DOSSIER
Une espèce de mammifères sur quatre, un oiseau sur huit et plus d’un amphibien sur trois sont menacés d’extinction mondiale. L’état des lieux en France est également préoccupant. Certains programmes de sauvegarde entrepris portent leurs fruits. Il faut continuer d’agir.
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN, encadré page 8) a mis à jour sa liste rouge. Réévaluée tous les deux ans, cette liste est une photographie à l’instant T des espèces animales et végétales menacées, voire disparues, à l’échelle d’une région, d’un pays, d’un continent. Si les résultats sont souvent alarmants, certaines espèces bénéficient positivement des actions de protection mises en place. Développer des solutions pour lutter contre l’épuisement de nos réserves naturelles est un défi mondial pour l’avenir. Ce qui, d’une certaine façon, revient à lutter contre notre propre extinction.
La diversité biologique, ou biodiversité, englobe les trois principaux niveaux de diversité du monde vivant : la diversité des espèces, la diversité génétique et la diversité des écosystèmes. Elle est notre meilleure alliée pour limiter les conséquences des changements climatiques. Il convient donc de la préserver. Dans ce contexte, à quoi correspond la liste rouge mondiale des espèces menacées ?
Il s’agit de l’inventaire le plus complet de l’état de conservation global des espèces végétales et animales de la planète. Fondée sur une solide base scientifique, la liste rouge est reconnue comme l’outil de référence le plus fiable pour connaître le niveau des menaces pesant sur la diversité biologique spécifique. Elle est en libre accès, en anglais, sur le site iucnredlist.org.
En pratique, elle répond à quatre questions essentielles :
- À quel point une espèce donnée est-elle menacée ?
- Par quoi ?
- Combien y a-t-il d’espèces menacées dans telle région du monde ?
- Combien ont disparu ?
Son but est d’identifier les priorités d’action, de mobiliser l’attention du public et des responsables politiques sur l’urgence des situations, de pousser les acteurs à agir en vue de limiter le taux d’extinction des espèces. En effet, la disparition d’une espèce vivante est irréversible. Et il est question aujourd’hui de la sixième extinction de masse sur notre planète, dont l’homme est grandement responsable (urbanisation, fragmentation des espaces, déforestation, pollution, introduction d’espèces envahissantes etc.).
Selon l’UICN, « le classement de chaque espèce s’appuie sur cinq critères d’évaluation qui reposent sur différents facteurs biologiques associés au risque d’extinction, tels que la taille de la population de l’espèce, son taux de déclin, la superficie de sa répartition géographique ou son degré de fragmentation. En confrontant la situation de chaque espèce aux différents seuils quantitatifs fixés pour chacun des cinq critères, on définit pour chacune d’elles, sur la base des données disponibles, si elle se classe ou pas dans l’une des catégories d’espèces menacées », c’est-à-dire en danger, en danger critique ou vulnérable (encadré page 9).
Dans la dernière édition de la liste (décembre 2016), sur les 85 604 espèces étudiées, 24 307 sont classées menacées, soit près de 30 %. Ainsi, 42 % des amphibiens, 13 % des oiseaux et 25 % des mammifères sont menacés d’extinction au niveau mondial. C’est également le cas pour 30 % des requins et raies, 33 % des coraux constructeurs de récifs, 34 % des conifères… Pour les mammifères en particulier, Florian Kirchner, chargé de programme Espèces à l’UICN France, précise qu’au niveau mondial toutes les espèces ont été évaluées (5 567), parmi lesquelles 1 194 sont menacées (soit 21 %). Toutefois, en tenant compte de celles pour lesquelles les informations sont manquantes, l’estimation globale s’élève à 25 %. En France métropolitaine, les 119 espèces de mammifères ont également toutes été évaluées et 11 sont menacées, soit près d’une sur 10 (tableau). Cet état des lieux, datant de 2009, sera réactualisé fin 2017.
La liste rouge des espèces menacées en France est disponible sur le site web du comité français de l’UICN1. Elle se décline selon les catégories d’espèces (mammifères, plantes vasculaires, crustacés, libellules, etc.), mais aussi selon le périmètre géographique : métropole, Guadeloupe, Martinique, Réunion, Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Polynésie française, Terres australes et antarctiques françaises. Certes pas de zèbre des plaines ni de gorille de l’Est, mais une faune et une flore particulièrement riches. La liste est trop longue pour présenter toutes les espèces concernées. Voici quelques exemples afin d’illustrer le degré de menace et les causes potentielles.
Selon l’UICN, sur les 33 espèces de chauve-souris évaluées, sept figurent dans la catégorie quasi menacée, en raison du déclin de leur population, et quatre sont menacées d’extinction, par exemple le rhinolophe de Méhely, en danger critique.« La situation actuelle de ces espèces est la conséquence de nombreuses menaces : dérangement dû à une fréquentation accrue des principaux gîtes, dégradation de leurs habitats causée par l’urbanisation et raréfaction des proies due à l’utilisation intensive de pesticides » .
Des espèces présentes autrefois sur le territoire métropolitain ont aujourd’hui disparu. C’est le cas du bouquetin des Pyrénées.
Mais des plans de restauration sont mis en œuvre, en faveur d’espèces comme le vison d’Europe et le grand hamster d’Alsace, très menacé (100 ou 200 individus seulement), car vivant en banlieue de Strasbourg. Et l’organisme se félicite des résultats : « La loutre d’Europe et le bouquetin des Alpes sont de bons exemples de réels progrès obtenus grâce à une action efficace des pouvoirs publics et des associations de protection de la nature. En situation précaire il y a encore quelques décennies, la loutre, aujourd’hui classée en préoccupation mineure, recolonise progressivement différents secteurs du territoire. » Le bouquetin des Alpes est également recensé dans plusieurs départements alors qu’il avait presque disparu du massif alpin français.
Plusieurs espèces aquatiques ou semi-aquatiques ont également disparu des territoires marins français : la baleine des Basques dans les côtes provençales dans les années 1930, le phoque moine dans les eaux corses depuis la fin des années 1970.
Interrogé sur la possibilité de “retour” du phoque moine, Arnaud Greth, fondateur et président de l’association Noé2, ne désespère pas qu’il s’observe un jour en Corse. Au niveau mondial, l’espèce va un peu mieux. Il resterait 400 à 500 individus vivants. La présence de colonies dans le sud de la Turquie, dans les Sporades (mer Égée) et dans le Sahara occidental montre que ce mammifère n’est pas éteint. « En France, la réintroduction de cette espèce est très conflictuelle, notamment auprès des pêcheurs, qui la redoutent pour la destruction de leurs filets. »
Parmi les mammifères marins, le cachalot, réputé timide, vit uniquement en haute mer dans les eaux profondes. En France, il évolue dans l’Atlantique (moitié sud du golfe de Gascogne) et en Méditerranée (Côte d’Azur et Corse). Classée vulnérable, l’espèce doit sa survie à l’interdiction de sa chasse en 1982 par la Commission baleinière internationale. Le cachalot était exploité en effet pour le blanc de baleine (ou spermaceti), substance huileuse présente dans sa tête et employée comme lubrifiant, et l’ambre gris (concrétion formée dans les intestins), utilisé en parfumerie. Désormais, les principales menaces qui pèsent sur lui, comme sur la plupart des grandes espèces marines, sont la pollution du milieu marin, notamment par les polychlorobiphényles (PCB) et les métaux lourds, l’ingestion de déchets plastiques et métalliques rejetés dans l’océan et en Méditerranée, les captures accidentelles dues à l’utilisation de filets maillants.
Pour les autres cétacés qui n’ont pas été recensés, faute de données, s’y ajoutent la pollution sonore due aux trafics maritimes et aux sonars militaires, ainsi que la surpêche, qui affaiblit leurs ressources alimentaires. Cette pêche intensive est aussi à l’origine du déclin des poissons cartilagineux : requins, raies, chimères.
Oiseaux, papillons et autres libellules sont également en danger pour nombre d’espèces. Selon l’UICN, la réévaluation du niveau de menace pesant sur les oiseaux nicheurs montre que la situation s’est détériorée pour 48 espèces entre 2008 et 2016. Seulement 15 ont vu leur état s’améliorer. L’intensification des pratiques agricoles et la régression des prairies naturelles font partie des causes avancées du déclin de nombreuses espèces, en particulier les passereaux.
Les oiseaux nicheurs liés aux milieux humides sont aussi touchés par la dégradation des habitats. La bécassine des marais, dont la population nicheuse est aujourd’hui réduite à moins de 50 oiseaux, est classée en danger critique. De son côté, le martin-pêcheur d’Europe est placé en catégorie vulnérable, victime de l’artificialisation des berges et de la pollution de l’eau, qui réduisent ses ressources alimentaires.
En revanche, les actions de protection des zones humides ont amélioré la situation de plusieurs échassiers, comme le crabier chevelu ou la spatule blanche. Et le vautour moine vole à̀ nouveau dans les Grands Causses (Aveyron), après avoir disparu de France pendant près d’un siècle.
Pour les plus éphémères, petits en taille mais dont le rôle polinisateur est essentiel, l’UICN s’inquiète : « Les populations des papillons de jour ont fortement chuté́ en France dans les années 1970 et 1980, en raison de l’intensification des pratiques agricoles et d’une urbanisation croissante. Ce déclin se poursuit aujourd’hui encore pour de nombreuses espèces. » Seize espèces sont ainsi menacées de disparition en France métropolitaine. En cause, la destruction importante des milieux naturels alors que, chez la plupart des espèces, les chenilles ne se nourrissent que sur une seule ou quelques plantes spécifiques, appelées “plantes hôtes”.
Le changement climatique constitue une menace supplémentaire. L’élévation des températures pousse certains papillons à rechercher des conditions de vie plus favorables vers le nord ou en altitude. Mais certaines espèces ne trouvent pas de nouveaux refuges et voient leur aire de répartition régresser. L’hespérie du Barbon, placé en danger critique, n’a plus été vu depuis 10 ans.
Le réchauffement climatique constitue aussi une menace sur les terres australes et antarctiques françaises. En terre Adélie, la réduction de la surface de la banquise diminue les ressources alimentaires du manchot empereur, classé vulnérable et qui devrait, en 2100, connaître un déclin supérieur à 80 %. Dans les Terres australes, une réserve naturelle nationale couvrant plus de 2,2 millions d’hectares, la plus grande de France, a été mise en place.
L’état des lieux de la biodiversité dans le monde peut donner le vertige. Interrogés, les scientifiques annoncent notre entrée dans une nouvelle ère, « l’âge de l’homme » (anthropocène) et déplorent que nos enfants ne connaîtront pas la nature que nous avons foulée. Mobiliser les forces, accorder les pays, prend un temps et une énergie bien supérieurs à celui de la destruction. Néanmoins, s’informer, se former et agir est à la portée de chacun. Parmi ses actions, l’association Noé propose un programme de restauration de la nature ordinaire, notamment des mares et des prairies, d’autres pour développer les jardins, repenser l’éclairage des villes…
Le prochain Congrès mondial de la nature aura lieu en 2020.
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1 uicn.fr.
2 Association loi 1901 d’intérêt général, noe.org.
L’UICN AURA 70 ANS EN 2018
LA CLASSIFICATION DES ESPÈCES VIVANTES
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