Les États membres pas encore prêts à appliquer le règlement européen - La Semaine Vétérinaire n° 1536 du 19/04/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1536 du 19/04/2013

Abattage en Europe

Dossier

Auteur(s) : Marine Neveux

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Michel Courat, vétérinaire expert à l’Eurogroup for Animal Welfare, a abordé, lors de l’assemblée générale de l’OABA, le nouveau texte de loi qui régit l’abattage en Europe depuis le 1er janvier 2013. Cette nouvelle réglementation remplace en effet la directive 93/119, devenue obsolète depuis les années 2000 et qui avait montré ses limites sur le plan des méthodes appliquées au bien-être animal.

« L’Eurogroup a fait le tour des pays de l’Union pour tenter d’améliorer le texte, explique notre confrère. Le Parlement européen, dépourvu de pouvoir décisionnaire, pouvait seulement être consulté, ce qui est dommage, car il nous soutenait davantage. » Le texte est finalement adopté en septembre 2009 et son application effective depuis le début de l’année. « Beaucoup de nos demandes ont été acceptées, sauf sur l’abattage rituel. » Comme il s’agit d’un règlement, il est immédiatement applicable dans tous les pays européens, sans adaptation, « ce qui évite les distorsions entre les États », constate-t-il.

Ce règlement place le bien-être animal sous la responsabilité des exploitants des abattoirs. « Il y a aussi un élément de compétence du personnel qui est devenu indispensable : toute personne qui manipule les animaux doit recevoir une formation adaptée à ces derniers », poursuit Michel Courat. Le référent en bien-être animal apparaît également, chargé de prendre les mesures nécessaires face à un dysfonctionnement. « Des améliorations techniques importantes concernent par ailleurs le matériel, avec l’obligation de recourir à des méthodes listées. »

De plus, en 2014 entreront en vigueur des normes sur la conception des bâtiments dont l’objectif est de diminuer le stress des animaux entre leur arrivée et leur abattage. Le texte prévoit aussi une assistance scientifique indépendante. « Maintenant, nous avons accès aux procédures de contrôle, ce qui est important. » En outre, des guides de bonnes pratiques doivent être préparés avec les organisations non gouvernementales. « Actuellement, seul un guide est élaboré », déplore toutefois notre confrère.

Ensuite, rien n’empêche un pays de prendre des mesures nationales plus strictes que ce règlement. Certains l’ont déjà fait, comme la Slovénie il y a quelques semaines. En outre, le texte européen introduit la notion de mesures équivalentes pour les pays tiers.

L’abattage sans étourdissement maintenu

« La grosse déception de ce règlement », c’est l’abattage sans étourdissement, qui existe toujours. La dérogation est motivée par le droit à l’expression des cultes, inscrit dans l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. « Une autre déception concerne la pratique franco-française du box rotatif. »

Une formation spécifique des sacrificateurs est prévue. En outre, toutes les personnes qui manipulent les animaux doivent posséder un certificat de compétence. « Les guides de bonnes pratiques, quand ils seront prêts, devront mentionner les pratiques sur la saignée, sur la perte de conscience, etc. » Point important dans le cadre des cadences élevées d’abattage des moutons et des volailles : l’immobilisation doit être individuelle. « De même, pour les ruminants, les textes prévoient une immobilisation mécanique qui va réduire la cadence des abattages rituels. » Quant à l’article 5 du nouveau règlement, il envisage des procédures de contrôle systématique, « pour s’assurer que les animaux ne présentent aucun signe de conscience ou de sensibilité avant de mettre fin à leur immobilisation et ne présentent aucun signe de vie avant l’habillage ou l’échaudage ». En pratique, si cet article est respecté, comme la mort de l’animal peut prendre plusieurs minutes, cela signifie que la chaîne d’abattage ne pourra opérer qu’à faible vitesse, ce qui est incompatible avec les cadences commerciales d’abattage.

Des déceptions et des inquiétudes

Des déceptions de taille, il y en a d’autres, comme pour l’étiquetage sur le mode d’abattage, délibérément rejeté par la France, ou encore l’exclusion « des poissons, amphibiens, crustacés, etc., des animaux qui ont une conscience », de même que celle des animaux tués lors de manifestations culturelles ou sportives…

Autre sujet d’inquiétude, « l’abattage à la ferme est simplifié, induisant un risque accru de souffrance », déplore Michel Courat. L’utilisation du CO2 pour les porcs reste autorisée (cela ne coûte pas cher…) et les volailles sont toujours soumises à une éversion dans des bains électrifiés.

En conclusion, « aucun pays n’est prêt, mais la Commission européenne et l’Office alimentaire et vétérinaire trouvent cela normal !, s’insurge Michel Courat. Il n’y a pas d’inspections prévues avant la fin de l’année, ce qui est encore plus inquiétant. » Et de s’interroger : « Dans l’ensemble, le texte est plutôt bon sur le papier (à part l’abattage rituel), mais qui le fera appliquer ? » Car une autre problématique est régulièrement dénoncée : le nombre de vétérinaires dans les abattoirs diminue et « ils sont de moins en moins auprès des animaux vivants, mais plutôt avec les papiers et les carcasses »

Au final, le texte est-il applicable ? Une discussion est en cours pour savoir sur quels critères l’animal est réellement étourdi ou mort : « Cette discussion est révélatrice du manque de préparation des États. » Sur le terrain, les chaînes de volailles tournent à la cadence de 6 000 à 8 000 par heure (100 par minute) : qui va pouvoir les évaluer ? Est-ce également prudent de confier la responsabilité du bien-être animal aux exploitants « Il est évident que le système d’autocontrôles ne fonctionne pas », constate Michel Courat. Les autorités compétentes et les vétérinaires ont un rôle majeur à jouer, mais en ont-ils vraiment les moyens ? Les personnes en charge des contrôles doivent en outre jouer avec les baisses d’effectif, mais aussi les menaces personnelles ou envers leur famille… Est-ce également raisonnable de diminuer la présence vétérinaire pour les porcs et les volailles ? Et qu’en est-il de l’étiquetage ? « Des problèmes majeurs restent sans réponse… »

L’APPLICATION DU NOUVEAU TEXTE SUR L’ABATTAGE DANS L’UNION

En théorie, les États membres devraient adapter leur législation, faire évoluer les modes opératoires normalisés, etc. Mais cela reste bien souvent théorique… « En octobre 2012, seuls 19 pays sur les 27 avaient répondu à notre enquête et aucun guide de bonnes pratiques de l’abattage n’était validé ! », constate Michel Courat, de l’Eurogroup for Animal Welfare. À ce jour, seuls les Pays-Bas ont sorti un tel guide.

Allemagne : il n’y a pas de guide de bonnes pratiques et la formation est en retard.

Autriche : l’étourdissement postjugulation est autorisé.

Danemark : le pays ne commercialise plus de viande issue de l’abattage rituel, car les industriels ont fait leurs comptes et cela n’était pas intéressant économiquement.

Finlande : l’étourdissement est réalisé au moment de la jugulation (ce qui est quasi impossible à faire d’un point de vue technique…).

France : aucun guide n’est encore validé, la formation se met en place, le système de certificat de compétence n’est pas encore finalisé. « Le guide de bonnes pratiques est bien avancé, mais il a pris du retard, c’est un fait, développe notre consœur Laure Paget. Nous attendons une réponse de notre agence d’évaluation en juin. » Et de poursuivre : « Six organismes sont habilités pour la formation. Les sessions ont commencé, mais nous déplorons encore des trous dans la raquette. Pour le moment, les opérateurs n’ont pas commencé leur formation, car initialement, ce sont les responsables du bien-être animal qui sont prioritaires. »

Grèce : des discussions sont engagées pour rendre obligatoire l’étourdissement au moment de la jugulation, mais les différentes confessions religieuses ne sont pas d’accord.

Pays-Bas : actuellement, l’absence d’étourdissement est limitée dans le temps (40 secondes).

Royaume-Uni : par tradition, l’inspection du bien-être animal est assurée par les vétérinaires. La formation des opérateurs a pris du retard. L’abattage sans étourdissement est peu pratiqué, car la communauté musulmane accepte l’étourdissement.

Slovénie : l’abattage sans étourdissement est interdit, mais les communautés juives et musulmanes sont rares dans ce pays.

Suède : la formation est en retard et il n’y a pas de guide de bonnes pratiques.

Notre confrère Michel Courat (A 76) a exercé essentiellement son activité dans les abattoirs en Angleterre. Il est aujourd’hui vétérinaire expert à l’Eurogroup for Animal Welfare à Bruxelles. Il est aussi l’auteur de plusieurs romans policiers.

Une grosse déception du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil est le maintien de l’abattage sans étourdissement. Une autre concerne la pratique du box rotatif.

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