UNE RÉFORME DE LA RÉFORME POURRAIT VOIR LE JOUR - La Semaine Vétérinaire n° 1228 du 03/06/2006
La Semaine Vétérinaire n° 1228 du 03/06/2006

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Auteur(s) : Carole Ballin

Les étudiants concernés par la réforme du cursus achèvent à peine leur première année que des interrogations sont soulevées. La reconnaissance du diplôme vétérinaire français par l’Europe est au cœur du problème. En effet, les quatre ans d’école sont incompatibles avec les directives européennes.

Depuis le mois d’avril dernier, les enseignants des écoles vétérinaires envoient à titre individuel une lettre ouverte à Dominique Bussereau, ministre de l’Agriculture. Ils sont déjà près d’un tiers à avoir ainsi stigmatisé ce que Bruno Polack, enseignant et élu au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche agronomique, agroalimentaire et vétérinaire (CNESERAAV), appelle « les inconséquences de leur tutelle ». La dernière réforme des études vétérinaires, appliquée depuis la rentrée 2005, a modifié l’organisation du cursus. Il était auparavant constitué d’une année de classe préparatoire suivie de cinq dans une école vétérinaire. Il est aujourd’hui composé de deux ans de classe préparatoire BCPST-Véto (biologie, chimie, physique et sciences de la terre) et de quatre autres dans une ENV (voir ci-dessous). La durée des études a été imposée, dès le départ de la réflexion, par le Directeur général de l’enseignement et de la recherche de l’époque, notre confrère Michel Thibier. Dans la lettre de mission qu’il a adressée le 21 février 2003 aux membres du comité de pilotage de la réforme du cursus vétérinaire, il fixait ainsi à quatre le nombre d’années d’école permettant d’accéder au diplôme de docteur vétérinaire.

« Au cours de la réflexion menée depuis trois ans, de nombreuses craintes ont été exprimées par les enseignants et par les vétérinaires français à la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) sur l’organisation de ce cursus et notamment sur sa compatibilité avec les directives de l’Union européenne », rappelle la lettre ouverte. En effet, une directive de 1978 du Conseil des communautés européennes établissait que la « formation vétérinaire comprend au total au moins cinq années »(1). Loin d’être supprimées, ces dispositions ont été reprises par la directive 2005/36/ CE, publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 30 septembre dernier.

Ces craintes ont été confirmées récemment par un rapport provisoire d’évaluation de l’école de Lyon, réalisé par l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV) et par la Fédération vétérinaire européenne (FVE). Présenté au Joint Education Committee de l’AEEEV le 3 juillet prochain, il fait apparaître que le cursus français ne respecte pas la réglementation européenne. Les quatre années d’étude effectuées au sein des écoles vétérinaires ou sous contrôle centralisé vétérinaire, au lieu des cinq années au moins accomplies dans toutes les autres écoles ou facultés vétérinaires européennes, dérogent aux règles de Bruxelles. « Pour répondre aux critiques de l’évaluation de l’école de Lyon, il est indispensable que cette déficience soit corrigée au plus vite et qu’un cursus eurocompatible soit redéfini », enjoint la lettre ouverte (voir article en page 45).

Les mêmes motifs avaient incité le syndicat d’enseignants vétérinaires, le CNESERAAV, à émettre un avis négatif sur le premier rapport du comité de réforme du cursus, en avril 2004. La DGER n’a tenu aucun compte de ce vote pourtant clair et argumenté et les grandes lignes de la refonte du cursus ont été définies par l’arrêté du 12 avril 2005(2).

Une cinquième année d’étude semble indispensable aux exigences européennes

Le programme des classes préparatoires BCPST n’a pas été modifié malgré l’arrivée des étudiants vétérinaires. Les deux années “agro-véto” regroupent notamment quatre cent cinquante heures de mathématiques, sans notions de statistiques. Aucune base de physique nucléaire n’est abordée et l’enseignement de la biologie animale est réduit. La DGER réfléchit, en collaboration avec les enseignants, à une évolution de ce programme pour intégrer des matières plus utiles aux vétérinaires tout en le maintenant dans le domaine des écoles de l’enseignement supérieur agricole.

En attendant cette “vétérinarisation” qui rendrait le dispositif français eurocompatible, une année supplémentaire « transitoire » allouée à la rédaction de la thèse succède à celle d’approfondissement. Quatre ou cinq promotions suivront ainsi ce cursus temporaire, en attendant de nouvelles modifications.

Certains professeurs, comme Jean-François Bruyas, s’interrogent sur la cohérence de ces « mesures de sauvetage ». Pour lui, plutôt que de faire basculer des matières vétérinaires en classe préparatoire ou d’ajouter une cinquième année consacrée à la thèse, mieux vaudrait revenir à la formation en cinq ans au sein des écoles vétérinaires. « Une remise à plat complète du cursus est préférable », pense-t-il, avec d’autres. En revanche, de l’avis de notre confrère enseignant Xavier Malher, il n’est pas raisonnable de prolonger les études pour un diplôme à Bac + 7. Cela ne correspondrait à rien dans le système licence-master-doctorat, qui harmonise depuis 2005 les cursus de formation et les diplômes universitaires européens, et ne satisferait pas certains étudiants. « La solution consiste plutôt en une redéfinition/négociation des programmes de préparation ou en d’autres modalités de préparation/intégration », estime-t-il. Son avis est partagé par Claude Petit, responsable de la pédagogie de l’école de Toulouse, pour qui le mode de sélection est à revoir. « Celui-ci devrait être plus axé sur des matières vétérinaires. Dans cette optique, une classe préparatoire intégrée serait l’une des solutions à envisager. »

Un autre problème est soulevé par le professeur Bernard Toma, responsable de la pédagogie à Alfort, concernant les promotions « transitoires ». Si l’année ajoutée pour la thèse est effective, le cursus souffrira d’un déséquilibre du point de vue de la densité de la formation. « Il y aurait ainsi trois années de tronc commun et deux autres différenciées. » Or l’AEEEV considère que la partie différenciée de la formation vétérinaire ne doit pas excéder 20 % du cursus(3). Il serait même question de diminuer ce taux à 10 % lors d’une réunion de la FVE prévue prochainement. « Le taux de 40 % d’enseignement différencié ne serait pas compatible avec le critère de l’AEEEV », ajoute l’enseignant d’Alfort.

Le pilotage de la réforme a changé plusieurs fois de direction et de méthode

Le premier comité de pilotage mis en place à la suite de la lettre de mission du 21 février 2003 s’est entouré au départ d’un ensemble de rédacteurs par groupe de disciplines. Il leur a été demandé de travailler dans la perspective d’un examen national en fin de tronc commun et de distinguer les éléments éligibles pour une dernière année de type optionnel. Ces référentiels ont ensuite été remis à un nouveau comité de pilotage élargi (en particulier aux directeurs d’études et à des élus du CNESERAAV). Leur mission a été de mettre en œuvre une homogénéisation et une simplification de la rédaction, en abandonnant, par ailleurs, le projet de l’examen national. Xavier Mahler, professeur du département “santé des animaux d’élevage et santé publique”, regrette que ce comité de pilotage ait remis en question plusieurs choix de regroupements de matières proposés par les rédacteurs. Ceux-ci avaient souhaité, en particulier, rapprocher certaines matières pré-cliniques et paracliniques (en particulier l’alimentation et la zootechnie) des matières cliniques et médicales par espèce. Le but était de susciter un enseignement intégré dans une optique d’optimisation du rapport temps/efficacité. Si les regroupements par filières n’ont pas été retenus, des rapprochements ont toutefois été faits, notamment avec la propédeutique, la préparation à l’activité hospitalière, les dangers pour la santé publique, etc. « Il est regrettable que des réunions de travail sur le référentiel aient encore eu lieu en février dernier, alors que l’arrêté sur l’organisation et le programme des études vétérinaires date du 12 avril 2005 et que la rentrée des étudiants du nouveau cursus s’est faite en septembre 2005 », estime Xavier Mahler. En effet, le référentiel était annexé à l’arrêté du 12 avril 2005, mais seulement à l’état d’ébauche. Selon Bruno Polack, ce texte devra être repris et complété.

Un référentiel commun aux quatre écoles vétérinaires décrit la formation

L’arrêté du 12 avril 2005 indique que « la formation commune est sanctionnée par le diplôme d’études fondamentales vétérinaires, délivré aux étudiants qui ont validé l’ensemble des unités d’enseignements des six premiers semestres (article 5). Au cours des deux derniers semestres, chaque école met en place des enseignements approfondis dans les domaines professionnels suivants : animaux de production, animaux de compagnie, équidés, santé publique vétérinaire, recherche, industrie (article 8) ». Il revient à chaque école d’intégrer le référentiel dans les trois années comme elle le souhaite. Car, si les trois premières années sont organisées, avec un programme condensé, la dernière ne l’est pas. La DGER n’a pas encore défini précisément ses volontés. Une partie commune devrait être consacrée à la radioprotection et au mandat sanitaire, mais la question du libre choix des écoles de proposer ou non des cliniques mixtes n’est pas tranchée.

Dans les établissements scolaires, il n’a pas été facile de différencier le tronc commun de l’enseignement spécialisé. La suppression d’une année d’étude fait craindre aux professeurs une mauvaise assimilation par les élèves, « noyés et épuisés par la somme de travail à fournir », selon l’un d’eux. Le problème du raccourcissement du tronc commun n’a pas été ressenti de la même manière à Nantes, explique Xavier Malher. « Avant la réforme des T1 pro, l’école fonctionnait presque déjà en trois années de tronc de base et un an d’options, et cela depuis sa création (en fait, 75 à 80 % de la dernière année étaient déjà optionnels). La création de la T1 pro nous a permis de faire une année optionnelle complète en élargissant la durée du tronc commun. Cette nouvelle réforme nous demande de rebrousser chemin. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous le faisons, mais cela nous paraît moins insurmontable qu’à d’autres collègues. »

Cette réforme a fourni l’occasion de revoir les méthodes pédagogiques

A Nantes par exemple, les cours magistraux sont réduits au minimum et n’excèdent pas deux heures par après-midi. En effet, le volume horaire des enseignements magistraux ne doit pas dépasser celui des enseignements pratiques, cliniques et dirigés (article 4 de l’arrêté du 12 avril 2005). En contrepartie, la présence des étudiants en amphithéâtre est obligatoire et contrôlée. Le reste du temps est réservé aux travaux dirigés, ainsi qu’au travail personnel qui permet une meilleure responsabilisation de l’étudiant. Les cours magistraux se veulent de véritables séances explicatives et les travaux dirigés complètent le travail d’assimilation. Enfin, l’outil Intranet propose, outre les documents supports d’enseignement, des exercices d’auto-évaluation.

Selon Bruno Polack, à une époque où les connaissances et les savoir-faire ne cessent de se développer, offrir une formation générale écourtée aux futurs confrères n’est pas digne de la profession. « Pour sortir de l’impasse, la réforme du cursus doit être l’objet d’une plus grande réflexion, dans l’intérêt des étudiants et de la profession. Des états généraux de la formation vétérinaire devraient se tenir à l’automne, notamment sur ce sujet. »

  • (1) Directive 78/1027/CEE parue au JO de l’Union européenne du 23/12/1978.

  • (2) Publié au JO du 5/5/2005.

  • (3) Rapport et recommandations sur la méthode d’évaluation de la formation vétérinaire en Europe adoptés le 21/2/2000 par le Comité consultatif pour la formation des vétérinaires. L’ENVL n’a pas souhaité s’exprimer concernant les suites à donner au rapport transitoire de l’AEEEV après la visite de l’établissement, jugeant prématuré de donner un avis alors même que le rapport définitif est attendu pour le mois de juillet. La DGER n’a pas été plus explicite.

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