La douleur due aux brûlures exige plus que la monothérapie - La Semaine Vétérinaire n° 1246 du 25/11/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1246 du 25/11/2006

Cas clinique

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Gwenola Touzot-Jourde

A la suite d’une brûlure thermique cutanée extensive chez un chien, un débridement chirurgical est effectué. Le traitement de la douleur, intense, est essentiel.

Un chien carlin mâle castré âgé de quatre ans est présenté en urgence pour un coup de chaleur. Il a été retrouvé inconscient en décubitus latéral sur le ciment du chenil où il avait été laissé en pension. La gestion du coup de chaleur comprend la correction progressive de l’hyperthermie par un refroidissement corporel, le traitement du choc par une fluidothérapie agressive et le traitement d’une coagulation intravasculaire disséminée par une transfusion de plasma frais congelé. Après quatre jours de traitement et de surveillance, il rentre chez lui. Lors de la visite de contrôle, cinq jours plus tard, la propriétaire ramène un chien anorexique, apathique et qui semble avoir mal. La peau du côté droit est indurée, suintante en plusieurs points et présente une ligne franche de démarcation entre la partie saine et celle qui est abîmée (voir photo 1). Il s’agit d’une brûlure thermique extensive atteignant tout le côté droit du chien, probablement à la suite de son décubitus prolongé sur le sol trop chaud. La dévitalisation progressive de la peau brûlée est surveillée quotidiennement. En attendant le débridement chirurgical, l’animal reçoit de la morphine (à la dose de 2 mg/kg per os trois fois par jour) et de la céphalexine (60 mg/kg trois fois par jour).

Le débridement chirurgical montre de multiples foyers de nécrose

La peau morte est ainsi retirée dix jours plus tard. Une prémédication d’atropine (0,02 mg/kg) et de morphine (0,5 mg/kg) est administrée par voie sous-cutanée quarante minutes avant l’induction au propofol (3 mg/kg en intraveineuse) et au diazépam (0,2 mg/kg en intraveineuse). L’anesthésie est maintenue avec de l’isoflurane. Un protocole d’analgésie peropératoire est instauré pour prévenir la douleur peropératoire et postopératoire (voir encadré ci-contre). Une perfusion de kétamine à faible dose (20 µg/kg/min) et de lidocaïne (50 µg/kg/min) est choisie pour limiter la sensibilisation de la moelle épinière à la douleur et diminuer ainsi le besoin en analgésiques après l’opération (voir encadré en page 31). Une plaie béante de 20 x 30 cm est créée (voir photo 2). Des points d’ancrage sont placés afin d’y attacher le pansement. Celui-ci est changé quotidiennement et la plaie est irriguée jusqu’à l’obtention d’un beau tissu de granulation.

Parallèlement, les points d’ancrage cutané sont mis en tension afin d’étirer la peau saine. La fermeture de la plaie par première intention est privilégiée pour diminuer la durée totale des soins. La morphine injectable et la kétamine en perfusion (2 µg/kg/min) continuent d’être administrées jusqu’au lendemain matin. Les antibiotiques sont poursuivis et de la morphine per os est administrée dès l’arrêt de la forme injectable. Un anti-inflammatoire (carprofène à 2 mg/kg deux fois par jour) et de la gabapentine (6 mg/kg trois fois par jour, voir encadré ci-dessous) sont ajoutés au traitement postopératoire dès que le chien est en mesure de déglutir. Des bandes Velcro suturées à la peau et placées quelques jours plus tard permettent d’étirer la peau plus rapidement (voir photo 3).

Les changements douloureux de pansement nécessitent une anesthésie générale

A la suite d’un essai de soin de la plaie avec un protocole de neuroleptanalgésie (association d’un tranquillisant et d’un analgésique, acépromazine et morphine), jugée insuffisante, une anesthésie générale d’une durée de dix à vingt minutes est pratiquée. Après un bolus intraveineux de fentanyl (10 µg/kg) et de kétamine (1 mg/kg), une dose subanesthésique de propofol (bolus intraveineux de 1 à 2 mg/kg) est administrée. Le chien est ainsi anesthésié tous les jours, pendant sept jours, avec ce même protocole. Le réveil se fait à chaque fois dans le calme et une diminution du stress est palpable jour après jour.

Dix jours après le débridement chirurgical, le tissu de granulation est sain (voir photo 4). La peau autour s’est bien étirée. La plaie est alors fermée chirurgicalement. Le traitement de morphine, de carprofène et de gabapentine n’a pas été interrompu. L’examen sanguin montre un leucogramme inflammatoire, une anémie régénérative et des albumines plasmatiques diminuées.

Douleur et hypotension constituent les deux complications majeures de l’intervention

La plaie étant découverte et saignant abondamment durant les deux à trois heures d’anesthésie, les pertes de protéines et d’eau peuvent entraîner une hypovolémie. Celle-ci est prévenue par l’administration d’une solution crystalloïde. Le but du protocole anesthésique est d’apporter un maximum d’analgésie avec un minimum de dépression cardio-vasculaire. Du fentanyl (10 µg/kg) puis du diazépam (0,2 mg/kg) sont administrés par voie intraveineuse cinq minutes avant la kétamine (3 mg/kg) titrée progressivement jusqu’à une relaxation suffisante. Une fois le chien intubé, le maintien de l’anesthésie combine isoflurane et molécules analgésiques. Ces dernières diminuent le besoin en agent volatil et, par conséquent, la dépression cardio-vaculaire associée. Le chien reçoit une perfusion de fentanyl (20 µg/kg/h), de kétamine (20 µg/kg/min) et de lidocaïne (50 µg/kg/min) qui est poursuivie douze heures après le réveil (fentanyl, 1-2 µg/kg/h ; kétamine, 2 µg/kg/min ; lidocaïne, 20 µg/kg/min).

Les quantités d’analgésiques sont diminuées progressivement

La chirurgie est un succès, avec une fermeture totale de la plaie sans tension excessive. Un petit point de déhiscence apparaît trois jours plus tard. La plaie est belle, sans suintement. Le chien reprend une activité modérée avec le traitement suivant (voir photo 5) : céphalexine, tramadol et gabapentine (6 mg/kg trois fois par jour chacun), carprofène (2 mg/kg deux fois par jour). Les quantités d’analgésiques administrées sont diminuées progressivement pendant les quinze jours suivants (administration réduite à deux fois par jour puis élimination du tramadol). La gabapentine est arrêtée une semaine après le retrait des fils. Le carprofène est prolongé une semaine de plus. Tout traitement analgésique et antibiotique cesse trois semaines après l’intervention. Le chien a alors retrouvé son comportement habituel.

La douleur du brûlé

La douleur des plaies par brûlure fait partie des douleurs les plus intenses et les plus prolongées. Elle peut persister des semaines, voire des mois, sans diminuer avec le temps. Elle ne disparaît pas systématiquement lorsque la plaie est cicatrisée. Lors de la rééducation fonctionnelle de la zone, cette douleur peut être ravivée. Les lésions par brûlure thermique produisent une hyperalgésie persistante au niveau du site traumatisé (hyperalgésie primaire) qui s’étend sur une zone saine plus large en périphérie de la lésion (hyperalgésie secondaire). Ce processus met en jeu des mécanismes nociceptifs et inflammatoires périphériques, mais initie aussi des changements au niveau du système nerveux central qui facilitent les signaux afférents et créent un phénomène de douleur spontanée. Ces modifications du système nerveux central, dont l’initiation repose essentiellement sur l’activation des récepteurs N-méthyl-d-aspartate (NMDA), sont considérées comme partiellement responsables de la survenue d’une hyperexcitabilité de la moelle épinière et de la sensibilité réduite aux substances opiacées rencontrées dans les grandes douleurs des brûlés. De plus, les brûlures profondes peuvent provoquer des lésions nerveuses et entraîner une douleur neuropathique.

G. T.-J.

Le traitement de la douleur du brûlé

Il existe une grande variabilité intra-individuelle et inter-individuelle dans la perception de la douleur due aux brûlures. Le processus douloureux est multifactoriel et évolutif. Le traitement est difficile, à adapter à chaque individu et à réévaluer fréquemment. Une monothérapie est rarement satisfaisante. Le patient devient, par exemple, vite réfractaire aux opiacés utilisés seuls en première intention. L’approche thérapeutique doit reposer sur une association de molécules dont l’action se situe à différents niveaux du système nerveux périphérique et central. Le traitement combine un opiacé, un anti-inflammatoire non stéroïdien, associés ou non à un antagoniste des récepteurs NMDA. Un traitement de fond combiné à une thérapie ponctuelle, lors de crise aiguë, sont nécessaires. Les opiacés tels que la morphine ou la buprénorphine (morphine : 0,2 à 0,5 mg/kg trois à quatre fois par jour en IM ou SC, 0,5 à 3 mg/kg deux à quatre fois par jour suivant la formulation à libération prolongée ou non, buprénorphine : 10 à 20 µg/kg IM ou SC deux à trois fois par jour) sont utilisés pour le traitement de fond. Le fentanyl (2 à 10 µg/kg, durée d’action de vingt minutes) peut être employé en cas d’épisode aigu. Parmi les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les molécules qui ont le moins d’effet possible sur l’activité plaquettaire sont recherchées. Le carprofène ou le méloxicam (anti-COX2) sont ainsi privilégiés. Les antagonistes du récepteur NMDA comme le dextrométorphan (0,5 à 2 mg/kg trois à quatre fois par jour), l’amantadine (3 à 5 mg/kg une fois par jour) et la kétamine (2 à 20 µg/kg/min, quelques heures à quelques jours pendant l’hospitalisation) sont utiles. La kétamine est cependant à réserver au traitement aigu par voie systémique. Le tramadol (Topalgic®, 2 à 10 mg/kg deux à quatre fois par jour) est une molécule intéressante, car elle combine un effet agoniste partiel du récepteur opiacé µ et un effet antagoniste au niveau des récepteurs NMDA. D’autres molécules, comme la gabapentine (Neurontin®, 1 à 10 mg/kg 2 à 4 fois par jour), médicament anti-épileptique dont les mécanismes d’action ne sont pas encore bien élucidés, ont prouvé leur efficacité sur les douleurs chroniques et apportent une aide précieuse face à un échec thérapeutique.

G. T.-J.
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