En matière d’antibiothérapie, le XXIe siècle sera écologique ou ne sera pas - La Semaine Vétérinaire n° 1232 du 30/06/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1232 du 30/06/2006

Antibiorésistance dans la population humaine

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Catherine Bertin-Cavarait

L’antibiorésistance naît au sein des flores bactériennes commensales. Enjeu stratégique depuis plusieurs années, la maîtrise de cette émergence passe par le choix des antibiotiques et la diminution de leur consommation.

Chez l’homme, une augmentation de l’antibiorésistance est observée pour certaines familles d’antibiotiques. C’est avec l’étude canadienne démontrant la hausse de la résistance du pneumocoque humain aux fluoroquinolones entre 1988 et 1998, alors qu’elles n’avaient jamais été utilisées pour traiter les infections respiratoires, qu’Antoine Andremont, directeur du laboratoire de bactériologie du groupe hospitalier Bichat-Claude Bernard, a introduit son exposé, « usage des antibiotiques et apparition de l’antibiorésistance », lors de la dernière édition de la Journée bovine nantaise. Néanmoins, durant cette même période, « une importante consommation de fluoroquinolones destinées à traiter les infections urinaires était enregistrée, a-t-il précisé. L’impact des antibiotiques sur l’antibiorésistance des flores commensales permet de comprendre ce phénomène ».

Par ailleurs, en Europe, la résistance d’Escherichia coli aux fluoroquinolones (souches 7215 et 7216) chez l’homme est passée, en moyenne, de 9 à 14 % entre 2001 et 2004(1) (voir carte).

Les bactéries deviennent résistantes grâce à la plasticité de leur génome

Simultanément au tarissement de la découverte de nouveaux antibiotiques, l’explosion des résistances bactériennes est inquiétante. Par exemple, la résistance d’Escherichia coli enregistrée au laboratoire Bichat-Claude Bernard n’a cessé de croître entre 1991 et 2001. Une augmentation constante de la résistance aux aminopénicillines est observée. En 2001, plus de la moitié des souches d’E. coli isolées chez l’homme sont résistantes à l’amoxicilline. Quant aux fluoroquinolones : 4 % des souches humaines étaient résistantes à la ciprofloxacine en 1996, 8 % en 2000 et 11 % en 2001.

Aussi, pour Antoine Andremont, comprendre la remarquable adaptabilité des bactéries et l’impact de la pression de sélection par les antibiotiques est essentiel au raisonnement de moyens d’action et de leur pertinence. Mille fois plus anciennes que les hommes, les bactéries ont largement eu le temps d’imaginer des solutions pour s’adapter aux pressions de sélection environnementales. A ce titre, la plasticité de leur génome joue un rôle central, par le biais de mutations et d’acquisition de nouveaux gènes. Fréquentes, les premières représentent un système d’adaptabilité simple, rapide et rustique. Dans ce cas de figure, la transmission de la modification génomique est uniquement verticale. L’acquisition de “nouveaux” gènes, rare, longue, est un processus complexe, mais particulièrement efficace lorsqu’il est au point. Le transfert de la modification génomique est alors vertical et horizontal.

Actuellement, les bactéries sont non seulement plus résistantes qu’elles ne l’étaient avant la découverte de la pénicilline, mais elles peuvent transférer leur résistance aux bactéries pathogènes.

La consommation d’antibiotiques, un facteur majeur de l’apparition de l’antibiorésistance

La mise en parallèle de l’augmentation de la résistance du pneumocoque aux macrolides avec les consommations enregistrées chez l’homme dans les pays européens (Europe des quinze) est frappante. La même relation est observée pour les β-lactamines. Au sein de l’Europe des quinze, c’est en France que la prescription d’antibiotiques, en médecine de ville, est la plus élevée, avec trente-sept doses journalières pour mille individus par jour, en 1997. Le pays figure également dans les premières place pour le secteur hospitalier.

La consommation totale d’antibiotiques est un facteur majeur de l’apparition de la résistance(2). Or elle s’accroît régulièrement. De 1981 à 1991, elle a augmenté de 3,7 % par an, et celle des β-lactamines de 10 %. Les données européennes, qui datent de 1997, montrent que le même tonnage d’antibiotiques est approximativement utilisé en médecines humaine (5 400 tonnes) et vétérinaire (5 093 tonnes).

Au niveau de la population bactérienne, l’effet des antibiotiques sur l’émergence de bactéries résistantes pathogènes est soit direct, par la sélection de bactéries résistantes au sein du foyer infectieux, soit indirect, via le transfert aux bactéries pathogènes de la résistance acquise par les flores commensales. Dans le premier cas, l’apparition de la mutation ne concerne qu’une seule espèce bactérienne et se produit uniquement chez des patients réellement infectés. Dans le second, lorsque la résistance émerge au sein de la flore commensale, plusieurs centaines d’espèces bactériennes sont concernées (1014). Les mécanismes de résistance, alors multiples, se retrouvent chez tous les sujets traités, homme ou animaux, qu’ils soient ou non infectés par des bactéries pathogènes au moment du traitement.

L’étude d’un écosystème particulier, le côlon, et notamment sa flore, stable et résistante aux colonisations, permet d’illustrer les différents effets d’une antibiothérapie sur la flore commensale. Il a été démontré, en 1982, que l’absorption de triméthoprime (TMP) par voie orale pendant quinze jours induit l’apparition d’E. coli fécaux résistants au TMP.

Echange de gènes de résistance dans le tube digestif et dissémination entre espèces

Le rôle positif de l’alimentation sur la concentration en entérobactéries résistantes dans la flore intestinale a été démontré en comparant la flore intestinale de volontaires ingérant une alimentation stérile versus une alimentation normale. « Nous éliminons régulièrement les bactéries résistantes que nous absorbons car, dans un milieu normal, elles sont désavantagées », a expliqué Antoine Andremont. Et même si elles peuvent transférer la résistance aux autres bactéries pendant le transit, ceci coûte tellement d’énergie aux bactéries qui la reçoivent qu’elles sont défavorisées et éliminées facilement. En revanche, un traitement antibiotique joue en leur faveur, indépendamment de sa pertinence. Favorisées, les bactéries résistantes prennent alors le dessus sur les cellules sensibles qui sont progressivement éliminées.

L’acquisition de la résistance in vivo par les bactéries entéropathogènes a été démontrée tant dans l’espèce humaine que chez les espèces animales : acquisition de résistance par Shigella depuis Escherichia coli chez l’homme (1994), par Escherichia coli O157 : H7 depuis Escherichia coli commensal dans le rumen de veaux (2002), par Salmonella Arizonae depuis Escherichia coli chez des dindes (1986), par Salmonella Typhymurium depuis Escherichia coli chez des veaux (1992).

Les bactéries peuvent disséminer entre espèces hôtes. En ex-Allemagne de l’Est, une expérience historique d’introduction chez les porcs d’un nouvel antibiotique, la streptothrycine, comme facteur de croissance a entraîné l’émergence de souches bactériennes porteuses d’un gène de résistance à cet antibiotique. Ces souches ont été retrouvées dans tout l’élevage au bout de six mois, puis chez les éleveurs, puis dans leur famille, puis dans le village, avec un portage par 16 à 18 % des habitants pendant deux ans. Et cela sans pression de sélection particulière, puisque l’antibiotique, non utilisé en médecine humaine, ne conférait pas de résistance croisée avec les antibiotiques employés. Dans le même temps, 1 % des souches bactériennes responsables d’infections urinaires étaient devenues résistantes. En revanche, rien n’a été observé dans les autres villages.

La pertinence du choix de l’antibiotique ne se résume pas à la sensibilité de la souche

Les observations consécutives à l’arrêt de l’utilisation de l’avoparcine laissent penser que l’acquisition de la résistance pourrait être réversible. A la suite de l’interdiction de l’avoparcine survenue en 1995 au Danemark et en Norvège, en janvier 1996 en Allemagne et en avril 1997 dans l’Union européenne, la prévalence du portage des entérocoques résistants aux glycopeptides chez les habitants de Saxe est passée de 12 % en 1994 à 6 % en 1996 et 3 % en 1997.

Peu de travaux existent quant au choix des protocoles relatifs à l’antibiothérapie. Néanmoins, une expérience menée dans un centre de réanimation de nouveau-nés montre l’intérêt de l’alternance d’antibiothérapies à spectres large et étroit sur la maîtrise du développement de l’antibiorésistance via la modification de la pression de sélection (voir graphique).

Antoine Andremont a clairement montré l’interaction des écosystèmes microbiens : centres de soins, ville, agriculture et élevage. Le raisonnement de la maîtrise de l’antibiorésistance doit donc être écologique et systémique, à l’image du dispositif proposé par le programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens(3).

Néanmoins, le choix de l’antibiothérapie n’est pas aussi simple qu’il y paraît. En effet, le rapport de l’Observatoire national de l’épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques (Onerba) de 2002 pointe du doigt que limiter l’analyse aux échecs thérapeutiques et aux infections nosocomiales et iatrogènes expose in fine à une surconsommation de certains antibiotiques. C’est pourquoi il convient d’être vigilant quant aux recommandations concernant l’antibiothérapie probabiliste et de ne pas limiter l’utilisation de la bactériologie et de l’antibiogramme aux récidives et aux cas complexes.

  • (1) Observations du réseau d’épidémiosurveillance européen auquel adhèrent trente pays. Rapports et newsletters sont consultables sur www.rivm.nl/earss/, rubrique EARSS Results (“Reports and articles”).

  • (2) O. Cars et coll., The Lancet, 2001, vol. 357, pp. 1851.

  • (3) www.cdpqinc.qc.ca/document/CIPARS%20CDPQ%20AGA%202005.ppt., diapo 4

  • L’exposé « Ecologie bactérienne », d’Antoine Andremont, est consultable et téléchargeable sur www.infectiologie.com (rubrique “enseignement”, sous-rubrique “historique des séminaires” du 10 au 14/10/2005).

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