Le Sénat laisse planer le doute sur l’interdiction des remises - Le Point Vétérinaire.fr

Le Sénat laisse planer le doute sur l’interdiction des remises

Éric Vandaële | 16.04.2014 à 17:40:01 |
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Les sénateurs suppriment la marge maximale de 15 % à la revente au détail des antibiotiques critiques. Les sénateurs ont adopté, le 14 avril vers 22 h, les articles 20 et 20 bis de la loi d’avenir pour l’agriculture. Les députés avaient mis un quart d’heure pour expédier cet article, sans grand débat. Les sénateurs ont pris trois fois plus de temps.

Tout comme à l’Assemblée nationale, aucun confrère sénateur n’était présent dans l’hémicycle au moment de cette discussion nocturne, où il a pourtant été beaucoup question de notre profession.
Les pharmaciens manquaient à l’appel également. Aucun amendement ni débat n’a remis en cause le couplage prescription-délivrance. Et les pharmaciens ont cessé de déposer des amendements visant à les exclure des mesures d’interdiction de recevoir des cadeaux ou des remises de la part des laboratoires pharmaceutiques vétérinaires.

La fin de la marge plafonnée à 15 %

Point positif : les sénateurs ont été convaincus que le fait de limiter la marge de revente au détail des antibiotiques critiques à 15 % n’aurait pas un effet dissuasif sur leur prescription par les vétérinaires. À l’inverse, un prix bas aurait un effet évidemment incitatif. Car « pourquoi se priver du meilleur s’il n’est pas cher ? ». Cette mesure, exigée par le ministère de la Santé, a donc succombé dès la première lecture du projet de loi au Sénat. Le rapporteur du projet, le sénateur Didier Guillaume, avait d’ailleurs écrit son propre amendement en lien avec le ministère de l’Agriculture.

Le dispositif “anti-cadeaux” s’applique-t-il aux remises ?

En revanche, le Sénat et le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, ont laissé planer le doute dans leurs réponses sur l’interdiction des remises et des avantages commerciaux (remises arrière, contrat avec les fournisseurs, etc.).
Calqué sur la médecine humaine, l’article 20 du projet de loi introduit un dispositif “anti-cadeaux”. Il interdit aux ayants droit « de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte des laboratoires pharmaceutiques » (article L.5141-13-1). Un amendement vétérinaire demandait que les avantages acquis par la négociation commerciale (telles que les remises contractuelles) soient exclus du champ d’application de cet article. Mais Stéphane Le Foll et le Sénat ont refusé cet amendement. Car, pour eux, l’intention de cet article est justement d’interdire ce type d’avantages octroyés par les fournisseurs aux ayants droit. Une douche froide pour les vétérinaires qui n’avaient, jusque-là, pas vu dans ce dispositif “anti-cadeaux” une menace pour les remises et les autres avantages commerciaux.

Une interdiction totale « disproportionnée »

Mais quelques minutes plus tard, un autre amendement proposait d’étendre à tous les médicaments l’interdiction plus explicite des remises, rabais, ristournes, tarifs différenciés par catégorie d’acheteurs et tout contrat commercial limitée aux antibiotiques (article L.5141-14-2). Et, à l’inverse, le Sénat et le ministre de l’Agriculture ont refusé cette extension qu’ils ont jugée, cette fois, « disproportionnée » par rapport à l’objectif de plan ÉcoAntibio.
Plus que le refus prévisible de ces deux amendements, ce sont les arguments contradictoires avancés dans la discussion qui sèment le trouble sur le champ d’application du dispositif “anti-cadeaux” aux avantages commerciaux, tels que les remises arrière. Les explications pourront alors venir soit des débats en seconde lecture, soit de la doctrine administrative d’application du dispositif “anti-cadeaux” après la promulgation de la loi (sans doute en juillet 2014).

Des antibiotiques à prix unique d’achat
Comme prévu, toute remise ou contrat commercial sur les antibiotiques sera à proscrire, ainsi que toute pratique visant à contourner cette interdiction, comme les remises liées ou celles sur l’ensemble d’une gamme comprenant des antibiotiques.
L’interdiction de pratiquer des prix différenciés par catégorie de clients sur les antibiotiques est clarifiée. Introduite à l’Assemblée nationale, la disposition réécrite instaure une sorte de prix unique à l’achat des antibiotiques, quelles que soient les quantités achetées et surtout la catégorie de l’acheteur à tous les étages de la chaîne de distribution.
En aval, les vétérinaires ne pourront plus vendre le même antibiotique à un prix différent selon qu’il s’agit d’un éleveur de porcs ou de bovins, d’un client fidèle ou non, etc. En amont, les laboratoires ne devraient plus pouvoir vendre des antibiotiques à un prix différent selon la taille des ayants droit ou… la catégorie de l’acheteur : centrale, vétérinaire, pharmacien, etc.

Aucun antibiotique préventif dans les groupements agréés

Comme à l’Assemblée nationale, les lobbies agricoles ont échoué à faire retirer du projet de loi la suppression de tous les antibiotiques de la liste positive des médicaments délivrés sur prescription par les groupements agréés. Ce débat a donné l’occasion à Stéphane Le Foll de répéter son engagement dans la « lutte contre l’antibiorésistance des virus », un lapsus qu’il a répété deux ou trois fois, mais qui a été supprimé du compte rendu intégral des débats. Il n’y aura donc pas de trace écrite de ces “virus”. Au-delà de cette boulette, Stéphane Le Foll
a toutefois été très applaudi lorsqu’il « proscrit l’usage préventif des antibiotiques, au profit d’un usage curatif ciblé. Dans un groupement, on glisse vite vers la prévention. Et il importe donc d’éviter cette dérive. Les antibiotiques sont précieux pour les animaux et les humains. L’enjeu de santé publique c’est de préserver leur efficacité en curatif. Nous sommes tous d’accord sur l’objectif. Dès lors, il faut s’en donner les moyens. Des changements importants sont nécessaires ». Face aux importations de viandes de pays plus compétitifs n’appliquant pas les mêmes mesures de restriction, le ministre a surtout fustigé les États-Unis. Dans ce pays, « les feedlots de 5 000 ou 10 000 têtes consomment énormément d’antibiotiques disponibles à des coûts extrêmement faibles. Nous ne sommes pas obligés de prendre les mêmes risques que les Américains. Ce n’est pas parce qu’ils ne font rien pour prévenir l’antibiorésistance que nous devrions les imiter ! Je préfère que l’Europe prenne de l’avance. La France doit être capable de montrer le chemin. Nous anticipons ce qui se passera demain aux États-Unis et dans le monde. Le débat sur les importations est réel. Il faut que le consommateur sache, y compris à l’étranger, que les éleveurs français ne font pas n’importe quoi ! ». Applaudissements sur les bancs du Sénat et rideau sur tous les amendements visant à assouplir le dispositif prévu.
La déclaration des ventes d’antibiotiques par les ayants droit avec les noms des prescripteurs et des éleveurs destinataires est ainsi confirmée. Pour le ministre, « l’identité des prescripteurs permettra de suivre la réalisation des objectifs de réduction des antibiotiques sur lesquels les vétérinaires se sont engagés ».

Un amendement “vétérinaire” de restriction des délégués
Un amendement déposé par le sénateur vétérinaire René Beaumont (UMP) demandait que l’activité de ces délégués des laboratoires soit restreinte aux seuls vétérinaires et pharmaciens, en leur interdisant d’aller directement au contact des éleveurs ou des techniciens. Car, selon lui, ces délégués « rencontrent régulièrement des éleveurs dans leurs exploitations, lors de salons agricoles (Space, salon de l’élevage, etc.) ou de réunions. Cela peut être l’occasion pour le délégué de réaliser une négociation commerciale sur des médicaments vétérinaires que ces personnes achèteraient chez un ayant droit (remise financière ou unités gratuites, définition d’un prix de vente, etc.). Il en est de même pour les techniciens en productions animales qui sont directement contactés par les délégués. En grande majorité, ces contacts sont réalisés sans lien avec le vétérinaire de l’élevage ou celui qui intervient dans l’encadrement des techniciens. Ils ont pour objectif d’exercer une pression sur le vétérinaire prescripteur ». Seul signataire de cet amendement “vétérinaire”, notre confrère René Beaumont n’était pas présent en séance pour le soutenir.

Médicaments d’aquariophilie en vente libre
Le Sénat a adopté un amendement visant à ce que les médicaments d’aquariophilie puissent être vendus en animalerie hors du monopole pharmaceutique, en s’inspirant de la dérogation déjà en vigueur pour les topiques antiparasitaires externes (APE). Cet amendement concernait surtout des produits d’aquariophilie déjà en vente libre en animalerie (bleu de méthylène et vert malachite). Ces produits biocides seraient en effet requalifiés en médicaments. Leur vente libre est heureusement limitée à ceux qui ne nécessitent pas d’ordonnance. En jardineries, le chiffre d’affaires de ces produits serait d’environ 1 million d’euros.
Le projet de loi doit désormais passer en seconde lecture devant les députés. La promulgation pour juillet 2014 reste, pour le moment, l’hypothèse la plus probable.

Éric Vandaële
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