi.

Comme nul professionnel n’est à l’abri d’une faute, le vétérinaire a désormais l’obligation déontologique de contracter une assurance en responsabilité civile professionnelle adaptée à l’activité exercée (article R. 242-48 du Code rural). Il revient donc à l’assurance du vétérinaire de rembourser la victime du dommage. Pour cela, elle désignera souvent un expert pour évaluer à la fois la faute, le lien de causalité avec le dommage et le montant du dommage.

Le cas de l’amoxicilline chez le lapin est évidemment caricatural. Dans le cas général, le vétérinaire qui prescrit « hors AMM » s’efforce évidemment de le faire dans le cadre implicite de son « obligation de soins, non pas quelconques, mais consciencieux, attentifs, conformes aux données actuelles de la science ».

« Hors AMM », le vétérinaire peut être présumé fautif en cas de dommage

Dans ce cadre, la responsabilité civile du vétérinaire n’est mise en cause qu’en cas de dommage, c’est-à-dire un accident, voire une mortalité. En l’absence de dommage, un traitement « hors AMM », surtout s’il est à la fois efficace et sûr, ne peut évidemment donner lieu à aucune réparation au civil. En revanche, en cas de dommage, il revient normalement à la victime, ou à l’expert qui la représente, d’apporter la preuve de la faute et de son lien de causalité avec le dommage. Mais si le traitement est prescrit « hors AMM », le vétérinaire peut, sans doute, être d’emblée « présumé fautif ». Ce sera donc à lui d’apporter, pour sa défense, la preuve que le traitement « hors AMM » correspond bien « aux données actuelles de la science ». Pour cela, il peut donc s’appuyer sur sa propre expérience (les cas déjà traités sans problème), sur celle de ses confrères et, surtout, sur l’ensemble de la littérature, les études publiées, les indications « AMM » dans les autres pays, etc.

Pour un usage « hors AMM », le vétérinaire « non fautif » ou son expert devront rechercher et apporter les preuves de l’absence de faute, alors que la simple notice du produit ou le Dictionnaire des médicaments vétérinaires (DMV) auraient pu suffire pour un usage « dans l’AMM ». C’est donc bien un renversement de la charge de la preuve.

La plupart du temps, les vétérinaires ne jouent pas les apprentis sorciers. Ils n’utilisent pas des médicaments « hors AMM » sans avoir analysé, au préalable, le rapport bénéfice/risque, même si cet usage ne respecte pas toujours strictement le dispositif légal de la cascade. Les mises en cause de confrères sont donc, au final, assez rares pour les usages « hors AMM ».

En outre, le vétérinaire n’est pas responsable des accidents thérapeutiques imprévisibles, les « aléas thérapeutiques », qu’ils apparaissent dans le cadre ou hors du cadre de l’AMM.

Pas de cascade en humaine

Il n’existe pas, en thérapeutique « humaine », de dispositif équivalent à la cascade vétérinaire, qui interdirait aux médecins de prescrire « hors AMM » une spécialité humaine. Toutefois, par le biais du remboursement et du Code de la sécurité sociale, l’assurance maladie peut ne pas rembourser l’usage « hors AMM » des spécialités humaines. Ce dispositif incitatif est surtout appliqué dans le cas particulier des médicaments qui présentent un coût particulièrement élevé : les médicaments dits « d’exception » (qui doivent être prescrits selon des modalités précises pour permettre leur prise en charge).

De même, les préparations extemporanées sont exclues du remboursement si elles sont « une alternative à une spécialité pharmaceutique » (avec AMM).

E.
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